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L’Association médicale mondiale intègre le principe d’assentiment

"Il convient de parvenir à l’équilibre satisfaisant l’exigence du respect inconditionnel des droits de la personne au regard d’une possibilité d’essai clinique susceptible de lui être bénéfique ou de faire évoluer les connaissances dans le champ de la maladie qui l’affecte. Renoncer à inclure une personne dans un essai peut apparaître tout autant discutable que de la soumettre sans être attentif à son choix profond ainsi qu’à son bien-être."

Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /

Publié le : 03 Décembre 2013

Plus de rigueur dans l’accès à la recherche

Adoptée par l’Assemblée médicale mondiale à Fortaleza (Brésil) en octobre 2013, la Déclaration d’Helsinki constitue un texte international de  référence. Elle fixe les principes applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains. Dans la filiation  du Code de Nuremberg (1947), cette déclaration est régulièrement revue depuis 1964. C’est dire l’importance des évolutions apportées de manière progressive et toujours justifiée par les rédacteurs de ce document : elles témoignent de mutations reconnues par l’ensemble des instances représentatives associées à cette dynamique de la réflexion éthique appliquée à la recherche biomédicale.

Dans son avis Alzheimer, éthique et société (21 septembre 2012), l’Espace national Alzheimer (EREMA) avait institué et développé le concept d’assentiment. Sa pertinence s’imposait en effet dans le contexte d’une maladie neurologique évolutive qui compromet, à un temps donné, la faculté de discernement de la personne. De telle sorte que l’expression du consentement à un traitement ou à l’inclusion dans un protocole de recherche peut s’avérer difficile, voire incertaine.

Le consentement anticipé présenterait probablement, au même titre que les directives anticipées, une autre option à ne pas négliger. Elle s’imposera peut-être dans les prochaines années si ses conditions de mise en œuvre étaient considérées recevables.

En pratique, il convient de parvenir à l’équilibre satisfaisant l’exigence du respect inconditionnel des droits de la personne au regard d’une possibilité d’essai clinique susceptible de lui être bénéfique ou de faire évoluer les connaissances dans le champ de la maladie qui l’affecte. Renoncer à inclure une personne dans un essai peut apparaître tout autant discutable que de la soumettre sans être attentif à son choix profond ainsi qu’à son bien-être. Il importe donc  d’être juste à l’égard de la personne et à la fois soucieux de la cause d’autres, atteintes d’une même maladie, et qui aspireraient à pouvoir bénéficier des avancées possibles d’une recherche ou d’un traitement. La loi n° 2004-806  du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique (article L. 1121-8) avait déjà constitué en son temps une avancée significative, mais pas assez intégrée aux pratiques.

On le sait, pour la maladie d’Alzheimer ou des maladies associées le refus d’un soin procède de facteurs plus complexes que la possible limitation des capacités décisionnelles. L’avis de l’EREMA considérait ainsi : « En raison de ces obstacles, et au nom du respect de la personne, il semble devenir nécessaire de dépasser la référence exclusive à la notion de consentement, et de reconnaître l’importance éthique et la pertinence juridique de « l’assentiment » aux aides et aux soins : il consiste à donner tout son sens et l'importance nécessaire à l’avis de la personne dans l’incapacité d’émettre un consentement pleinement libre et éclairé, mais toujours apte à participer à la prise de décision, en le renforçant par une évaluation collégiale destinée à replacer le malade au cœur de l’accompagnement. »

 

Repenser certains repères éthiques

La notion d’assentiment constitue donc un repère davantage pertinent et efficient que celle de consentement dans le contexte d’une maladie neurologique dégénérative. Elle procède en effet de l’attention portée à la préférence exprimée par la personne dans le cadre d’une démarche tenant compte de ses capacités relatives et donc adaptée à la singularité de sa situation. Plutôt que de ne s’en remettre qu’au point de vue de la personne détentrice d’une autorité juridique exercée sur la personne dite incapable, la reconnaître comme encore susceptible d’être sollicitée dans un choix qui la concerne apparaît important.

L’EREMA souhaitait que le principe d’assentiment soit pris en compte dans les évolutions législatives attendues pour renforcer les droits et la protection des personnes en « perte d’autonomie ». L’association médicale mondiale répond à cette préoccupation, avant les autorités françaises compétentes, en intégrant l’assentiment dans la rédaction de la dernière déclaration d’Helsinki.

« Article 29. Lorsqu’une personne considérée comme incapable de donner un consentement éclairé est en mesure de donner son assentiment concernant sa participation à la recherche, le médecin doit solliciter cet assentiment en complément du consentement de son représentant légal. Le refus de la personne pouvant potentiellement être impliquée dans la recherche devrait être respecté. »

 

Il est désormais évident que les grands principes de l’éthique médicale doivent s’ajuster à des réalités humaines et sociales dont la spécificité et la complexité défiaient jusqu’à présent des règles par trop générales. Cette attention témoignée aux situations de vulnérabilité qui rendent parfois distants le concept d’autonomie et sa déclinaison à travers le principe de consentement, permet de  faire évoluer de manière favorable les dispositifs indispensables à une approche juste d’autres réalités des maladies notamment neurologiques.

Il pourrait désormais être intéressant d’intégrer cette notion d’assentiment à la réflexion attendue portant sur une prise en compte dans la loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, des réalités de la perte d’autonomie s’agissant des maladies qui affectent la faculté de jugement. Cette évolution pourrait même avoir pour cadre la loi de santé publique annoncée pour 2014. Entre consentement au soin et refus du soin, une approche attentionnée, en situation et tenant compte des préférences de la personne, procédant d’une sollicitation de son assentiment, semble nous ouvrir à une dimension plus exigeante du concept de respect de la personne dans sa dignité.

C’est dire à quel point l’EREMA estime nécessaire d’approfondir son travail critique portant sur les principes éthiques afin de permettre l’application effective au plus près des réalités de terrain des valeurs démocratiques qu’ils se doivent d’incarner.

 

Les textes

Avis « Alzheimer, éthique, science et société »

Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer

Avis rendu le 21 septembre 2012

 

Assentiment aux soins

S’agissant particulièrement de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, l’individualisation et la proportionnalité des interventions reste délicate, comme la protection urgente de la sécurité physique (par exemple dans le cas de situations d’errance ou de « fugues »).

Faut-il, le cas échéant, limiter la liberté d'aller et venir à l’intérieur et hors du domicile ou de l'établissement d’accueil ainsi que promouvoir la mise en œuvre des TIC (cf. § 2.5)[1] ?

Ces questions n’ont de sens qu’au regard des déficiences pouvant être constatées dans l’application d’un consentement juridique devenu bien trop rigide face à la maladie fluctuante et évolutive.

Dès lors, comment donner tout son sens à la volonté de la personne malade en situation :

- de conscience seulement partielle des troubles (déni, anosognosie) ?

- de conflit grave avec l’entourage, la famille, les professionnels ou les résidents d’un établissement ?

- de mise en danger de sa personne elle-même ou des tiers ?

- de fluctuations de ses prises de positions, d’évolution de leur teneur selon l’interlocuteur ?

En raison de ces obstacles, et au nom du respect de la personne, il semble devenir nécessaire de dépasser la référence exclusive à la notion de consentement, et de reconnaître l’importance éthique et la pertinence juridique de « l’assentiment » aux aides et aux soins : il consiste à donner tout son sens et l'importance nécessaire à l’avis de la personne dans l’incapacité d’émettre un consentement pleinement libre et éclairé, mais toujours apte à participer à la prise de décision, en le renforçant par une évaluation collégiale destinée à replacer le malade au cœur de l’accompagnement.

À défaut, des actes de soin pourraient être réalisés en urgence ou par routine sans regard pour son désaccord éventuel, qu’il soit exprimé ou non et, au surplus, dans l’incertitude juridique quant à leur licéité pour les professionnels.

De plus il s’agirait également d’être attentif au processus qui permet de parvenir à un consentement ou à un assentiment, en se situant au-delà de la stricte procédure collégiale encore trop tributaire de la faculté de mobilisation des soignants.

 

Éthique

3.7. Tenir compte de la spécificité des personnes atteintes de troubles cognitifs devrait inciter à  repenser le concept de consentement éclairé. On ne saurait renoncer à recueillir l’avis de la personne et à solliciter sa participation aux décisions qui la concernent par la recherche de signes d’assentiment. En ce sens la maladie d’Alzheimer peut constituer un modèle pour d’autres affections par exemple neurologiques qui invalident le recours à un consentement plein et entier.

3.8. Il convient également de développer des outils d’évaluation des capacités décisionnelles, tenant compte de l’exigence d’associer au mieux la personne aux décisions qui la concernent et de mettre à la disposition des proches et des professionnels les compétences et les moyens indispensables à un accompagnement adapté.

3.9. Développer et formaliser une réflexion éthique à propos de la recherche biomédicale dans la maladie d’Alzheimer s’impose aujourd’hui, notamment du fait du développement des approches scientifiques ne serait-ce que dans le diagnostic précoce de la maladie.

3.10. Le consentement ou l’assentiment de la personne malade sont requis pour toute inclusion dans un essai. Un questionnaire permettant de vérifier qu’elle a bien intégré l’information doit accompagner le recueil de sa décision.

Une note d’information résumée et simplifiée, validée par le comité de protection des personnes (CPP), ainsi qu’un « livret du participant » rappelant de façon pratique les contraintes, les rendez-vous, les examens proposés, les contacts en cas de difficulté, doivent être élaborés à destination de la personne malade et de son aidant.

 

Déclaration d’Helsinki

Association médicale mondiale, octobre 2013

Adoptée par l’Assemblée médicale mondiale à Fortaleza (Brésil) en octobre 2013.

 

Art. 28. Lorsque la recherche implique une personne incapable de donner un consentement éclairé le médecin doit solliciter le consentement éclairé de son représentant légal. Les personnes incapables ne doivent pas être incluses dans une recherche qui n’a aucune chance de leur être bénéfique sauf si celle-ci vise à s’améliorer la santé du groupe qu’elles représentent, qu’elle ne peut pas être réalisée avec des personnes capables de donner un consentement éclairé et qu’elle ne comporte que des risques et des inconvénients minimes.

Art. 29. Lorsqu’une personne considérée comme incapable de donner un consentement éclairé est en mesure de donner son assentiment concernant sa participation à la recherche, le médecin doit solliciter cet assentiment en complément du consentement de son représentant légal. Le refus de la personne pouvant potentiellement être impliquée dans la recherche devrait être respecté.

Art. 30. La recherche impliquant des personnes physiquement ou mentalement incapables de donner leur consentement, par exemple des patients inconscients, peut être menée uniquement si l’état physique ou mental empêchant de donner un consentement éclairé est une caractéristique nécessaire du groupe sur lequel porte cette recherche.

Dans de telles circonstances, le médecin doit solliciter le consentement éclairé du représentant légal. En l’absence d’un représentant légal et si la recherche ne peut pas être retardée, celle-ci peut être lancée sans le consentement éclairé. Dans ce cas, le protocole de recherche doit mentionner les raisons spécifiques d’impliquer des personnes dont l’état les rend incapables de donner leur consentement éclaire et la recherche doit être approuvée par le comité d’éthique de la recherche concerné. Le consentement pour maintenir la personne concernée dans la recherche doit, dès que possible, être obtenu de la personne elle-même ou de son représentant légal.


[1] À propos des modalités d’accueil respectueuses de la dignité de la personne lors de son entrée en établissement, se référer au compte-rendu du workshop de l’Espace éthique Alzheimer sur le sujet, « Respect de la dignité de la personne atteinte par la maladie d'Alzheimer dans les pratiques en établissement », disponible sur son site : http://www.espace-ethique-alzheimer.org/bibliotheque_rte/pdf/dossiersthematiques/CR_Workshop_dignite_personne.pdf