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Médecine et droits de l’homme - Pratiques soignantes et recherche biomédicale

Recueil des textes fondamentaux, 1948-2008

Publié le : 12 Novembre 2018

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Introduction générale de l'ouvrage

I -  Le principe de dignité
La volonté d’abolition progressive du « paternalisme médical » a conduit les autorités juridiques à identifier un principe fondamental, conduisant à la reconnaissance de la particularité du sujet de soins. Celui-ci ne doit en effet jamais pouvoir être déconsidéré dans sa relation face au professionnel, mais conserver au contraire sa particularité essentielle, faite d’une volonté autonome apte à s’exprimer, choisir son traitement et en supporter les conséquences. Dans cette volonté de réhabilitation du patient dans la relation de soins, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine constitue donc l’essence de ce « colloque singulier » autant qu’un objectif final.
 
Ce principe, qui apparaît comme le fondement de la démocratie moderne, s’est formé dans la tradition judéo-chrétienne et il a trouvé sa formulation philosophique au siècle des Lumières, dans la morale déontologique telle que Kant l’a exposée en affirmant qu’« il y a une loi morale universelle, et cette loi s’exprime dans la conscience de la dignité de la personne et du respect auquel, en tant qu’être humain, elle a droit. Toutes les choses qui peuvent être objets du besoin ou du désir ont un prix, mais tout ce qui a un prix peut être remplacé par autre chose, par une chose équivalente. Ce qui seul irremplaçable, c’est la personne, et c’est pourquoi elle n’a pas de prix : elle a une dignité, et le respect de cette dignité, chacun en convient, est le signe de la véritable appartenance à l’humanité. Traiter une personne comme une chose est le signe de l’inhumanité même ».
 
Le respect et la dignité
La notion de respect de l’être humain est souvent liée à celle de dignité. Bien qu’étant étroitement liées, elles ne se confondent toutefois pas. Alors que la dignité est un attribut, une qualité de la personne et de ses dérivés (son corps, ses organes, l’embryon ou le fœtus, le gène), le respect est une notion éthique qui traduit cette dignité. La dignité et le respect entretiennent donc des rapports de sujet à objet : chacun ayant l’obligation de respecter la dignité de l’autre. En d’autres termes, la dignité appelle le respect, qui est l’obligation d’avoir de la considération pour l’autre, de l’égard, de « le regarder vraiment comme un autre, autre identique à moi, porteur de la même humanité, de la même dignité que moi »[1]. Les droits fondamentaux (I) trouvent donc leur déclinaison dans la sauvegarde de la dignité de la personne présidant nécessairement aux pratiques soignantes (II).
 
II - Les droits fondamentaux
 
La naissance des droits fondamentaux
La doctrine des droits de l’homme, révélée par la pensée politique moderne dont Grotius, Hobbes et Locke figurent parmi les plus illustres représentants, décline l’idée de dignité individuelle qui s’attache à tout individu. Cette dignité s’exprime sur le plan juridique par un certain nombre de prérogatives, considérées comme inhérentes à l’être humain, et de ce fait fondamentales dans notre ordre juridique parce que liées aux droits fondamentaux de la personne, on peut aussi dire aux droits inhérents à la qualité d’être humain.
 
C’est ainsi l’ensemble du système juridique qui, dominé par un idéal de justice, s’inscrit dans la perspective des valeurs fondamentales de l’homme, des « droits de l’homme ». Le caractère immuable de ces valeurs explique la pérennité des textes qui les proclament et, par là même, la présence dans cet ouvrage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Trois étapes ont marqué l’ancrage des droits de l’homme dans notre démocratie, tout d’abord de façon générale, puis plus particulièrement dans le domaine de la santé.
 
L’évolution des droits fondamentaux
La première de ces étapes est celle de la Révolution Française, dont les principes se trouvent formulés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine n’est cependant pas l’apanage exclusif du droit français. Proclamé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, il constitue un principe fondamental du droit dans de nombreux pays.
La deuxième étape correspond à la période immédiatement postérieure à la Seconde Guerre mondiale et se trouve concrétisée dans le Code de Nuremberg. La découverte des pratiques auxquelles les médecins nazis s’étaient livrés apporta l’horrible démonstration des actes de barbarie auxquels peut conduire l’exercice de la médecine lorsqu’il est dénué de toute morale, de toute humanité. A partir de cette époque, les dirigeants du monde eurent pour objectif d’empêcher la répétition sous quelque forme que ce soit des crimes contre l’humanité perpétrés dans les camps sous couvert de recherches médicales. Afin de juger des crimes contre l’humanité perpétrés dans les camps de la mort par les médecins nazis, les juges du Tribunal de Nuremberg formalisèrent les principes éthiques dans le Code de Nuremberg, composé de dix principes fondamentaux relatifs à l’éthique de la recherche.
La troisième étape est celle de l’apparition et du développement de la biomédecine. Le droit de la biomédecine entretient des rapports étroits avec le domaine de la bioéthique, dans lequel il trouve ses fondements. Le domaine de la bioéthique, par son objet, est étroitement lié aux droits de l’homme, c’est-à-dire aux droits fondamentaux, inaliénables, imprescriptibles et universels dont dispose chaque individu dès sa naissance. La sauvegarde de la dignité de la personne humaine constitue le premier principe directeur de la réflexion bioéthique, l’axe sur lequel est bâtie cette réflexion et, par là, il représente le principe fondateur du droit de la biomédecine.
 
L’article 16 du Code civil, issu de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et destinée à l’encadrement des pratiques biomédicales, dispose ainsi que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Ainsi, les règles permanentes qui aujourd’hui dominent le droit de la biomédecine, parmi lesquels le principe de non patrimonialité du corps humain ou de gratuité des dons d’organes et de produits du corps humain, trouvent leur origine dans l’impératif catégorique formulé par Kant : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen »[2]. Il apparaît donc légitime de faire des textes relatifs aux droits de l’homme la référence première des droits de l’homme.
 
III -  Les pratiques soignantes
 
Intérêt des droits de l’homme dans les pratiques soignantes
Les droits de l’homme concernent au plus près les pratiques soignantes. La dignité de la personne humaine ne relève ainsi pas d’une rhétorique déclamatoire. Elle ne consiste pas uniquement, non plus, en un appel philosophique permettant de justifier l’existence des libertés individuelles.
 
Le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine apparaît au contraire un principe « positif », dont les effets fonctionnels irradient dans l’ensemble des droits de l’homme. D’ailleurs le juge, qu’il soit constitutionnel, administratif ou judiciaire, de même que le législateur, n’hésite aucunement à justifier la reconnaissance des prérogatives individuelles par le recours à cette dignité inhérente à l’être humain.
 
La pratique quotidienne des personnels soignants, des établissements de santé et, plus généralement, de tout fournisseur de soins se trouve donc complétée par l’impératif de respect des droits de la personne.
 
La dignité des patients
Pour ne citer que deux exemples, archétypaux, il suffirait ainsi de rappeler que l’article L. 1110-2 du Code de la santé publique dispose que « la personne malade a droit au respect de sa dignité ». Son pendant, destiné au secteur social et médico-social, figure à l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles qui dispose que « l’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : 1° le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité (…) ».
 
La dignité de la personne humaine est donc ce qui fonde un ensemble de prérogatives directement invocables par les patients et les résidents, afin d’obtenir le respect de leur qualité d’être humain.
 
L’autonomie de la volonté
Elle a notamment pour support le respect de l’autonomie de la volonté de l’individu en premier lieu et la sauvegarde de l’intégrité de son corps ensuite. L’appréciation de l’autonomie de la volonté, telle que faite par le droit, demeure bercée de l’illusion d’une application juridique directe des maximes philosophiques kantiennes.
 
Ce qui distingue en effet l’homme, et qui justifie la découverte de sa dignité, demeure sa capacité à se donner à soi-même sa propre loi, puis de faire de celle-ci un commandement universel par application de l’idée que tous doivent être traités comme une fin. Une telle appréciation implique donc deux conséquences immédiates.
 
La première réside dans l’importance essentielle qui est donnée à la volonté de la personne. Cette possibilité d’exprimer un consentement ou un dissentiment à un acte ou fait juridique quelconque reste caractéristique de la primauté que le Droit accorde à l’Homme.
 
Une telle primauté doit, toutefois, être utilisée à bon escient. Aussi, la loi dont l’individu souhaite se prodiguer doit, pour pouvoir recevoir une consécration juridique, demeurer capable et universalisable.
 
Dès lors que la volonté n’est plus apte à produire une telle loi, qu’elle en soit matériellement empêchée – aphasie, jeunesse, accident – ou qu’elle semble inefficace quant à ses conséquences – certains refus de soins ou des pratiques sexuelles trop destructrices – le juriste hésite à reconnaître une volonté autonome. Il ne lui fera produire alors aucune conséquence puisque, selon le système philosophique soutenant l’édifice juridique, une telle volonté ne peut être regardée comme « universelle ».
 
Dignité et information
C’est donc bien la dignité de la personne humaine qui, très tôt, a justifié l’exigence du respect du consentement de la personne malade. En ce sens, un acte médical, quel qu’il fut, même efficace pour l’amélioration de la santé du patient (et ce, malgré les difficultés d’une définition de la santé, comme l’a parfaitement mis en lumière un médecin[3]), ne peut être réalisé sans l’acquiescement explicite du patient.
 
Or, demeurant par nature un profane, ce dernier doit être mis en état de fournir, dans la mesure du possible, un consentement éclairé. Le Code de déontologie médicale, pour ne citer que lui, rappelle donc qu’il incombe au professionnel soignant de délivrer « une information claire, loyale et appropriée ».
 
En l’absence de satisfaction à une telle obligation et, à nouveau, quand bien même l’acte serait in fine profitable à la personne, il n’en demeure pas moins que sa réalisation non consentie surprend le patient et entraîne, en quelque sorte, une négation de son humanité. Celle-ci résidant exactement dans la possibilité, après information, d’exprimer un avis sur sa prise en charge, au contraire des choses dont on dispose, ce n’est pas la seule qualité de l’acte qui est imposée, mais bien la poursuite d’un objectif commun, consistant en la réalisation d’un acte diligent après accord de la personne.
 
Information et capacité
A l’inverse, certaines personnes s’avèrent inaptes à comprendre l’information prodiguée ou à exprimer un consentement. Différentes fictions juridiques permettent alors de pallier l’impossibilité d’une telle expression : les parents sont consultés pour leurs enfants mineurs, et le tuteur demeure compétent pour les personnes frappées par un tel régime d’incapacité.
 
Il demeure essentiel toutefois que le pragmatisme puisse prévaloir dans des situations extrêmes : dès lors que la vie d’une personne apparaît menacée, il appartiendra au fournisseur de soins de réaliser tous les actes indispensables à sa survie, en l’absence d’un tel consentement ou encore lorsqu’un refus est exprimé.
 
Si une telle possibilité ne figure pas dans la loi, elle y demeure implicitement formulée et, seule une loi contraire peut dispenser en ce sens les professionnels de sauvegarder l’existence d’une personne : c’est précisément l’objectif de la loi sur la fin de vie dont l’application est entourée de telles précautions qu’elle ne peut entraîner une remise en cause de ce principe général. Etre digne, c’est avant toute chose être vivant.
 
Dignité et intégrité corporelle
La seconde prérogative, consubstantielle à la dignité, réside dans le respect de l’intégrité du corps de la personne. Elle est notamment formulée à l’article 16-3 du Code civil qui interdit la réalisation d’un acte sur la personne humaine, en l’absence de son consentement d’une part et du respect des normes médicales d’autre part.
 
Car, pour le législateur en effet, un acte invasif pour le corps humain ne peut être licite que si ces deux conditions sont réunies. La seconde s’exprime alors soit dans un intérêt médical pour l’individu subissant l’atteinte, soit dans un intérêt plus collectif, justifiant certaines expérimentations biomédicales.
 
La justification de la faute médicale peut donc, aussi, être trouvée dans le respect des droits fondamentaux de la personne. L’obligation de réaliser des actes consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science, comme l’exprime le juge, trouve sa justification comme sa nécessité dans l’impératif de respect de la dignité de la personne humaine.
 
Respect de l’individu
Au travers de la sauvegarde dont l’individu bénéficie, il apparaît par conséquent possible d’établir tout un système de droits et libertés, mais aussi un régime cohérent de responsabilité des professionnels soignants autant qu’une éthique médicale complète. Et les pratiques professionnelles ne peuvent qu’acter de la nécessité de s’y conformer strictement, nécessairement aménagées pour les situations marginales qui ne manquent pas d’exister dans un domaine si intime à l’homme.
 
 

 
[1] G. Durand, Introduction générale à la bioéthique. Histoire, concepts et outils, Paris, Le Cerf, 1999, p. 405.
[2] Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Delagrave, 1965, p. 150.
[3] G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique / 10e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2005, « Quadrige ».