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Pénurie d'organes, éthique et santé publique

Pourquoi dit-on qu'il y a une pénurie d'organes à greffer en France ? Comment choisir le receveur ? Quelles informations doit-on communiquer au public ? Rencontre avec le Pr Didier Houssin (Hôpital Cochin) directeur général de l'Établissement français des greffes

Par: Jean-Christophe Mino, Médecin de santé publique, Dies /

Publié le : 17 juin 2003

Texte extrait du dossier "Greffe d'organes" de La Lettre de l'Espace éthique n°1, 1996.
Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.

 

Pourquoi dit-on qu'il y a une pénurie d'organes à greffer en France ? Comment choisir le receveur ? Pourquoi faut-il évaluer les greffes ? Quelles informations doit-on communiquer au public ? Voici quelques questions d'éthique qui se posent à un niveau collectif, c'est à dire en terme de santé publique, à propos des greffes d'organes en France. Pour y répondre, nous avons rencontré le professeur Didier Houssin chirurgien spécialiste de la greffe hépatique (hôpital Cochin) et directeur général de l'Établissement français des greffes (EFG), l'organisme public qui encadre, depuis les lois de bioéthique de 1994, la pratique de 30 000 greffes annuelle d'organes, de tissus et de cellules effectuées dans notre pays.

 

Une meilleure information

Didier Houssin insiste tout d'abord sur un point crucial qui influence toute l'organisation du système de transplantation d'organes : les greffons sont rares. En effet, aujourd'hui nos services de réanimation reçoivent peu de donneurs potentiels en état de mort cérébrale. Leur nombre déjà très restreint diminue pour deux raisons majeures :

- en premier lieu à cause du refus de prélèvement exprimé par la famille. Celui-ci est passé de 15 % en 1991 à 35 % actuellement, alors que 90 % des français acceptent de donner leurs organes en cas d'accident. En situation dramatique de décès inattendu d'un proche, les raisons de refus sont multiples, compréhensibles et la formulation de la demande joue un rôle primordial dans la réponse des familles ;

- le deuxième facteur moins connu du faible nombre de greffons disponibles relève de l'absence de prélèvements d'organes dans certains hôpitaux qui disposent pourtant de tous les moyens techniques pour les pratiquer. De telle sorte qu'une meilleure organisation interne et un travail en réseau entre les hôpitaux peuvent faciliter les prélèvements et augmenter le nombre de greffons disponibles.

Dans cette optique, l'EFG va lancer cet automne une vaste campagne d'information en direction du personnel hospitalier. Selon Didier Houssin, cette sensibilisation du milieu professionnel est primordiale. Elle va précéder l'information du grand public qui insistera l'année prochaine sur la nécessité de réfléchir au don d'organe, de se prononcer personnellement à ce sujet et de s'inscrire si nécessaire sur un registre national informatique de refus mis en place par l'EFG (toute personne résolument opposée à un prélèvement pourra faire enregistrer sa position).

 

La rigueur des indications de greffes

Les greffons sont donc rares dans notre pays pour de multiples raisons, mais la rareté ne suffit pas à expliquer la situation de pénurie. Si l'on veut comprendre la situation, on doit aussi s'intéresser aux demandes de greffes. En effet, on parle de pénuries d'organes à greffer lorsque le nombre de greffons disponibles est inférieur aux nombres d'indications de greffes, ce qui est actuellement le cas en France.

Ces indications de greffes dépendent de deux facteurs. Premièrement, le nombre de patients atteints de pathologies relevant de la greffe et deuxièmement, la décision de greffer prise par leurs médecins. Dans le contexte de pénurie actuel, la décision des médecins est primordiale puisqu'ils vont poser une indication de greffe pour un individu alors que d'autres patients attendent un greffon. Si cette indication est mal posée, le greffon ne pourra pas être disponible pour un patient qui en aurait plus besoin. Ainsi, on constate que la préoccupation des médecins se situe entre intérêt de l'individu et enjeux de santé publique.

C'est pour cette raison que Didier Houssin insiste sur l'importance de la justesse des indications de greffe. Tout d'abord, le patient peut-il bénéficier d'un traitement alternatif à la greffe ? Quel est le meilleur choix pour lui, médicalement, psychologiquement et socialement ? Deuxièmement, l'indication de greffe a-t-elle un caractère reconnu et évalué ? Par exemple, est-ce utile de greffer un foie chez un patient porteur de métastases hépatiques alors que les résultats dans cette indication sont décevants ? On comprend l'impératif moral que représente l'évaluation médicale des pratiques de greffes. Elle permet de pouvoir mieux soigner, surtout lorsqu'on se situe dans un contexte de pénurie. En conséquence, la mission d'évaluation des techniques et des équipes, confiée par la loi à l'EFG, est indispensable au sérieux scientifique et à l'éthique du système de transplantation français.

Pourtant, même si les patients inscrits sur les listes d'attente de greffes présentent tous des indications posées avec justesse et médicalement reconnues, il faut tout de même répartir les greffes le plus équitablement possible, ce qui représente une autre mission dévolue à l'EFG. Didier Houssin considère indispensable d'établir des
critères de répartition qui soient médicalement validés et socialement acceptables.

Ces critères ont été approuvés en 1995 par le ministère de la Santé et ont été débattus au sein de la commission de consultation publique sur les règles de répartition et d'attribution des organes prélevés sur des personnes décédées, qui a réuni des personnalités du monde de la santé mais aussi d'autres horizons. En juillet 1996, elle a remis son rapport à Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la Santé et à la Sécurité sociale.

 

Justice et équité

Ainsi, l'éthique de l'organisation du système de transplantation d'organes en France répond à un principe de justice collective. Il s'agit de mieux répartir les greffons au sein des équipes afin que tous soient soignés au mieux. On vise alors un impératif d'équité, tenant compte de l'intérêt de chacun selon ses besoins. Au plan individuel, il est anormal qu'une personne bénéficie inutilement d'une greffe alors qu'une autre en aurait eu plus besoin. Au niveau collectif, les régions les plus touchées par certaines pathologies devraient pouvoir disposer de plus de moyens. L'équité représente un idéal vers lequel on tend, et pour lequel il est nécessaire de
combattre sans relâche.

Pour que le système de transplantation soit juste et équitable, il est nécessaire de définir quels sont les besoins d'une population en terme de greffes d'organes et en quoi consiste l'utilité d'une greffe pour un individu. Ces notions de besoin et d'utilité n'existent pas hors de leur contexte et elles dépendent fortement de ceux qui ont mission de les définir dans le cadre d'un débat démocratique transparent : les médecins praticiens, les spécialistes de santé publique, l'EFG, les responsables financiers et politiques, les patients et leurs familles. Chaque observateur ayant un point de vue différent, il privilégie un aspect de la question. En conséquence, tous ces avis sont complémentaires et nécessaires pour construire et déterminer le système de transplantation le plus juste possible.

Au sein de ce dispositif, l'EFG est chargé, entre autres missions, d'appliquer les règles de répartition des greffons, d'évaluer le travail des équipes et les techniques, de gérer le registre national informatique de refus et d'informer le public. À ce titre, il joue un rôle primordial dans la régulation et l'équité du système de transplantation français, domaine dans lequel il est impossible de penser séparément santé individuelle et santé publique.