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Appel à contribution : La mort de l’éthique ? La démocratie en jeu
Appel à contribution pour le numéro 7 de la Revue française d'éthique appliquée. Date limite pour l’envoi des propositions : 18 septembre 2018
Par: Espace éthique/IDF /
Publié le : 02 Juillet 2018
La mort de l’éthique ? La démocratie en jeu
Ce numéro 7 de la Revue française d’éthique appliquée prendra l’éthique comme objet de réflexion. Il ne s’agira cependant pas, en première intention, d’inviter les contributeurs à proposer une définition philosophique de l’éthique, mais plutôt à la considérer comme un champ de pratiques sociales protéiformes se désignant elles-mêmes comme relevant de l’ « éthique ». Que devons-nous et que voulons-nous faire de cette profusion des pratiques de l’éthique ? Quels rôles social et politique cette sphère de l’éthique est-elle en mesure de porter dans les sociétés démocratiques pluralistes ?
Telles sont les questions qui seront au cœur du numéro 7 de la Revue française d’éthique appliquée.
Les pratiques de l’éthique : profusion et confusion
Plusieurs indices portent à penser que l’éthique est aujourd’hui un ensemble de pratiques diverses que seules relient entre elles le mot « éthique » ; autrement dit une nébuleuse de pratiques labellisées.
Le premier indice est celui de l’hétérogénéité radicale de ces pratiques, aussi bien du point de vue de leurs finalités – discussion, transformation des pratiques, rédaction d’une charte éthique, aide à la décision, etc. -, de leur échelle géographique, de la méthode explicite ou implicite qu’elles déploient, des savoirs qu’elle mobilise, de ses secteurs d’application, etc. C’est aussi bien vrai dans le contexte du soin (Jolivet, 2015) qu’au-delà.
Le second indice est le flou qui demeure autour de ce qu’est l’éthique. Aucun critère publiquement partagé ne permet aujourd’hui d’identifier des problèmes qui relèveraient proprement de l’ « éthique » et de désigner des personnes compétentes pour y répondre : « Il y a des gens dans le monde qui se désignent comme bioéthiciens (bioethicists). Mais il n’y a aucun consensus pour savoir à quelles fins ils font ce qu’ils font, ce qu’ils devraient faire et même ce qu’ils sont en train de faire », écrit le philosophe américain Engelhardt. Pour radicaliser ce constat, ajoutons que la labellisation éthique – ce qui fait qu’un problème est considéré comme un problème « éthique » - obéit à des logiques sociales complexes. Un certain nombre de pratiques se désignant elles-mêmes comme relevant de l’éthique sont proches de la déontologie ou de la gestion des risques. À l’inverse, d’autres pratiques ne se désignent pas comme éthiques alors qu’elles possèdent des caractéristiques – délibération collective, recherche d’un sens commun, critique des actions ou des organisations, etc. - qui pourraient les affilier à cette catégorie.
Cette confusion s’explique en partie pour une raison philosophique : l’éthique est par elle-même une notion floue et de nombreux désaccords de divers ordres - philosophico-politique, méta-éthique, voire métaphysique – persistent à son égard. Par exemple, le débat continue de faire rage entre les monistes pour lesquels l’éthique vise à identifier un bien commun et les pluralistes pour lesquels son rôle est de trouver un point de consensus entre une diversité irréductible de visions du bien (Fagot-Largeault, 1992). Par ailleurs l’éthique doit-elle vraiment mener à un consensus ou créer les conditions d’un dissensus (Mouffe) ? L’éthique doit-elle s’adosser à des théories morales ou s’attacher à explorer nos pratiques ordinaires (B. Williams, 1990 ; Laugier, 2001) ? Comme nous avons pu le remarquer lors des derniers Etats généraux de la bioéthique, ces désaccords profonds sont rarement implicites dans les débats publics de sorte qu’ils constituent l’arrière-fond impensé de désaccords proprement éthiques.
L’enjeu de la confusion
Cette confusion est problématique parce qu’elle fait le lit d’une instrumentalisation dont nous connaissons les multiples formes : valeur commerciale ajoutée, immunisation contre la critique ou ethical washing, « outil de gouvernance technocratique » (Littoz-Monnet, 2016), etc.
La confusion contribue en outre à réduire les possibilités de critiquer et de réguler les pratiques sociales. On pourrait déplorer par exemple qu’une approche étroitement conséquentialiste – en l’occurrence l’approche ELSI (Ethical, Legal and Social Impacts) – se soit imposée dans le champ techno-scientifique en se présentant comme l’incarnation de l’éthique à elle toute seule et évacuant de facto les autres options du champ de la réflexion (Guchet, 2016). Plus généralement, alors même que les instances d’éthique, bioéthique comprise, transforment en profondeur les pratiques sociales (Morin et Pirard, 2018), cette transformation ne répond pas à un projet commun et ne fait l’objet d’aucune concertation. L’ « éthique » s’apparente ainsi au blob, cet être unicellulaire dépourvu de cerveau mais capable de s’adapter à son environnement et d’interagir avec ce dernier.
Enfin, cette confusion est d’autant plus regrettable que l’ « éthique » est convoquée pour répondre, par la critique, éventuellement par la régulation, à l’anxiété et à la perplexité grandissantes des citoyens sur les innovations technologiques, dont les derniers Etats généraux de la bioéthique nous ont donné un net aperçu. L’enjeu posé par cette confusion n’est donc rien moins que la possibilité même d’une critique démocratique et, éventuellement, d’une régulation des pratiques sociales.
Dissiper le flou de l’éthique
Ce numéro 7 de la Revue française d’éthique appliquée pose la question de savoir comment les sociétés contemporaines pourraient dissiper le flou autour des pratiques de l’éthique dans l’espace public. Formulée positivement, la question revient à se demander quelle(s) reconnaissance(s) publique(s) l’ « éthique » doit se voir octroyer dans les multiples lieux et selon les multiples formes, échelles et degrés d’institutionnalisation où elle intervient.
Une première voie pour dissiper le flou serait de répondre par la négative : aucune reconnaissance publique ne doit être conférée à l’éthique. Sur la base des constats énoncés plus haut, cette option ferait valoir que les pratiques de l’éthique tendent à obstruer le sens critique des citoyens, voire à le capturer. Un autre argument pourrait faire valoir que structurellement, et non pas seulement conjoncturellement, l’éthique se dénature d’être institutionnalisée. C’est la conclusion qui semblerait pouvoir être tirée de l’ « éthique de situation » décrite par Hennion et Vidal-Naquet (2015) : « en suivant pas à pas les épreuves qui font évoluer une situation, nous tenons l’hypothèse (suivante) : celle d’une éthique de situation que le cours même des actions fait s’exprimer. Pour le dire crûment, « l’éthique est déjà dedans » ». La même idée est défendue notamment par l’anthropologue et philosophe Veena Das (2015) : « nous pouvons penser l’éthique comme intriquée dans nos actions les plus ordinaires, lesquelles peuvent tout aussi bien prendre la forme d’une négation de l’éthique ». Puisque les choix se font toujours dans l’informel de situations singulières, la formalisation de la réflexion éthique répond toujours (au mieux) au besoin de mettre en scène rétrospectivement une délibération collective déjà actée ou (au pire) au désir de normaliser les pratiques.
Peut-on, à rebours de cette première proposition, parier sur la possibilité d’un rôle bénéfique pour l’éthique dans les sociétés démocratiques pluralistes, assumant ainsi les espoirs placés en elles ? Plusieurs voies « positives » se dessinent alors pour dissiper la confusion. Nous en indiquons deux ici, laissant aux futurs auteurs la liberté d’en inventer d’autres.
La première consisterait à trouver une définition spécifique du contenu de la réflexion éthique, ou plus exactement une méta-définition qui fasse consensus par-delà les définitions existantes de l’éthique. Ce projet se heurte néanmoins d’emblée à une difficulté. Si tant est que nous puissions trouver un consensus en dépit des désaccords philosophiques cités plus haut, la définition devra néanmoins être suffisamment spécifique pour distinguer les pratiques de l’éthique d’autres types de réflexion collective. Si, par exemple, nous nous contentons de désigner la dimension axiologique comme l’unique critère distinctif de la réflexion éthique, comment la différencier d’autres types de pratiques sociales, comme la médiation, les réunions syndicales ou encore les débats politiques à l’assemblée qui mettent aussi en jeu des valeurs en conflit ? Comment la distinguer du reste de l’ensemble des pratiques ordinaires et justifier que leur soit attribué le label « éthique » ? Autrement dit, comment penser une définition qui, bien que consensuelle, soit suffisamment spécifique pour garantir les conditions d’une « autonomie de l’éthique » (Coutellec, 2017) à l’égard d’autres pratiques et d’autres champs ?
Une seconde voie propose de situer la spécificité des pratiques de l’éthique non plus dans la nature du questionnement qu’elle déploie mais dans le contexte d’émergence de ce questionnement. Ce déplacement du contenu vers le contenant invite à penser l’éthique comme un milieu rendant possible la confrontation critique de perspectives, de savoirs et d’intérêts qui, sans ce milieu, n’auraient pu se rencontrer. Cette hypothèse pose à son tour de nombreuses questions. Quelles seraient donc les caractéristiques de l’éthique comme milieu ? En quoi l’éthique se distinguerait alors d’autres formes d’expérimentation sociale mettant en jeu des points de vue en conflit ? Quelles sont les conditions théoriques et pratiques pour qu’émerge un questionnement éthique[1] ? En quoi importe-t-il que ce questionnement soit considéré par les parties prenantes comme relevant d’une pratique particulière que l’on nommera l’éthique ? Qu’implique une telle perspective au regard du paysage institutionnel de l’éthique aujourd’hui ?
Comme tous les numéros de la Revue française d’éthique appliquée, celui-ci est ouvert à toutes les disciplines et à tous les points de vue susceptibles d’apporter un éclairage sur les nombreuses questions posées dans cet appel à contribution ou de mettre en cause les affirmations qui y sont proposées.
Bibliographie indicative
- Claeys, S. 2018 – « L’éthique comme médiation. Pour une nouvelle intelligence des débats. Quelques réflexions sur les Etats généraux de la bioéthique 2018 » in Hirsch, E., Hirsch, F. (dir.), Traité de bioéthique (t.4), érès, 2018 (à paraître)
- Cobbaut, J.-P. 2017 – « Pour une gouvernance réflexive de la bioéthique », Revue française d’éthique appliquée, no4. 2017-2, p. 11-14
- Das, V. 2015 – « Ethics as the expression of life as a whole », essai disponible sur academia.edu
- Coutellec, L. 2016 – « Les conditions d’une autonomie de l’éthique », Revue française d’éthique appliquée, no2. 2016-1, p. 11-13
- Engelhardt, H.T. Jr. (ed.) 2012 - Bioethics Critically Reconsidered, 1 Philosophy and Medicine 100, DOI 10.1007/978-94-007-2244-6_1, C _Springer Science+Business Media B.V. 2012, p.1.
- Fagot-Largeault, A. 1992 – « La réflexion philosophique en bioéthique » in Parizeau, M.-H. (dir.), Les fondements de la bioéthique, Bruxelles, De Boeck Université.
- Hennion A., Vidal-Naquet P. 2015 – « « Enfermer Maman ! » Épreuves et arrangements : le care comme éthique de situation », Sciences sociales et santé, vol. 33,(3), 65-90. doi:10.1684/sss.2015.0304.
- Guchet, X. 2016 – « L’éthique des techniques, entre réflexivité et instrumentalisation », Revue française d’éthique appliquée, no2. 2016-1, p. 8-10
- Jolivet, A. 2015 – « Étude des démarches en éthique du soin et de l’accompagnement dans les établissements de santé en Ile-de-France », Rapport de l’Observatoire des pratiques éthiques de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, 2015, consultable à l’adresse : https://tinyurl.com/y8mbl885
- Laugier, S. 2001 – « Pourquoi des théories morales ? L’ordinaire contre la norme », Cités 2001/1 (n° 5), p. 93-112. DOI 10.3917/cite.005.0093
- Littoz-Monnet, A. 2016 – « L’expertise éthique, un outil de gouvernance technocratique ? », Revue française d’éthique appliquée, no2. 2016-1, p. 5-7
- Morin A.-L., Pirard V. 2018 - « Les voies de la bioéthique sont-elles régulables ? » in Hirsch, E., Hirsch, F. (dir.), Traité de bioéthique (t.4), érès, 2018 (à paraître)
- Mouffe, C. 2016 – L’illusion du consensus, trad. P. Colonna d’Istria, Albin Michel (Routledge, 2005).
- Parizeau, M.-H. 1996, « Éthique appliquée » in Canto-Sperber, M. Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, p. 694-701.
- Schmid, A.F. 2016 – « Les ambiguïtés de l’éthique appliquée », « Les ambiguïtés de l’éthique appliquée », Revue française d'éthique appliquée, 2016-1, p. 92-106.
- Sicard, D. 2006 – L’alibi éthique, Plon, Paris.
- Williams, B. 1990 – L’éthique et les limites de la philosophie, trad. M. Lescourret, Paris, Gallimard (Harvard University Press, 1985).
Modalités de soumission
Initiative de l’Espace éthique de la région Ile-de-France et du département de recherche en éthique de l’Université Paris-Sud Paris-Saclay, la Revue française d’éthique appliquée est une publication universitaire francophone à comité de lecture. Sa vocation est de contribuer à la valorisation et la diffusion de la réflexion et de la recherche en éthique appliquée. Pour en savoir plus sur la revue, veuillez consulter http://www.espace-ethique.org/revue
Ce numéro sera publié dans le premier semestre de l’année 2019.
Les propositions d’article sont à envoyer aux adresses revue@espace-ethique.org et paul-loup.weil-dubuc@u-psud.fr avant le 18 septembre 2018 et doivent compter environ 4000 signes (espaces comprises). Anonymes, elles comporteront un titre et des références bibliographiques. Un document distinct et joint présentera le ou les auteurs (Nom, prénom, institution, laboratoire, adresse mail). Les propositions seront examinées par le comité de sélection détaillé ci-dessus.
Lancement de l’appel à contribution : 29 juin 2018
Date limite pour l’envoi des propositions : 18 septembre 2018
Retour évaluation : 25 septembre 2018
Remise du texte complet : 21 décembre 2018
Coordination scientifique du dossier :
BRUGERON, Pierre-Emmanuel, Chef de projet éditorial, Espace de réflexion éthique Ile-de-France, Paris
CLAEYS, Sébastien, Responsable de la communication et de la médiation, journaliste-essayiste, Espace de réflexion éthique Ile-de-France
COUTELLEC, Léo, Enseignant-chercheur (MCF) en éthique et épistémologie des sciences, Labex Distalz, Université Paris-Sud Paris-Saclay
DEMUTH-LABOUZE, Karine, Enseignante-chercheure (MCF) en éthique et biologie, Université Paris-Sud Paris-Saclay
MICHALON, Robin, doctorant en histoire des sciences, Centre Alexandre Koyré, EHESS
MOSER, Sebastian J., Chercheur en sociologie, Labex Distalz, Université Paris-Sud Paris-Saclay
WEIL-DUBUC, Paul-Loup, Chercheur en éthique et philosophie politique, Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Labex Distalz, Université Paris-Sud Paris-Saclay
ZUPPINGER, Thibaud, Consultant en entreprise, Docteur en philosophie, Directeur de la publication de la revue Implications Philosophiques
[1] Voir sur ce point l’article d’Anne-Françoise Schmid « Les ambiguïtés de l’éthique appliquée » (2016)