Notre Newsletter

Initiative

Appel à contribution: L’éthique hors les murs - Questionner la transmission des pratiques de l’éthique

Appel à contribution pour le numéro 15 de la Revue française d’éthique appliquée, ouvert jusqu'au 13 janvier 2022

Par: Espace éthique/IDF /

Publié le : 07 Novembre 2022

Appel à contribution

Équipe de coordination
Sébastien Claeys, responsable du débat public, Espace éthique Île-de-France, professeur associé, Sorbonne Université, membre du comité éditorial de la Revue française d’éthique appliquée
Karine Demuth-Labouze, Maître de conférences en biochimie et bioéthique, Université Paris-Saclay
Renaud Hétier, professeur en sciences de l’éducation et de la formation, UCO Angers
Paul-Loup Weil-Dubuc, responsable de la recherche, Espace éthique Île-de-France, Rédacteur en chef de la Revue française d’éthique appliquée
Pierre-Emmanuel Brugeron, responsable du pôle ressources, Espace éthique Île-de-France, rédacteur en chef adjoint de la Revue française d’éthique appliquée

Appel à contribution

La culture et les pratiques de la réflexion éthique sont au cœur des préoccupations contemporaines dans des domaines de plus en plus variés. C’est ainsi que l’émergence des éthiques appliquées depuis les années 1970 (Marzano, 2008) croise des enjeux contemporains qui remobilisent ce champ de recherche : le développement des pratiques de réflexion éthique en entreprise[1] – dans l’hôpital (Jolivet, 2015), dans les start-ups d’outils numériques en santé, dans les métiers de la communication… –, les initiatives de débats publics sur les questions de bioéthique (Espace éthique Île-de-France, 2022), l’introduction de débats éthiques dans les milieux scolaires à travers l’Éducation Morale et Civique (EMC), la création de comités d’éthique de la recherche, ou encore l’obligation de former les doctorants à l’éthique et à l’intégrité scientifique. De même, le tournant des politiques inclusives tend à accentuer ce mouvement en faisant sortir la pratique de la réflexion éthique des lieux de soin – établissements hospitaliers et médico-sociaux – où elle s’est ancrée depuis les années 1990, pour se diffuser dans toutes les structures qui reçoivent des publics potentiellement vulnérables – centres sportifs, théâtres, musées… On le voit, la transmission de l’éthique, ce n’est plus uniquement son apprentissage académique, mais bien sa diffusion et sa pratique dans de nouveaux milieux.
Pourtant, alors même qu’elle tendrait à s’en échapper, cette réflexion sur la transmission des pratiques de réflexion éthique puise ses racines dans les traditions philosophiques et universitaires. Si nous essayons de trouver un point commun entre les différentes conceptions de l’éthique, nous pouvons avancer que toutes mettent au centre de leurs enjeux une réflexion sur la transmission. Transmission des valeurs et des principes – éthique déontologique –, transmission des bons comportements – éthique des vertus –, ou encore transmissions d’une méthode de délibération et d’une culture de la réflexion partagée – éthique de la discussion. Or, ces différents modes de transmission ne sont jamais sans poser problème : comment transmettre des valeurs sans nier leur diversité dans notre société (Weil-Dubuc, 2017) ? Comment transmettre des pratiques professionnelles sans une autorité qui définit ce qu’est le bien ? Comment organiser un débat public reposant sur des méthodologies de réflexion éthique sans faire valoir une expertise qui étouffe la discussion (Claeys, 2018) ?
Interroger ces modes de transmission dans de nouveaux milieux, c’est ainsi questionner la nature de la réflexion éthique et mettre en jeu ses définitions. Cet enjeu n’est pas nouveau. Savoir quelle est la définition de la vertu, et, partant, comment elle peut s’enseigner, c’est la question qui est posée dans le Ménon de Platon (1999). Les deux dimensions sont, ici, intimement liées : si la vertu relève de la science, alors elle peut s’enseigner ; si elle relève d’une « opinion droite » pour guider l’action, alors elle est plutôt issue d’une forme d’inspiration et ne peut pas s’enseigner. En creux, c’est aussi la question posée dans les Fondements de la métaphysique des mœurs de Kant (1993) : comment fonder rationnellement les principes moraux afin de les transmettre et de guider notre action à travers eux ? D’autres approches de la transmission d’une réflexion éthique ou d’une attitude éthique pointent l’impossibilité de tisser un rapport avec le monde et avec les autres à travers des dimensions axiologiques, rationnelles ou des savoirs abstraits, et affirment que cette transformation intérieure relève davantage de l’affect et de la sensibilité (Nussbaum, 2013 ; Coutellec, Moser, Rosa, 2021). Nous naviguons ici entre apprentissage rationnel et transformation sensible et affective.
Ces enjeux nous interrogent aussi sur la nature de l’éducation dans le champ de l’éthique. Selon Hannah Arendt (1989) le problème original posé par l’éducation, c’est l’introduction de nouvelles générations dans un monde préexistant. On peut penser que cette idée résonne parfaitement avec la transmission de la réflexion éthique : le monde est tissé d’us et coutumes, de normes et de valeurs qui pourront être réévaluées par les nouvelles générations en fonction des nouveautés technologiques, des nouvelles conditions d’existence (on pense ici au changement climatique, par exemple), ou par de nouvelles conceptions de la vie en société (nouveaux droits, politique d’inclusion de personnes qui étaient mises à la marge de la société, etc.). Les deux dimensions de l’éthique sont ici présentes à travers cette réflexion sur l’éducation : une forme de fidélité (transmission de valeurs et de modes de vie) et un arrachement aux principes ou aux valeurs préétablies (les nouvelles générations vont transformer le monde).
Cependant, si l’on suit Hannah Arendt, on ne peut pas penser la transmission de l’éthique sur le modèle de l’éducation. Si l’école a pour vocation d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde, elle n’a pas pour rôle de leur inculquer un « art de vivre ». Par ailleurs, « la ligne qui sépare les enfants des adultes devrait signifier qu’on ne peut ni éduquer les adultes ni traiter les enfants comme de grandes personnes ». C’est en cela que nous pourrions différencier la transmission de la réflexion éthique d’une forme d’éducation scolaire et penser la transmission de la réflexion éthique dans les milieux professionnels – à l’hôpital à travers la formation initiale ou les comités d’éthique (Fleury, Berthelier, Nasr, 2019), par exemple, ou dans les équipes de recherche – et à destination des adultes, sans les traiter comme des enfants. Cette réflexion nous invite aussi à penser que l’utilisation des méthodes de réflexion éthique dans les établissements scolaires[2] est une manière d’apprendre aux élèves à devenir, petit à petit, adultes et responsable du monde commun – par exemple, à développer une forme d’esprit critique nécessaire à l’ère de la désinformation et du décloisonnement des savoirs en ligne (Attali, Bidar, Caroti, Coutouly, 2019).
Pour aller plus loin, les enjeux de la transmission de l’éthique hors les murs de l’université interrogent, enfin, la nature des savoirs à acquérir et à élaborer en éthique. En effet, la réflexion éthique intervient dans des situations complexes, quand aucun savoir, aucune loi ou aucun code de déontologie ne peut nous éclairer de manière simple et sans ambiguïté (Claeys, 2019). Le milieu de l’éthique, c’est l’incertitude et l’ignorance consciente d’elle-même ; c’est une manière de faire avec les non-savoirs (Claeys, 2020). En cela, c’est un art du questionnement qu’il s’agirait d’appréhender, mais aussi un art du dialogue et une élaboration collective des savoirs. En éthique, nous sommes tous des « maîtres ignorants » (Rancière, 1987) et notre rôle de passeurs d’éthique serait de faire émerger les questionnements sur les valeurs en jeu, les finalités de nos actions et leurs conséquences (Demuth-Labouze, 2018) en vue de produire de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être (Claeys, 2020 et 2021), que cela soit dans un milieu professionnel, en milieu scolaire ou lors de débats publics.
Nous pouvons donc nous interroger sur ce que nous transmettons quand nous transmettons une pratique de l’éthique – des savoirs, des habitudes, une culture commune à un groupe, des procédures de réflexion ? –, ce que nous faisons – une forme de médiation, d’éducation, d’instruction, une production collective de savoirs ? –, et sur la finalité de cette activité – transmettre des principes, accompagner le changement, développer la citoyenneté, etc.

Champs de réflexion possibles

I. Comment transmettre la pratique de la réflexion éthique dans de nouveaux milieux ? Quelles sont les modalités de la transmission de la pratique de la réflexion éthique dans le monde scolaire, tout comme dans le monde professionnel ? Quels liens entre la théorie et la pratique, l’expérience vécue et les principes ? Comment transmettre les savoirs philosophiques ou éthiques en situation professionnelle ou en contexte de vulnérabilité ? Comment transformer les comportements, les habitudes, les ethos ? Comment se transmet le goût de la réflexion éthique et la sensibilité à ces questions ? Comment transmettre une pratique vivante ?
II. En quoi la transmission de l’éthique questionne la pratique de l’éthique elle-même, notre rapport aux savoirs et nos approches de la délibération ? Quelle éducation pour quelle éthique ? En quoi la transmission de l’éthique est-elle un moteur de la réflexion éthique elle-même ? Quelles peuvent être les figures de l’éthique mobilisées dans la transmission : une éthique des valeurs, une éthique de la discussion, une éthique comme une forme de médiation ? En quoi la pratique de l’éthique peut-elle produire de nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être ? En quoi elle peut participer à mettre en place un espace commun ?
III. Qu’est-ce que la pratique de l’éthique apporte aux méthodes d’enseignement ? Quelle est la place de la pratique de réflexion éthique dans l’enseignement apporté aux élèves, aux étudiants, ou aux professionnels (apports et limites) ? Quelle peut-être la portée de la réflexion éthique dans la formation initiale et continue des professionnels ? En quoi l’éthique peut permettre d’élaborer de nouveaux savoirs ? Quels apports de la pratique de l’éthique par rapport aux méthodes de développement de l’esprit critique chez les élèves ? Quelles différences ? Quelles méthodes ? Comment renouveler les méthodes éducatives par la pratique de l’éthique ? En quoi la pratique de l’éthique permet de répondre aux nouveaux enjeux éducatifs du XXIe siècle (évolutions sociales, Anthropocène, circulation des informations, etc.) ?
 
[1] Comme dans le Manifeste « Ethics by design », par exemple, qui travaille sur les enjeux éthiques de la création de produits et de services.
[2] Par exemple, le programme « Transmissions » mené dans les établissements scolaires par l’Espace éthique Île-de-France. URL : https://www.espace-ethique.org/education-transmissions

Références

Arendt, H. 1989. La crise de la culture, Paris, Folio Essais
Attali, G., Bidar, A., Caroti, D., Coutouly, R. 2019. Esprit critique. Outils et méthodes pour le second degré, Futuroscope, Éditions Canopé.
Claeys, S. 2018. « L’éthique comme médiation. Pour une nouvelle intelligence des débats. Quelques réflexions sur les États généraux de la bioéthique 2018 », Emmanuel Hirsch éd., Traité de bioéthique. IV - Les nouveaux territoires de la bioéthique, Toulouse, Érès, , pp. 25-40.
Claeys, S. 2019. « Nous apprenons l’éthique en la pratiquant ensemble », Journal Poléthis, N°2, Université Paris-Saclay.
Claeys, S. 2020. « Apprendre à ne pas savoir », Educateur, numéro spécial : « Mission : transmission ! », syndicat des enseignant.es romand.es.
Claeys, S. 2020. « Face à l’incertitude, faire entrer la réflexion éthique à l’école », The Conversation. URL : https://theconversation.com/debat-face-a-lincertitude-faire-entrer-la-reflexion-ethique-a-lecole-147338
Claeys, S. 2021. « Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?  », The Conversation. URL : https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996
Coutellec, L., Moser, S., Rosa, H. 2021. « Introduction au dossier Être touché. Éthique, épistémologie et politique des affects en temps de crise », Revue française d'éthique appliquée, vol. 11, no. 1, 2021, pp. 27-32.
Demuth-Labouze, K. 2018. « Éducation des futurs citoyens à la réflexion éthique : présentation et évaluation d’outils méthodologiques », Droit, Santé et Société, vol. 1-2, no. 1-2, pp. 5-19.
Demuth-Labouze, K. 2019. « Potentialités du débat éthique en termes d’anticipation adaptative des inégalités scolaires et sociales », Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, (53). URL : https://doi.org/10.4000/edso.6905
Espace éthique Île-de-France, « Edition du génome », Coll. Débat public, n°1. URL : https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/debat_public_1_numerique_page.pdf
Jolivet, A. 2015. « Rapport de l'Observatoire : Étude des démarches en éthique du soin et de l'accompagnement dans les établissements de santé en Ile-de-France », Espace éthique Îel-de-France.
Kant, E. 1993. Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Le livre de poche.
Fleury, C., Berthelier, B., Nasr, N. 2019. « Enseigner l’éthique et les humanités en santé dans les facultés de médecine françaises : état des lieux et perspectives », Chaire humanités et santé (CNAM), Chaire de philosophie à l’hôpital (GHU Paris psychiatrie et neurosciences)
Marzano, M.2008. L’éthique appliquée, Paris, Que sais-je ?
Nussbaum, M. 2013. Political Emotions: Why Love Matters for Justice, Cambridge, Harvard University Press.
Platon, 1999. Ménon, Paris, Flammarion.
Rancière, J. 1987. La maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard.
Weil-Dubuc, P.-L., 2017. « Forum #10 : Les valeurs peuvent-elles s’enseigner ? (15 février 2017) », espace-ethique.org. URL : https://www.espace-ethique.org/forum-10-les-valeurs-peuvent-elles-senseigner-15-fevrier-2017

Modalités de soumission d'article

Initiative de l’Espace éthique de la région Île-de-France et de l’équipe Recherches en éthique et en épistémologie (CESP U1018/Inserm/Paris-Saclay), la Revue française d’éthique appliquée est une publication universitaire francophone à comité de lecture. Sa vocation est de contribuer à la valorisation et la diffusion de la réflexion et de la recherche en éthique appliquée.
Le numéro 15 sera publié au deuxième semestre de l’année 2023. Les propositions d’article sont à envoyer aux adresses revue@espace-ethique.org et doivent compter environ 4000 signes (espaces comprises). Anonymes, elles comporteront un titre et des références bibliographiques. Un document distinct et joint présentera le ou les auteurs (Nom, prénom, institution, laboratoire, adresse mail). Les propositions seront examinées par les coordinateurs du dossier. Chaque article fera ensuite l’objet d’une double évaluation par un membre du comité éditorial de la revue et un relecteur extérieur à la revue.

Lancement de l’appel à contribution : 7 novembre 2022
Date limite pour l’envoi des propositions : 13 janvier 2023
Retour de l’évaluation des propositions : 5 février 2023
Remise du texte complet : 12 mai 2023