Notre Newsletter

texte

article

Refus de soins : de la confrontation à la négociation

"Pour préserver une identité fragilisée par l’âge et/ou la maladie, certaines personnes préfèrent refuser tous les éléments qui pourraient révéler une dépendance. Face à ce type de refus, la sécurisation de la personne dans son identité, par la reconnaissance de ce qu’elle est en tant que personne et non en tant que « malade », peut alors faciliter son acceptation. À l’inverse, la confrontation frontale d’un soignant tentant de convaincre de son expertise ne pourra qu’aggraver la situation."

Par: Aline Corvol, Gériatre, CHU de Rennes /

Publié le : 28 Juillet 2014

Les soignants, en particulier ceux qui travaillent auprès de personnes présentant des troubles cognitifs, sont quotidiennement confrontés à des patients qui refusent certains soins : refus d’une aide à la toilette, refus de l’intervention d’une aide à domicile, de prendre les médicaments, d’être hospitalisé, de s’alimenter… Ces refus sont d’autant plus difficiles à supporter qu’ils interrogent le soignant dans son identité : son rôle est de porter assistance, d’aider, de secourir. Son intervention perd donc son sens si elle est comprise comme une agression. Comment, alors, rester « soignant » dans ces situations ?
Une première étape consiste à comprendre le refus de soin, autrement dit ce qui est refusé (la toilette, l’aide pour la toilette, l’heure ou le lieu de la toilette ?) et le pourquoi de ce refus  (« je suis propre », « je peux le faire seul », « je n’aime pas telle aide-soignante »).
L’anthropologue F. Balard (1) a montré que beaucoup de refus traduisaient la revendication d’un droit de choisir, donc une volonté d’exister, de s’affirmer. Pour préserver une identité fragilisée par l’âge et/ou la maladie, certaines personnes préfèrent refuser tous les éléments qui pourraient révéler une dépendance. Face à ce type de refus, la sécurisation de la personne dans son identité, par la reconnaissance de ce qu’elle est en tant que personne et non en tant que « malade », peut alors faciliter son acceptation. À l’inverse, la confrontation frontale d’un soignant tentant de convaincre de son expertise ne pourra qu’aggraver la situation.
 
Deuxième étape, s’interroger sur les conséquences de ce refus, c’est-à-dire réévaluer l’indication du soin proposée. Une personne qui refuse d’avaler 15 comprimés par jour fait peut-être preuve de bon sens et il est possible d’interpeler le médecin traitant sur l’indication de chacun des traitements. Une personne qui redoute l’irruption dans son quotidien d’une aide à domicile par crainte que celle-ci ne se montre intrusive — ou simplement qu’elle perturbe sa routine — peut aussi être entendue. Le manque d’hygiène n’a le plus souvent que peu d’influence sur l’état de santé d’une personne mais peut en avoir sur sa vie sociale. Certains refus seront alors jugé acceptable ou du moins « négociable » par le soignant.
Il faut ensuite évaluer dans quelle mesure la personne a compris les conséquences de son refus. Selon la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, le refus d’une personne informée, qui comprend les conséquences de son refus, doit s’imposer au soignant. Malgré son désir légitime (comme souvent la famille) de la protéger, la personne malade a « droit au risque » et peut préférer, par exemple, « mourir chez elle » plutôt que d’entrer en maison de retraite. Le rôle du soignant est alors d’éclairer son choix en lui expliquant les conséquences, et, dans la mesure du possible, en tentant d’ouvrir d’autres solutions. La situation est bien sûr très différente lorsque la personne ne réalise pas les conséquences de son refus. Cette difficulté à comprendre peut-être le fait de troubles cognitifs (troubles du jugement par exemple), psychiatriques (délire paranoïaque, dépression…) ou psychologiques (déni de la situation…) et être ou non réversible.
 
C’est dans ces situations que les soignants peuvent être conduits à imposer d’une façon ou d’une autre des soins au patient. Il s’agit alors toujours d’une forme de violence, et le bénéfice du soin proposé doit être évalué au mieux de manière collégiale et en consultant les proches du patient, la personne de confiance en particulier, au regard des effets délétères de l’intervention.
Des soins sous contrainte en milieu psychiatrique peuvent être proposés aux personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins immédiats. Ce dispositif légal implique une certaine violence puisque la personne sera « enfermée » sans son consentement, contention physique qui sera souvent associé à une contention chimique.
D’autres stratégies sont couramment utilisées par les soignants pour faire accepter des soins à des personnes qui les refusent a priori sans en comprendre les conséquences : insister lourdement, manipuler (« faites-le pour me faire plaisir »), mentir (expliquer par exemple que l’aide à domicile vient pour aider le conjoint dans les taches ménagères alors que l’objectif est une surveillance de la personne), menacer (« si vous ne prenez pas vos médicaments, vous finirez à l’hôpital ! »)…
 
L’évaluation éthique de telles pratiques violentes, même si elles permettent d’éviter l’utilisation de contentions physiques ou chimiques, doit tenir compte de l’objectif ultime du soignant. Elles peuvent  être acceptables si elles permettent à la personne de réaliser son « projet de vie » (rester chez elle, voir ses proches…) en limitant au maximum le niveau de contrainte ressenti.
Face au refus, il est primordial que le soignant cherche d’abord le dialogue et évite la confrontation. Il doit être prêt à remettre en cause son évaluation d’expert pour entendre la subjectivité d’une personne qui défend une autonomie qu’elle sent menacée. Cette posture de négociation permet de formuler d’autres propositions d’autant plus acceptables que la personne aura le sentiment d’avoir été entendue.
 
Notes 
(1) Corvol A, Balard F, Moutel G, Somme D. « Refus de soins opposés aux gestionnaires de cas par des personnes âgées en situation médico-sociale complexe : regards croisés ».  Revue de médecine interne 2014;35(1):16-2014.