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L’anticipation de la volonté, un défi juridique

"Diverses raisons expliquent le peu de succès rencontré par les mesures d'anticipation, parmi lesquelles on relève la difficulté d’anticiper le moment que l’on redoute, la crainte de figer certaines des circonstances d’une situation future dont on tant l’échéance que le contexte, ainsi que la méconnaissance des textes."

Par: Valérie Depadt, Maître de conférences, Université Paris 13, Sciences Po Paris, Conseillère de l’Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France /

Publié le : 04 juin 2015

Depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l’une des priorités du législateur réside dans le respect de la volonté du patient, cela quel que soit l’état de santé de ce dernier et même s’il n’est plus en mesure de l’exprimer. Or, tenir compte de la décision d’une personne qui n’est plus en capacité de la faire connaître apparait a priori paradoxal, excepté si l’on prend en compte la déclaration par anticipation, en amont du moment où survient l’incapacité.
Ainsi, le droit a institué diverses mesures anticipatives, parmi lesquelles le mandat de protection future, la désignation d’une personne de confiance et les directives anticipées.
Le mandat de protection future, organisé par la loi du 5 mars 2007 relative à la protection des personnes majeures, est une institution de nature contractuelle qui, si elle connaissait le développement attendu, permettrait d’éviter le recours aux mesures de protection judicaire. Défini à l’article 477 du Code civil, il permet à toute personne majeure ou mineure émancipée qui n’est pas placée sous une mesure de tutelle de charger une personne de la représenter si elle venait à ne plus être en état de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, de ses facultés mentales ou intellectuelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté. Par le mandat de protection future, le mandant peut prévoir la protection de ses biens ou de sa personne. Ainsi, le mandataire peut être également désigné comme personne de confiance.
La loi du 4 mars 2002 a permis à toute personne majeure de désigner une personne de confiance qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. La personne de confiance, visée à l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique, porte et fait connaître la volonté de celui ou celle qui l’a désignée, mais à aucun moment, elle ne substitue sa volonté à celle du patient. Cette désignation, qui en tant que telle ne nécessite pas l’accord de la personne désignée, peut être révoquée à tout moment.
Le rôle de la personne de confiance, précisé par la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie, se trouve renforcé dans le projet de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, projet qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, se trouve débattu devant le Sénat. Il s’y trouve prévu, notamment, que son témoignage prévaut sur tout autre et qu’elle est en droit de demander que lui soient fournies les indications du dossier médical lui permettant de vérifier si la situation médicale de la personne concernée correspond aux conditions inscrites dans les directives anticipées.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie a ajouté une nouvelle forme de manifestation de volonté anticipée, en insérant dans le code de la santé publique la notion de directives anticipées. Aux termes de l’article L. 1111-1l, il est désormais possible pour toute personne majeure de rédiger des directives anticipées, révisables à tout moment, pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté concernant les conditions de la limitation ou de l'arrêt des traitements lors de la fin de sa vie. Le médecin est tenu de consulter les directives anticipées, mais il est libre de les suivre ou non, elles ne sont qu’une des données de sa décision. La proposition de loi précitée, si elle aboutit, amplifiera sensiblement leur portée, puisqu’elles s’imposeraient au thérapeute, excepté en cas d’urgence ou si elles apparaissent manifestement inappropriées.
Actuellement, aucune de ces deux dernières mesures ne connaît davantage de succès que le mandat de protection future. Diverses raisons expliquent ce phénomène, parmi lesquelles on relève la difficulté d’anticiper le moment que l’on redoute, la crainte de figer certaines des circonstances d’une situation future dont on tant l’échéance que le contexte, ainsi que la méconnaissance des textes. Pourtant, en dépit du fait qu’une volonté qui n’est pas exprimée en temps réel peut sembler fragile au regard du caractère changeant des idées, ces mesures sont le moyen d’optimiser la possibilité pour le médecin de ne pas contrevenir aux souhaits du patient. C’est pourquoi le législateur ne relâche pas son effort, afin d’enraciner l’anticipation dans notre culture, tant par l’information des personnes que par la formation des soignants.