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Accompagner au domicile, le choc des intimités
"Il y a dans les foyers ces espaces de non-dits, de complicité, de connivence, parfois de haine et de mépris, de souffrance, mais aussi de rires, de plaisir à se retrouver, de confiance et de partage. Il est tellement difficile de parler de ce que les mots de celui que l’on vient aider ont pu déclencher chez nous, de bon ou de mauvais, de déroutant, d’inattendu."
Par: Céline Louvet, Directrice du Pôle Aide à domicile, Association des paralysés de France (APF), Paris /
Publié le : 11 Décembre 2015
Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.
Intervenir au domicile, chacun le sait, c’est travailler dans le lieu de l’expression de la vie privée, de l’intimité de l’autre vulnérable et de son entourage. C’est avec une humilité indispensable qu’on accepte que les portes ne s’ouvrent pas, de se retrouver totalement mis à l’écart de certaines discussions, de rester dans un couloir. Intervenir au domicile, c’est rencontrer l’autre que l’on vient accompagner, dans ce qu’il exprime de ses choix, de ses revendications, de ses croyances. C’est savoir qu’il y a parfois peu de place à l’échange, car cet espace intime n’autorise pas le professionnel à livrer sa propre part d’intimité, ou très peu. L’exercice professionnel contraint à la maîtrise des propos, au silence des réponses à des discours parfois difficiles à entendre, à accepter. Certains reviennent parfois d’une intervention et se demandent comment retourner dans un lieu de vie où s’exprime une violence qu’il n’est pas toujours aisé de dénoncer sans déséquilibrer un édifice construit dans le temps ; mais une violence qu’ils ne se sentent pas capable d’accompagner sans sanctionner.
Il y a dans les foyers ces espaces de non-dits, de complicité, de connivence, parfois de haine et de mépris, de souffrance, mais aussi de rires, de plaisir à se retrouver, de confiance et de partage. Il est tellement difficile de parler de ce que les mots de celui que l’on vient aider ont pu déclencher chez nous, de bon ou de mauvais, de déroutant, d’inattendu.
On voudrait respecter l’autre dans tout ce qu’il est, sans jugements, mais la réciproque n’est pas toujours vraie, l’accompagnant se retrouve alors confronté à sa subjectivité et à sa fragilité professionnelle. Les troubles cognitifs expliquent régulièrement l’intolérable de ces situations, leur marginalité. L’expression d’un racisme, d’un antisémitisme, de propos de rejet existent au sein des familles et les professionnels se taisent souvent pour garantir la continuité des soins et de l’accompagnement.
La reconnaissance réciproque, et la non-maltraitance des deux parties, est nécessaire à une bonne relation d’accompagnement. Or, ceux qui accompagnent à domicile sont souvent confrontés à des situations où leur subjectivité est mise à mal. Ils sont alors seuls au sein même de leur pratique professionnelle. Ce sont ces préoccupations, régulières dans ma pratiques, qui m’inscrivent dans cette dynamique de travail autour de nos valeurs Républicaines exprimées au cœur du prendre soin.
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