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editorial
Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /
Publié le : 10 Février 2011
Des sénateurs ont pris l’initiative de la discussion vers le 20 janvier 2011 d’une proposition de loi visant à mettre en œuvre dans notre pays l’euthanasie active, c'est-à-dire l’acte permettant à un professionnel des santé d’injecter la mort à une personne qui le demande, après un certain nombre de précautions destinées à s’assurer que son choix est volontaire, éclairé et sa volonté répétée dans le temps.
Les personnes âgées, sans être pour cela atteintes d’un déficit cognitif quelconque, surtout lorsque ce sont des femmes fragilisées moralement et financièrement par un veuvage récent, expriment toujours une grande inquiétude à l’idée « d’ennuyer » leurs enfants, et surtout de leur « coûter » quelque chose si elles ne peuvent plus faire face à leurs charges financières.
Toujours mères protectrices, même au très grand âge, que peut-on imaginer des pressions morales que pourraient exercer certains entourages indélicats sur ces mères angoissées pour leur avenir ?
À la lumière des publications scientifiques récentes qui montrent que des personnes peuvent déjà souffrir de certains déficits cognitifs, 3 ans voire même 10 ans avant qu’un diagnostic quasi certain de « démence » puisse être posé, on ne peut qu’être particulièrement sensibilisé aux conséquences d’une telle loi, pour ces personnes déjà vulnérables sans être identifiées « malades », qui pourraient ainsi inscrire dans le marbre d’un mandat de protection future et de directives anticipées, une demande d’euthanasie : la difficulté à se projeter dans l’avenir est une particularité propre à la grande majorité des personnes touchées par la maladie d’Alzheimer dès ses débuts, ce qui ne leur interdit en rien de ressentir une forte angoisse face à un futur que ces personnes ressentent comme confus et nébuleux . Le poids moral, la culpabilité écrasante que la connaissance de cette volonté écrite ferait alors naître chez les « aidants aimants », chaque fois qu’ils seraient conduits à être interrogés par le corps médical pour une décision de soins concernant leur proche malade devenu incapable d’exprimer directement son choix, serait insupportable. Aujourd’hui déjà, je rencontre des enfants, accompagnants attentifs et aimants d’un père ou d’une mère malade, qui se refusent à en être le tuteur, tant ils craignent que des aspects purement matériels et financiers viennent « pervertir » leurs choix respectant ce qu’ils pensent être le mieux pour leur parent.
Aujourd’hui déjà, je rencontre des enfants qui m’avouent en pleurant que leur père ou leur mère, leur a déclaré dans un moment de désespoir : « Si je deviens un légume, tu me mets un oreiller sur la tête et on n’en parle plus… » Leur souffrance morale est immense. Qu’en serait-il si cette phrase lancée sans en mesurer ses ravages affectifs, devenait une obligation légale d’y consentir ? Une souffrance morale encore plus terrible pour certains…ou pour d’autres le soulagement face à l’économie financière considérable que cette autorisation permet ?
Depuis quelques années, des chercheurs développent des marqueurs prédictifs d’une maladie d’Alzheimer future. Si de tels marqueurs peuvent éventuellement se justifier pour des recherches soigneusement encadrées éthiquement et juridiquement, afin d’évaluer l’efficacité de traitements potentiels destinés à faire reculer l’entrée dans la maladie déclarée, on ne peut que dénoncer les conséquences terribles de l’utilisation de tels marqueurs prédictifs à la fiabilité incertaine, détournés de leur objectif de recherche, conduisant des hommes et des femmes à demander la mort aux mêmes médecins qui leur annonceraient le diagnostic. Le premier droit des directives anticipées, est de pouvoir en changer à tout moment. Comment ce droit pourra-t-il s’exercer alors même que des personnes à la mémoire récente déjà fragilisée, auront dès le lendemain tout oublié du document signé ?
Alors même que 89 % des français, dans une enquête IPSOS-Fondation de France de mai 2009, répondent que les soins palliatifs sont une réponse nécessaire à la prise en compte des besoins de la fin de vie, et que 87 % affirment que ces soins palliatifs permettent de « mourir dans la dignité », alors même qu’un programme 2008-2012 de développement des soins palliatifs est en œuvre, ces sénateurs ont-ils conscience que la mise en œuvre d’un droit à l’euthanasie, entraînerait inexorablement la fin de ces services par le désengagement moral et physique des soignants qui s’y investissent ? N’ayant plus alors l’impérative nécessité d’accompagner la fin de vie dans le respect de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mais bien celle de mettre fin à la vie « à la demande », quel hôpital présentera encore à ses tutelles, c’est-à-dire à l’assurance maladie, c’est-à-dire à la solidarité nationale, nous tous citoyens cotisants, des demandes de budget pour le développement de ses soins palliatifs ? Quel professionnel acceptera encore de se former à cet accompagnement qui demande tant de compétences techniques, humaines et éthiques ?
Peut-on imaginer que de seuls objectifs financiers pourraient devenir, pour certaines personnes âgées, pour certaines familles, et même pour notre budget de la Sécurité Sociale, la justification secrète d’un « généreux » droit à décider de sa mort, et d’une obligation pour les professionnels soignants et les proches de mettre en œuvre cette solution finale ?