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Toutes les questions relatives au soin relèvent de l’éthique, parce que le soin possède une dimension relationnelle essentielle : tout soin se donne dans une relation.
Par: Philippe Barrier, Professeur de philosophie, Lauréat de l'Académie de Médecine, docteur en sciences de l’éducation, enseignant associé au Département de recherche en éthique, université Paris Sud /
Publié le : 02 Septembre 2010
Si l’éthique véritable ne va pas sans morale, la morale véritable ne va pas non plus sans éthique, sans l’exigence de la « visée éthique » dont l’absence en fait une forme vide. Cette visée c’est, pour Ricœur, celle de « la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes » (1). A la différence de la morale, purement rationnelle, l’éthique relève aussi du sentiment, d’un sentiment humain fondamental : l’estime de soi, qui est l’objet de la vie bonne. Elle n’est atteinte, ou simplement envisageable, qu’à la condition que je puisse authentiquement considérer que le fait de mon action est bien le respect de la dignité de l’autre.
La morale est la norme dans sa visée universelle, prescriptive ou déontologique ; l’éthique est la norme dans sa fonction individuelle et créatrice. Elle est l’incarnation de la morale dans la singularité. A ce titre elle est une exigence, un scrupule, un souci constant, car aucune règle ne saurait définir l’absolue singularité de l’individu humain, ni de la situation dans laquelle ma responsabilité est engagée. Mais l’éthique n’est pas une des « passions tristes » dont traite Spinoza (2), car ce souci, comme préoccupation de l’autre et de l’estime de soi, est aussi puissance de joie et de réciprocité.
Toutes les questions relatives au soin relèvent de l’éthique, parce que le soin possède une dimension relationnelle essentielle : tout soin se donne dans une relation. Les questions relatives à la transplantation d’organes sont celles d’un soin spécifique, particulièrement complexe sur le plan des relations qu’il met en jeu, elles sont donc éminemment éthiques. Mais d’une exigence qui dépasse celle de la relation dialogique (du moi au tu), puisqu’elle implique un tiers irréductible et, on serait tenté de dire, « multiple ». C’est la dimension citoyenne, ou politique, de l’éthique (3).
En effet, si l’une des questions éthiques fondamentales soulevées par la greffe d’organes humains peut être résumée par la problématique de l’éventuelle « instrumentalisation de l’homme par l’homme », et concerner à la fois directement et abstraitement le rapport d’un individu (le receveur) à un autre individu (le donneur), il est évident qu’elle implique l’intermédiaire de tout un système de soins médicaux, et donc aussi les choix d’une société en matière de recherche et de santé publique. Ainsi, par exemple, la question de la répartition des « biens estimés rares » que sont devenus les greffons dans une situation de prélèvement encore critique, pose-t-elle celle de l’ « agir équitable ». C’est pourquoi la réflexion éthique débouche naturellement sur une dimension politique ; ou plus exactement, c’est pourquoi la politique possède une dimension éthique irréductible. Et il ne s’agit pas ici d’image et de marketing politique, mais des responsabilités de l’action publique.
Notes :
(1) Paul Ricœur « Morale et éthique », repris dans « Anthologie », Points Essais, Seuil, Paris, 2007, p. 312.
(2) Spinoza « Ethique » éditions Garnier - Flammarion, Paris, 1972.
(3) Aujourd’hui, lorsqu’on dit « citoyen », on veut dire « politique », dans le « bon » sens du terme…