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Par: Didier Sicard, Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique /
Publié le : 24 juin 2013
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°1, 1996. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
C’est devenu un lieu commun de dire que le développement anarchique de l’information médicale, aussi terrifiante que fascinante, et que l’efficacité d’une médecine de plus en plus agressive, créent des situations toujours nouvelles, souvent inattendues, de nouvelles responsabilités, qu’un médecin seul ou même une équipe isolée ont de la peine à maîtriser. Le principe de bienfaisance, a priori simple, est devenu un fait de plus en plus complexe. La faiblesse de l’autre oblige à une responsabilité encore plus grande, responsabilité d’accepter un contre-pouvoir, créateur de sens à plusieurs.
Le respect de l’autonomie du patient, de sa liberté, le refus de la futilité des soins, la réflexion sur les scores de gravité, la juste allocation des ressources, l’utilisation des marqueurs de la médecine prédictive, l’information du patient et de sa famille qui prennent en compte des paramètres contradictoires, constituent autant de questions angoissantes quotidiennes, comme le sont celles sur l’assistance médicale à la procréation, l’euthanasie, la gestion des listes des greffes, la réanimation néonatale des nouveau-nés anoxiques ou malformés, la mise à disposition de nouveaux protocoles diagnostiques et thérapeutiques, les questions non résolues des consentements “libres et éclairés”, etc. que l’AP-HP rencontre quotidiennement dans ses hôpitaux.
L’ensemble de ces problèmes nous oblige à un espace de réflexion. Cet espace manquait ; il deviendra central. Il n’est pas la propriété d’un groupe, il n’est pas à la disposition du directeur général de l’AP-HP, il n’est pas un CCPPRB central (comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale), un SOS éthique, un comité central d’éthique. Il n’est pas fondateur d’une loi, pas le lieu d’un évangélisme bavard ou benêt. Il pourra peut être offrir au directeur général et à l’administration la possibilité cependant de dire à un moment donné “non !”, “stop !”. Il pourra constituer une balise à des moments de flottement en s’interrogeant sur nos limites.
Si l’espace par essence n’a pas de limite, il est le lieu de convergence d’interrogations renouvelées, véritable fournil à aider la réflexion, à trouver le temps de cette réflexion.
La médecine contemporaine se sent frustrée de l’absence de guidelines (règles d’action). L’Espace éthique n’est pas là pour les fournir. Il est là pour nous rappeler souvent à l’humilité, pour parfois remettre en question que le fait d’être “savant” ne nous donne pas tous les droits. Cet Espace est un espace d’écoute : acceptons d’être choqué par les propos de l’un, blessé par les propos de l’autre, encouragé par tel autre, instruit par telle ou telle expérience d’une autre équipe. La médecine à l’AP-HP n’a de sens que si sa préoccupation permanente est une recherche de sens dans un monde qui paraît en avoir si peu. Cet Espace éthique ne sera pas un espace de discours intellectualisé, mondain, inutile, jouissif, indifférent au transfert dans la réalité concrète. Cet Espace éthique issu d’un besoin de confrontation devrait devenir pour l’ensemble de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris un ressourcement permanent et un encouragement à retrouver une identité. Soignants, médecins, administratifs sont liés par cette exigence. Exigence qui produira une mémoire des questions éthiques, certes fondée sur la casuistique mais aussi sur un enrichissement progressif de nos expériences.
L’évidence de cet Espace est telle que l’on se demandera un jour comment l’AP-HP “faisait avant”...