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Longtemps, les réalités du cancer en appelaient à une éthique plutôt d’ordre compassionnel. L’inanité des traitements avec leur cortège de tentatives redoutables et pourtant vaines, les représentations péjoratives de la « longue maladie » éprouvée dans l’isolement et le désastre, ne suscitaient au mieux qu’une attitude de sollicitude parfois entamée par l’effroi. Comme si de surcroit il fallait craindre une forme de contamination, tant l’idée du cancer renvoyait au concept d’envahissement à la fois radical et irrépressible qui laisse sans recours et ne peut qu’inciter à s’en éloigner.
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 29 Octobre 2013
À l’époque des notions comme celles d’autonomie de la personne, d’information partagée, de consentement, de partenariat dans la prise de décision, de qualité de vie, de lutte contre la douleur, d’assistance en fin de vie étaient impensables, voire auraient été incompatibles avec des pratiques procédant de mentalités, de logiques et d’ordonnancements autres qui ne se discutaient pas.
La loi n° 2002 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit davantage aux années sida que l’arraisonnement plus tardif de la société par les personnes atteintes de cancers. Depuis 2002 la loi prescrit que « la personne malade a droit au respect de sa dignité ». Jusqu’alors ce principe ne s’imposait semble-t-il pas, puisque le législateur a estimé indispensable de l’affirmer solennellement.
Être en capacité de « vivre la maladie » procède pour beaucoup d’une reconnaissance de droits d’autant plus déterminants lorsque les circonstances risquent de les mettre en péril. Il ne s’agit pas tant d’énoncer des demandes individuelles que d’exprimer un même souci du bien commun, de viser à plus de solidarité et de justice dans l’accès aux traitements mais également au maintien d’une position sociale reconnue et respectée. En fait à plus de loyauté, de disponibilité, d’écoute, d’information et de partage dans le parcours de soin compris dans la globalité de ses composantes ; à davantage d’attentions et de compétences dans les traitements et l’anticipation des effets secondaires ; à une concertation nécessaire s’agissant de l’inclusion selon des critères d’éligibilité strictes et une information intègre dans des essais cliniques ; à un véritable dialogue pour toute décision complexe ; à l’atténuation des douleurs et à la prise en compte de la souffrance ; à un plus grand respect du corps notamment à la suite d’interventions qui le mutilent ; à l’aménagement de moments de répit ; à l’anticipation des conditions de vie au quotidien ; au soutien des proches ; aux dispositifs atténuant les conséquences économiques, les précarités liées à l’interruption ou la perte d’un emploi, mais également aux politiques de retour à la vie professionnelle et de lutte contre toute les formes de discriminations ; à une nouvelle approche de la responsabilité soignante lorsque les traitements échouent, ce qui nécessite le recours aux soins de support et aux soins palliatifs dans un contexte attentif à ce que la personne veut profondément. Je n’énonce ici que quelques points forts qui justifieraient nombre de développements. Voilà pourtant mentionnés brièvement les différents domaines qui sollicitent le questionnement éthique dans le champ du soin en cancérologie. De tels enjeux doivent cependant mobiliser au-delà de l’espace médical et susciter des engagements qui interpellent l’ensemble du corps social.
La préoccupation éthique s’exprime dans une perspective bien différente des disputations académiques dès lors qu’elle concerne aussi la continuité — sur un temps plus ou moins long et selon des trajectoires personnelles — d’un suivi par nature complexe. Cela inclut tout autant les stratégies de prévention, le « dépistage ciblé de la maladie », l’accès au diagnostic dans un environnement favorable, que les conditions de l’annonce et de son accompagnement, les modalités d’arbitrage collégial dans le cadre des réunions de concertation pluridisciplinaire qui décident des modalités de traitement, la négociation des options thérapeutiques avec la personne malade, l’anticipation des différentes phases du soin à l’hôpital ou au domicile (la chimiothérapie chez soi justifiant des approches spécifiques), les aspects quotidiens du vécu de la maladie, « l’après » sous ses différentes formes. Il en va de même s’agissant de l’évaluation des compétences, de la pertinence scientifique des procédures, de la qualité et de la cohérence des dispositifs, de l’effectivité des relations entre les hospitaliers et les intervenants de proximité en ville, de l’accessibilité des référents, des dispositifs de recours en cas de besoin.
Selon moi il convient de privilégier une approche éthique globale totalement en phase avec la diversité des enjeux et des circonstances du « parcours dans la maladie » dans son évolutivité. À cet égard les préconisations détaillées dans les différents plans cancer et les autres recommandations de bonnes pratiques constituent une précieuse avancée. Il en est de même s’agissant des orientations présentées le 23 septembre 2013 par la ministre des Affaires sociales et de la santé dans le cadre de la stratégie nationale de santé.