texte
article
L'une des première victime de la maladie d'Alzheimer, qui cumule vulnérabilités psychiques, physiques et sociales, est la validité de la parole du malade.
Par: Catherine Ollivet, Présidente du Conseil d’orientation de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Présidente de France Alzheimer 93 /
Publié le : 27 Septembre 2013
La maladie d’Alzheimer affecte dramatiquement les facultés de communication d’une personne. Maladie générant de l’isolement, « l’île à la dérive » n’est pas habitée du seul malade. Viennent y vivre aussi les proches, ces aidants familiaux surinvestis dans leur mission au point de s’y engloutir, ces professionnels du soin et de l’aide compétents et volontaires qui supportent l’étonnement de leurs collègues pleins de commisération pour leur engagement dans une telle spécialité.
Les vulnérabilités psychiques, physiques et sociales s’additionnent pour attaquer en tout premier la validité de la parole du malade. Le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée » dévalue ipso facto la parole de la personne qui en est atteinte. Fabrice Gzil, au cours d’un colloque organisé par l’Espace éthique/AP-HP à l’occasion de la publication de sa « Charte Alzheimer Éthique et société, a souligné, à juste titre, qu’au contraire c’était une présomption de validité qui devrait toujours prévaloir et non un soupçon immédiat. La présomption de compétence est un impératif éthique dans un premier temps, affirmant ainsi la valeur de la parole de l’autre. Mais vient immédiatement après un second impératif éthique affirmant alors le respect de la personne malade : après une évaluation précise de ses atteintes, revue régulièrement en fonction de l’évolution inexorable de la maladie et des possibilités offertes par l’environnement matériel et humain de ce malade, cette évaluation doit aussi révéler toutes ses capacités restantes, confirmer que le champ du « toujours possible » existe et est reconnu comme tel, valider ainsi une dignité intrinsèque toujours présente. Ne perdons pas de vue que tout diagnostic de nature à remettre en cause la parole d’une personne est très lourd d’enjeux. Ne nous rassurons pas en faisant semblant de croire que la personne ne souffre pas. Sous prétexte de sa maladie, elle ne peut accepter d’être désignée comme totalement déficitaire, du jour au lendemain, au point de lui dénier même sa capacité à exprimer des préférences dans les choses les plus simples de la vie quotidienne, comme ce qu’elle souhaite manger ou les vêtements qu’elle aime porter. D’autant que l’on peut aussi s’interroger sur la validité de notre jugement sur cette compétence reconnue à la personne malade : la tentation est grande de la considérer comme lucide lorsque sa réponse va dans le sens que nous souhaitons… et de l’invalider lorsqu’elle s’oppose à ce que nous considérons comme lui étant nécessaire « pour son bien » ou dans son intérêt.
Le « respect de l’intimité du patient » que l’on voit proclamé dans la Charte du patient hospitalisé sur tous les murs de nos hôpitaux, ne consiste pas seulement à ne pas faire sa toilette porte de chambre grande ouverte à la vue de tous. L’intimité d’une personne, c’est aussi son histoire de vie.
Pour une génération où parler d’argent en famille n’est pas acceptable, l’immense majorité des enfants ne connaissent rien aux revenus et propriétés de leurs parents. Mais pour remplir les cases multiples des documents imposés par les Conseils Généraux pour obtenir l’Aide Personnalisée d’Autonomie (APA) ou l’aide sociale à l’Hébergement lorsque la personne n’a pas les possibilités de payer elle-même le tarif exorbitant de l’établissement d’accueil, des fils, des filles doivent bouleverser tiroirs et armoires à la recherche des informations exigées. A cette occasion, ils découvrent parfois des secrets de l’histoire de vie de leur parent malade, parfois même les concernant directement, provoquant une souffrance et un bouleversement terribles dans ce regard posé sur un père, une mère, déjà devenu « autre » par la maladie, et au passé parfois insupportable.
Comment prendre soin d’une personne, lui porter une attention particulière parce qu’elle vit une situation de handicap, de vulnérabilité qui lui est propre, lui venir en aide, contribuer à son bien-être, à sa santé, respecter ses droits, lorsque la loi, les administrations, produisent ainsi des injonctions contradictoires ?