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"La question de l’alimentation est une problématique majeure, tout au long de la maladie, particulièrement en cas d’arrêt alimentaire, quand la maladie est avancée. La démence expose en effet au risque de dénutrition, du fait de mécanismes complexes, dont tous ne sont pas encore connus — troubles praxiques, troubles mnésiques, troubles psycho-comportementaux…"
Par: Émilie Gilbert-Fontan, Médecin, Unité de soins palliatifs, EMDSP, CHU de Toulouse /
Publié le : 28 Juillet 2014
La maladie d’Alzheimer entraîne des pertes progressives, inéluctables. Elle bouleverse les rôles familiaux, sociétaux, entraîne des incertitudes majeures chez les aidants, chez les soignants. Dans nos sociétés modernes où l’autonomie a pris une place si importante, la dépendance peut devenir synonyme de perte de dignité. Le patient atteint de maladie d’Alzheimer ne perd en aucun cas son statut d’Homme, mais ces déficits progressifs exposent au risque de mort sociale. La question de l’alimentation est une problématique majeure, tout au long de la maladie, particulièrement en cas d’arrêt alimentaire, quand la maladie est avancée.
La démence expose en effet au risque de dénutrition, du fait de mécanismes complexes, dont tous ne sont pas encore connus — troubles praxiques, troubles mnésiques, troubles psycho-comportementaux… (1). Au début de la maladie, on retrouve souvent déjà des symptômes de carence et il est important de réaliser une évaluation du statut nutritionnel, avec des prises de poids régulières et éventuellement une supplémentation. Les proches sont alors souvent mis à contribution pour stimuler le patient et éventuellement l’aider pour la prise des repas. La perte des capacités fonctionnelles à s’alimenter, une des activités quotidiennes les plus élémentaires, peut être vécue comme extrêmement violente par les aidants. Il n’est pas rare de voir des enfants donner à manger à leur mère ou leur père, comme si les rôles s’inversaient. Il est primordial d’accompagner les aidants tout au long de la maladie, en les informant progressivement, si possible avant l’arrivée des symptômes. Un soutien psychologique peut également être intéressant face à ce bouleversement. Les associations concernant la maladie peuvent aussi être d’un grand soutien. Le temps du repas peut vite devenir un moment conflictuel entre le patient et son proche et il est parfois bénéfique d’introduire une tierce personne, professionnelle, pour encadrer les prises alimentaires.
Petit à petit, l’anorexie et les troubles de la déglutition, symptômes de la maladie, s’installent. On peut les considérer comme faisant partie des critères d’entrée dans la phase terminale de la maladie. Il est important alors d’éliminer tout problème organique autre que la maladie démentielle elle-même, notamment l’existence d’une pathologie buccale (mycose, bouche sèche…), d’un symptôme douloureux, d’un état infectieux ou néoplasique. Une cause psychiatrique doit également être recherchée (dépression, état délirant paranoïaque…).
Il est depuis longtemps prouvé que la mise en place d’une alimentation artificielle ne présente pas d’intérêt sur la durée de vie ni sur la qualité de vie du patient atteint de démence au stade avancé (2). Ce type d’alimentation entraîne au contraire, dans ces circonstances, des inconvénients majeurs comme un encombrement important, un risque d’infection, notamment pulmonaire, et un inconfort notable (3). Par ailleurs, on ne retrouve pas d’amélioration sur le plan cutané ou sur le plan du prolongement de la vie.
Lorsque la communication verbale n’est plus possible, la relation se situe souvent autour de l’alimentation et son arrêt peut entraîner des souffrances majeures chez le proche. La dimension socioculturelle n’est pas à négliger ; il en est de même de la dimension générationnelle. Ces souffrances sont parfois partagées par le soignant qui peut vivre le refus ou l’arrêt de l’alimentation comme un échec de prise en charge. Les rencontres avec les aidants, les réunions d’information des équipes doivent être d’autant plus régulières, des explications physiopathologiques doivent être données : il est nécessaire d’expliquer aux familles qu’il s’agit de l’évolution de la maladie et que cette absence d’alimentation n’est pas synonyme de souffrance. On peut alors s’aider des fiches explicatives de la Société Française de soins palliatifs et d’Accompagnement et de la Société Française de gériatrie et de gérontologie (4).
Il est important de redonner du sens à ce moment qui ne « sert à rien » (5). La famille peut être orientée vers un autre type de relation que celui de l’alimentation, comme par exemple le toucher. Il est toutefois important de considérer la confrontation au corps amaigri de son proche. L’inaction technique peut être vécue comme insupportable par les aidants, voire par les soignants. Une autre approche peut alors être proposée. Les soins palliatifs peuvent alors répondre aux besoins du patient. De nombreuses études ont ainsi montré que les patients atteints de démence au stade avancé avaient autant de besoin que les patients atteints de cancer au stade terminal (6).
La prise en charge de la douleur, des symptômes anxieux sont primordiaux, mais sont difficiles à mettre en évidence. Le but du soin est alors redéfini. Il s’agit de faire « le moins mal possible » et de redonner de « l’humain à l’Homme ». « Le moi s’éveille par la grâce du toi. » (7)
Notes
(1) Villars et al. « Prise en charge des complications de la maladie d’Alzheimer = mise au point ». Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci (2008) 6 :91-98.
(2) Vellas et al. « Consensus sur la démence de type Alzheimer au stade sévère ». Revue de Gériatrie 2005 ;30 :627-640
(3) Funucane et al. « Tube feeding in patients with advanced dementia A review of the evidence ». JAMA 1999 ; 282 :1365-70
(4) Travaux conjoints SFAPP/SFGG : « Il va mourir de faim, il va mourir de soif, que répondre ? », disponible sur le site www.sfap.org
(5) Nous faisons ici référence au texte d’Isabelle Marin, « L’agonie ne sert à rien », Esprit n° 243, 1998
(6) Mc Carthy et al. « The experience of dying with dementia ». International journal of geriatric psychiatry (1997) 12: pp. 404-409.
(7) Gaston Bachelard, préface du livre Je et Tu, Martin Buber, Paris, Aubier, 1992.