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"Le regard de la société changera si le regard des professionnels permet au profane d'appréhender la maladie d'une manière juste et, non pas selon ses propres appréhensions ou projections. Ce qui nous intéresse au bout du compte sera donc une bonne connaissance, non pas seulement de la maladie (obligatoire mais pas suffisante) mais du malade dans sa complexité neurologique, psychologique et sociale."
Par: Jean-Luc Noël, Psychologue Clinicien, Paris, Co-président du conseil scientifique de l’association Old Up, Psychologue référent de l’association ISATIS /
Publié le : 05 Septembre 2014
Il faut dire que l'on associe encore trop souvent le malade d'Alzheimer a quelqu'un qui a perdu la raison, au mieux avec compassion, au pire en pensant de lui qu'il est inconséquent voire irresponsable.
Cette erreur d'appréciation est évidemment très dommageable pour le malade qui subit une double peine : celle d'être entravé dans ses actions et ses pensées (conséquences directes de l'atteinte neurologique) et celle d'être incompris, stigmatisé parfois même "attendu au tournant".
Mais cette erreur d'appréciation est aussi très dommageable pour ceux qui accompagnent le malade, car cela fausse la relation, introduit dans celle-ci une distance affective douloureuse et crée des incompréhensions parfois source de conflit dont chacun se dispenserait.
Bien sur, il ne s'agit pas d'être idéaliste, ou dans le déni, en pensant que la maladie ne modifie rien, et que tout serait comme si les effets de celle-ci n'existaient pas. Pour autant, il faut savoir garder la raison, éviter la démesure et la dramatisation.
Les professionnels qui accompagnent les malades d'Alzheimer ont ainsi un rôle considérable. En effet, par l'expérience qu'ils acquièrent aux contacts de nombreux malades, par les recherches scientifiques qu'ils mènent ou qu'ils consultent, ils sont à même d'appréhender la maladie d'Alzheimer dans sa réalité (et sa complexité).
Le regard de la société changera si le regard des professionnels permet au profane d'appréhender la maladie d'une manière juste et, non pas selon ses propres appréhensions ou projections.
Ce qui nous intéresse au bout du compte sera donc une bonne connaissance, non pas seulement de la maladie (obligatoire mais pas suffisante) mais du malade dans sa complexité neurologique, psychologique et sociale.
La méthode la plus simple à suivre consiste donc de se donner les moyens de recueillir la parole, le désir et les volontés du malade, tant dans nos organisations que dans notre positionnement prés de lui. Il devient nécessaire, de rappeler à tout instant, dans toutes nos réflexions et décisions, que rien ne pourra se faire sans le malade, et donc, que l’expression « acteur de sa maladie » n’est pas une position de principe que l’on adopte mais une réalité à laquelle on se plie. Cela veut dire, que les professionnels se doivent de mettre en place une structuration de leur travail sans que ne soit négligé cet aspect, de telle sorte que soit ainsi respectés les droits de chaque malade.
Il ne peut pas y avoir une réponse unique, d’autant plus, que cohabite bien souvent dans la pratique des professionnels, la prise en soin de maladies dégénératives aux symptômes très différents malgré une similitude trompeuse. En effet, si l’évolution reste similaire, les différences de chaque maladie sont à prendre en compte car elles influent sur la méthode à utiliser selon cette singularité, ce qui permettra de préserver l’essentiel, les choix, les préférences, d’exprimer les espoirs, les désirs et les goûts du malade. La réponse ne sera pas la même pour un malade atteint d’une forme de Démence fronto-temporale à 55 ans, que s’agissant d’un malade d’Alzheimer de 85 ans : d'une part l’âge diffère et les symptômes également, ce qui influencent grandement l'expression d'une volonté. Autant de spécificités que de formes de maladies et de manière de vivre ses maladies.
Une des seules choses qui relie chaque malade, indépendamment de sa maladie, de son âge, de son histoire, de ses particularités psychologiques et sociales est donc bien cette idée que chaque malade reste acteur de sa maladie. C'est certes une évidence, mais il est bon de la rappeler. Si cette exigence est rappelée dans tous les actes et décisions, nous œuvrerons ainsi pour une meilleure connaissance de ces maladies dégénératives, un meilleur respect de ces malades, et éviterons ainsi l’objectalisation des malades, les maltraitances et abus de pouvoir, restrictions des libertés individuelles, les stigmatisation et stéréotypes associés à ces maladies.