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editorial
"Nous demandons qu’on reconnaisse l’importance de la réanimation précoce et intensive donnant à tous la même chance"
Par: Bernard Vigué, Praticien hospitalier, Département anesthésie-réanimation, Hôpitaux universitaire Paris-Sud Kremlin-Bicêtre, AP-HP / Anne-Claire de Crouy, Médecin chef de service de médecine physique et de réadaptation, CMPA, Neufmoutiers / Florence Deciron-Debieuvre, Médecin urgentiste, chef de service SAMU 72 SMUR CESU /
Publié le : 13 Novembre 2014
Nous travaillons, urgentiste, réanimateur et rééducateur, dans la chaine de soins des urgences neurologiques : traumatismes crâniens, accidents vasculaires cérébraux ou ruptures d'anévrisme. Ces pathologies ont la particularité de laisser des séquelles neurologiques lourdes, rarement prédictibles dans les premières heures, qui rendent inaudible toute volonté exprimée des patients. Nous tenons à réfléchir à cette particularité, fréquente dans notre pratique, d’une absence de réelle conscience et d’une très grande dépendance physique après accident cérébral. Nous constatons que cette situation est au centre des conflits récents relatés par la presse, démontrant qu’elle peut être un point d’achoppement dans l’interprétation de la loi en vigueur.
Le premier élément à poser est le progrès qu'a représenté la loi Leonetti. Les dispositions de cette loi permettent d'encadrer avec moins de tension de très nombreuses situations difficiles de fin de vie et son unanimité au sein de la profession dépassionne les débats. Elle autorise l'abord avec respect des patients et de leurs proches en permettant une souplesse d'adaptation des pratiques à l'éthique de chaque médecin (qui se sent protégé). De plus, elle a libéré la parole dans nombre de services permettant des échanges clairs entre tous les acteurs : patient, proches du patient et soignants et soignants entre eux. Cette parole a l'immense avantage de permettre d'aborder les problèmes avec moins de tabous.
Par ailleurs, les progrès des prises en charge médicales, SAMU et réanimation, sont souvent décrits comme générateurs de situations ambiguës, provoquant l'accroissement du nombre de patients lourdement séquellaires, végétatifs ou en état de conscience minimale. De fait, aucune étude ne démontre ces affirmations. Si ne pas s’occuper des patients augmente fortement la mortalité (citons par exemple, le doublement de 25 à 50 % de la mortalité obtenue en l'absence de suivi des recommandations d'experts dans le cas des traumatismes crâniens sévères), rien ne prouve que les attitudes d’évitement thérapeutique parfois conseillées et appliquées diminuent le nombre total de patients séquellaires, toujours faibles dans les études, de 2 à 5 % du total des patients pris en charge.
Notre travail impose donc une chaine de soins performante et une prise en charge médicale efficace cherchant à préserver au maximum le cerveau atteint pour minimiser les séquelles éventuelles. Dans ces situations d’urgence neurologique, les équipes soignantes sont toujours plus focalisées sur l’importance des séquelles potentielles, la morbidité, que par la mortalité. Ce n’est pas, comme le pensent parfois certains médecins, en évitant d’intervenir que l’on diminuera le nombre total de patients gravement séquellaires. Mais c’est parmi ces patients lourds que se posera, de toutes façons, à distance, ce grave problème de dignité d’une vie au corps douloureux, blessé et rétracté dans une extrême dépendance et sans conscience suffisante pour exprimer un avis. Il faut comprendre à quel point ces problèmes sont présents au cœur de chaque individu de la chaine de soins responsable de ces patients.
Notre énergie, aide-soignant(e)s, infimier(e)s ou médecins, est tendue pour rendre à nos patients une vie digne, en contact avec le monde, même au prix de séquelles. Nous vivons comme des échecs graves ces patients grabataires, ni présents ni absents pour ces familles brisées. L’ensemble du personnel au contact du patient porte en lui un peu de cette souffrance si visible. Dans ces situations, notre sentiment de responsabilité est fort et l’idée de ne pas « laisser tomber » ces familles est très présente dans nos têtes. C'est aussi ce sentiment de forte responsabilité qui est le terreau des tentations de non intervention à l’arrivée contre lesquelles il est nécessaire de lutter pour que les chances des patients progressent. Ces réticences sont renforcées par les très grandes difficultés à trouver des équipes de rééducateurs s’intéressant à ces patients car le travail de rééducation est réputé comme quasi impossible chez ces patients sans conscience.
Quand les médecins ne portent plus d’espoir d’amélioration et aucune possibilité d'échanges avec le patient, il existe un grand intérêt à disposer de directives anticipées. Elles représentent alors une aide précieuse et déculpabilisante pour les proches appelés à retranscrire la volonté du patient auprès des médecins. Ces directives anticipées seront, pour l'entourage, un important appui possible aidant à l'apaisement des débats, limitant autant que possible les conflits entre proches et les attitudes tragiques d'opposition (le plus souvent maternelle) sources principales des tensions constatées.
Nous demandons que s’organise, pour ce type de patient, le droit pour les médecins d’accompagner ces patients dans une fin de vie qui doit pouvoir être considérée légitime. Nous demandons qu’on reconnaisse l’importance de la réanimation précoce et intensive donnant à tous la même chance, qu’on nous donne le temps nécessaire au jugement clinique de chaque situation individuelle et dans la mesure d’une reconnaissance de notre échec, après discussion avec les soignants entourant le patient et en accord avec les proches du patient, la possibilité d’aider et d’accompagner la fin de vie de notre patient. Dans ces conditions, une sédation profonde et continue jusqu’au décès pourrait être proposée. La possibilité clairement établie d’aider les patients en grande dépendance et sans conscience suffisante pour exprimer un avis à mourir nous apparaît comme un droit essentiel respectant l’idée que se font beaucoup de nos concitoyens de leur propre dignité. Ces dispositions permettront aussi de lever les situations d’évitement à l’arrivée des patients et de développer une dynamique plus forte dans la prise en charge initiale.