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"Il est impressionnant d’entendre les enfants nous confier leurs parents, nous remettre des objets symboliques avant leur décès. La synthèse de ce soin ainsi construit est qu’une confiance surgit toujours plus grande entre tous les membres de cette équipée même si la mort guette le moindre faux pas."
Par: Alain de Broca, Neuropédiatre, Service UMICA, Unité mobile pédiatrique, Équipe ressource régionale de soins palliatifs pédiatriques Picardie, CHU d’Amiens /
Publié le : 04 Février 2015
Les soins en pédiatrie quand la maladie est incurable. Que dire, que faire, comment être en tant que soignant ? En plein 21ème siècle, cette mort semble encore plus inadmissible. Comment comprendre que des équipes puissent parler de soins palliatifs pédiatriques ? Pour dire les choses autrement, que peuvent faire les soignants puisqu’il « n’y a plus rien à faire », disent les médecins d’appareils ou d’organes ? Les soins palliatifs en pédiatrie posent de nombreuses questions éthiques et soulèvent les paradoxes qu’offre la médecine techniciste actuelle.
La pédiatrie est une spécialité qui a au moins une spécificité. Le soignant doit toujours « pactiser » avec des tiers que sont les parents après voire avant même d’avoir vu l’enfant.
L’enfant – le malade – est mineur et à ce titre ne peut pas légalement prendre toutes les décisions qu’il voudrait en ce qui le concerne. L’enfant est aussi parfois bien jeune pour prendre une quelconque décision ; dans certains cas, sa maladie est si grave qu’elle ne lui permet pas d’avoir une quelconque faculté de jugement (encéphalopathie d’origine périnatale par exemple). Le soignant est donc toujours un médiateur et un négociateur avec des tiers responsables légaux, mais aussi engagés d’un point de vue affectif.
Le soin est par définition le soin de l’enfant, mais aussi de ses parents, de la fratrie, voire même de la parentèle (les grands parents notamment). Le soignant doit alors se « partager », donner de son temps à toutes ces personnes pour que le soin soit compris de tous, et surtout suivi par tous. Comment leur montrer que la vie est présente parce que « relation », et que malgré la maladie grave et incurable, l’enfant est en vie s’il est bien en relation, s’il sent que le soignant a compris ces relations.
Chercher un diagnostic de la maladie, tenter de donner un pronostic à l’évènement médical aigu, soulager les douleurs physiques, mettre en place une ventilation non-invasive chez un enfant à domicile, faire du lien avec les équipes du domicile sont des compétences qu’il faut acquérir et des actes techniques nécessaires et indispensables à prodiguer. Ils sont à la base du soin.
Mais le faire sans mettre de mots dessus, sans aider l’enfant et ses parents à reformuler les aspects biologiques, physiologiques ou techniques leur donne à penser que le soignant réduit l’enfant à un objet de soin. Et cela apparaît comme un outrage majeur aux yeux des parents.
Les enfants n’arrêtent jamais de donner si l’adulte sait les écouter. Et ils donnent particulièrement quand ils sentent la vie en sa fin. Il est impressionnant d’entendre les enfants nous confier leurs parents, nous remettre des objets symboliques avant leur décès. La synthèse de ce soin ainsi construit est qu’une confiance surgit toujours plus grande entre tous les membres de cette équipée même si la mort guette le moindre faux pas.
Comment une mère pourrait-elle oser dire à son enfant « qu’il peut désormais partir » si elle ne se sentait pas soutenue ? Comment entendre un enfant parler de sa mort toute proche et ne pas fuir en courant ? Comment ne pas juger négativement des parents qui ne peuvent pas imaginer leur enfant avec des tuyaux supplémentaires quitte à ce que sa vie puisse en être abrégée ? Le soignant est celui qui apporte d’abord sa présence indéfectible, en première ligne face au désarroi, face à la colère et l’agressivité des parents ou de l’enfant : ils ne peuvent accepter qu’on ne fasse plus rien. Les soins palliatifs, c’est toujours pour le soignant une remise en question de sa propre maitrise. D’autant que les enfants, par leur potentiel de vie et leur toute puissance sur leur environnement, amènent à déstabiliser tous les projets que parents et soignants avaient tenté de mettre en œuvre !
Les questions éthiques sont bien au cœur de ces situations et la marque de la vie dans sa complexité la plus grande.
La mort qui s’approche semble redéfinir la signification du temps. Cette possibilité de se préparer sereinement à l’immense tristesse de la séparation est évidemment conditionnée par la capacité des soignants à soulager les symptômes douloureux, par la violence que représentent les déformations corporelles induites par la maladie, ou encore par la perception qu’a l’enfant – l’adolescent plus particulièrement – de sa propre mort et l’angoisse qu’il peut en éprouver. Il faut bien concéder que si, du point de vue des soignants, beaucoup de décès se « passent paisiblement », selon la formulation d’usage, il reste des situations hautement douloureuses pour tous. Les situations les plus difficiles à supporter sont évidemment les fins de vie dans la douleur en dépit des puissants cocktails antalgiques. Une autre source de souffrance particulièrement éprouvante pour les parents peut venir de la durée de la période sans conscience qui précède la mort, qu’il s’agisse d’un coma secondaire à la maladie ou secondaire à la sédation, rendue nécessaire par l’intensité des douleurs ou les difficultés respiratoires. Ces périodes de quelques jours peuvent être vécues comme interminables, mais s’accompagnent souvent aussi d’une demande contradictoire de permettre que la vie s’arrête le plus tard possible. La sédation, très fréquemment utilisée en toute fin de vie, a pour but très clair d’épargner de la souffrance physique, d’atténuer la souffrance morale ou de limiter la conscience angoissante des difficultés respiratoires. Elle fait elle-même l’objet d’une délibération avec les parents, voire l’adolescent. Son but d’accompagnement, assumant le risque secondaire d’une précipitation de la mort, est aussi clairement explicité et très largement compris.
Les demandes d’accélération des traitements pour provoquer la mort, y compris dans les situations douloureuses précédemment citées, sont aujourd’hui exceptionnelles. Elles émanent alors souvent d’adolescents, autonomes dans leur réflexion et exprimant une certaine conscience des conditions de la mort qu’ils ne souhaitent pas vivre. Ces situations, exceptionnelles, il faut le répéter, bouleversent profondément les équipes qui n’y sont pas préparées. De nombreux témoignages nous confortent dans l’idée que, pour une grande majorité de familles, le temps pris à laisser la vie s’interrompre, tout éprouvant qu’il soit, construit le deuil.