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"Grand angle" paru dans le document Fin de vie, les vérités du soin
Par: Yves-Marie Doublet, Chargé d’enseignement en droit, Département de recherche en éthique, université Paris Sud /
Publié le : 05 Février 2015
Issue d’une initiative parlementaire, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, la loi du 22 avril 2005 dite « loi Leonetti » poursuit deux objectifs. Elle proscrit l’obstination déraisonnable et encadre les bonnes pratiques de limitation et d’arrêt de traitement.
La prohibition de l’obstination déraisonnable répond à deux soucis : éviter des traitements inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre objet que le maintien artificiel de la vie et faciliter le passage du curatif au palliatif.
L’encadrement par la loi des arrêts de traitement s’applique au malade conscient et au malade inconscient. Le malade conscient qui n’est pas en fin de vie peut refuser le traitement. Le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables et peut faire appel à un autre membre du corps médical. Le malade doit réitérer sa demande de limitation ou d’arrêt de traitement. La décision du malade est inscrite dans le dossier médical. Deux obligations s’imposent au médecin face au malade conscient en fin de vie : respecter sa volonté et sauvegarder la qualité de sa fin de vie en dispensant des soins palliatifs. Mais c’est la situation du malade inconscient en fin de vie qui a retenu le plus l’attention. Ses droits sont pris en compte à travers ses directives anticipées, l’avis de la personne de confiance et de ses proches et le déclenchement de la procédure collégiale d’arrêt de traitement.
Directives anticipées Inspirées du Federal Patient Self Determination Act américain de 1990, les directives anticipées sont destinées à exprimer les souhaits du malade pour le cas où il serait incapable d’exprimer sa volonté. Elles ont une double dimension. Sur un plan social, elles constituent un moyen d’anticiper la mort plus sereinement, en brisant le mur de silence dans lequel la société contemporaine l’a enfermée. Dans une approche de santé publique, il a été démontré aux États-Unis que les directives anticipées réduisaient les coûts de la santé publique des six derniers mois de la vie. La loi de 2005 a veillé à ne pas entourer la rédaction de ces directives d’un formalisme excessif. Elles sont révocables à tout moment. Elles doivent avoir été rédigées depuis moins de trois ans contre 5 ans en Belgique. Mais, en pratique, selon une enquête publiée en Novembre 2012, seuls 2,5 % des patients ont rédigé des directives anticipées. Elles figurent en tête des éléments à prendre en considération par les médecins lors des décisions d’arrêt de traitement. Si elles sont peu claires, elles ne seront pas faciles à exécuter. Comme l’a souligné le Conseil national de l’ordre des médecins, « leur valeur peut apparaître relative dans certains cas car nul ne peut préjuger de son attitude dans de telles situations tant qu’elle ne s’est pas effectivement présentée ». Les directives anticipées figurent dans le dossier médical de médecine de ville ou hospitalière du patient. Elles peuvent être également conservées par leur auteur ou par la personne de confiance. Il n’existe pas de hiérarchie entre la personne de confiance et les directives anticipées, dans la mesure où n’étant pas contraignants ces avis n’ont pas de portée supérieure les uns par rapport aux autres.
La procédure d’arrêt de traitement présente trois caractéristiques. Elle repose sur une concertation qualifiée de procédure collégiale, elle postule une décision médicale et elle est transparente.
Dans les cas d’un malade inconscient, qu’il soit ou non en fin de vie, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements ne peut être prise sans qu’ait été mise en œuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager cette procédure de sa propre initiative mais il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou à défaut de l’un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés dès qu’a été prise la décision de mise en œuvre de la procédure collégiale. Le médecin en charge du patient consulte un autre médecin et l’un de ces deux praticiens peut solliciter l’avis d’un second médecin consultant. Le médecin consultant est défini comme étant un médecin qui dispose des connaissances, de l’expérience et, puisqu’il ne participe pas directement aux soins, du recul et de l’impartialité nécessaires pour apprécier la situation dans sa globalité. Il est étranger à l’équipe en charge du patient et s’il doit être compétent dans le domaine de l’affection en cause, il n’est pas obligatoirement un spécialiste ou un expert de la question. La concertation implique la personne de confiance, la famille ou les proches. Elle garantit le maximum de transparence à la procédure. Elle favorise le travail de deuil ultérieur de l’entourage.
La décision d’arrêt de traitement reste médicale. Ce choix du législateur s’explique par le fait qu’un transfert de responsabilité aux proches ou à la famille pourrait faire peser sur eux un fort sentiment de culpabilité et que ceux-ci ne représentent pas forcément le meilleur intérêt du patient.
Enfin la procédure offre une garantie de transparence puisque les avis recueillis, la nature et le sens des concertations ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.
L’affaire Vincent Lambert1 a mis en lumière les divergences qui pouvaient prévaloir au sein des familles pour apprécier l’opportunité d’arrêter les traitements. Sur 25 000 arrêts annuels de réanimation, de tels cas de dissension familiale sont heureusement très exceptionnels mais ont pour effet d’intéresser d’autant plus les médias qu’ils sont souvent instrumentalisés. Le médecin doit s’attacher à parvenir à un consensus.
Les travaux parlementaires de la loi Leonetti puis les juridictions étrangères et la juridiction administrative française dans l’affaire Vincent Lambert ont assimilé la nutrition artificielle à un traitement. Les bonnes pratiques médicales ont conduit de leur côté à définir la réponse médicale à apporter dans de telles situations. Lorsque le patient est inconscient, arrêter la nutrition administrée par la bouche serait une maltraitance. En revanche, si la nutrition est administrée artificiellement, son arrêt doit être une décision collégiale et le recours à une sédation d’accompagnement est justifié si un doute existe sur la souffrance susceptible d’être engendrée par cet arrêt. Le médecin ne doit pas se retrouver dans une situation d’obstination déraisonnable où la nutrition ne ferait que prolonger artificiellement la vie.
La loi Leonetti a intégré ce principe hérité de la théologie thomiste dans le code de la santé publique. Il est subordonné à plusieurs conditions : il faut que la situation soit désespérée, que l’effet bon soit absolument nécessaire, qu’il n’y ait pas d’autre solution et tout faire pour éviter l’effet mauvais. C’est sur ces fondements qu’il a été admis que si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne consciente en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable que par l’application d’un traitement ayant pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance, la famille ou un des proches.
Cette situation est exclue du champ d’application de la loi. Il appartient toutefois au médecin de ne pas entreprendre des actes de soins inutiles ou disproportionnés. Si la procédure d’arrêt de traitement ne peut être dans ce cas la plupart du temps collégiale, elle est soumise aux obligations de motivation et de transparence.
Lorsque l’évaluation de la souffrance du patient n’est pas possible du fait de son état cérébral, le médecin doit recourir aux antalgiques et sédatifs appropriés permettant d’accompagner le patient. Sont visés par ce dispositif du décret du 29 janvier 2010 qui s’inscrit dans la ligne de la loi du 22 avril 2005 les patients en réanimation neurologique, les victimes de traumatismes crâniens, d’hémorragie méningée anévrysmale, d’anoxie cérébrale et d’accident vasculaire cérébral. L’emploi d’une sédation d’accompagnement est soumis à trois conditions dans cette situation : une absence d’obstination déraisonnable est requise ; la procédure collégiale s’applique et l’équipe médicale est dans l’impossibilité d’évaluer la souffrance du patient du fait de son état cérébral.
Telle qu’elle est prévue à l’article L.1110-5 du code de la santé publique introduit parl’article 2 de la loi Leonetti, la sédation vise à soulager le malade et non à le faire mourir. La sédation est effectuée en utilisant des médicaments dosés de telle façon que leurs effets puissent être réversibles. Le patient peut être endormi mais peut être réveillé à l’arrêt de ces produits. L’intention, le dosage, la réversibilité du traitement, la cause du décès, l’effet dans le temps du produit sont autant d’éléments qui distinguent la sédation palliative d’accompagnement de l’euthanasie (European Journal of Health Law 14 (2007)).
1. TA de Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, 140029 ; CE, 14 février 2014, 375081 et 24 juin 2014, 375081.