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S’ils acceptent, prélever les organes et les tissus parce que les proches nous en donnent l’autorisation ne me paraît pas plus légal que d’accepter de ne pas prélever quand les proches s’y opposent. Le corps des défunts n’appartient ni aux proches ni aux familles.[...] En faisant reposer, en pratique, la décision de prélèvement sur les proches de la personne décédée, notre législation ne garantit pas que la volonté du défunt soit respectée.
Par: Renaud Gruat, Médecin anesthésiste réanimateur, coordinateur de prélèvements d’organes et de tissus, Centre hospitalier René Dubos, Pontoise, enseignant à l’Espace de réflexion éthique région Ile-de-France /
Publié le : 31 Mars 2015
Un amendement, présenté par Jean-Louis Touraine et Michèle Delaunay a été adopté le 13 mars 2015 par l’Assemblée Nationale. Il s’agit d’un article additionnel visant à modifier la loi relative à la bioéthique en ce qui concerne la question des prélèvements d’organes et de tissus. Cet amendement touche particulièrement à la question du consentement présumé et aux entretiens que les coordinations hospitalières doivent avoir avec les proches d’un défunt en état de mort encéphalique potentiellement donneurs d’organes et de tissus. Dans l’exposé sommaire qui y est joint il est fait une sorte de constat d’échec concernant notre législation en matière de don d’organes qui apparaît inadaptée face au manque de greffons disponibles. Un des points mis en exergue est en lien avec les oppositions au don exprimé par les proches. La loi actuelle oblige à rencontrer les proches du défunt afin de s’enquérir de la non opposition du défunt de son vivant au don de ses organes et de ses tissus. De fait, le plus souvent, en pratique, ce sont les proches qui acceptent ou refusent ce don.
Cet amendement a déclenché une vive réaction d’opposition de nombreux professionnels qui ont fait ou ont le désir de faire connaître leur opposition à cet amendement par voie de presse après s’être exprimés sur des réseaux en ligne.
Les arguments développés par certains et repris par beaucoup d’autres me semblent être trop souvent de l’ordre du subjectif et assez peu du raisonnable. Il y est, à mon avis, trop souvent fait appel à l’éthique et aux « valeurs républicaines » sans toutefois que les arguments proposés comme les mots utilisés soient nécessairement clairement définis et compris par tous si ce n’est dans les écrits, publiés à ce sujet, par Emmanuel Hirsch et Jean Claude Ameisen.
Cet amendement qui ne fait que modifier la loi en la rendant moins floue, a pour le moins le mérite de déclencher et d’entraîner des prises de position sur une question fondamentale qui aurait dû contribuer à l’émergence d’une réflexion sereine même si elle s’avère nécessairement longue et complexe. Les professionnels concernés auraient pu faire leur cette réflexion il y a bien longtemps, tant elle impacte profondément leur activité et tout particulièrement les relations qu’ils sont amenés à nouer avec les proches des défunts en état de mort encéphalique quand se pose la question du prélèvement d’organes et de tissus.
Pour ma part, mon activité de médecin coordinateur depuis de longues années m’a amené à rencontrer la quasi-totalité des proches des personnes en état de mort encéphalique dans mon hôpital. Bien que n’ayant pas mené d’étude à valeur scientifique sur la question du consentement présumé et l’attitude face au don des proches rencontrés, il me semble toutefois licite de rapporter l’expérience de mon équipe de coordination lors du recueil du témoignage des proches qui, je le pense, ne doit pas être très éloignée de celle des autres coordinations de notre pays.
La plus grande partie des proches interrogés rapportent ne jamais avoir parlé de la question du don d’organes avec le défunt de son vivant. Ipso facto cela signifie que le défunt ne s’est pas opposé aux prélèvements de ses organes après sa mort. La loi nous permettrait donc de prélever les organes et les tissus de ce défunt. En réalité, c’est au cours d’un entretien toujours bienveillant avec les proches, qui est le plus souvent informatif, que ces derniers, de fait, vont être amenés à « décider » d’accepter ou non le prélèvement sur le corps de leur proche. S’ils refusent, quelles qu’en soient les raisons, quelle valeur donner à ce refus qui de fait est contraire à la loi ? S’ils acceptent, prélever les organes et les tissus parce que les proches nous en donnent l’autorisation ne me paraît pas plus légal que d’accepter de ne pas prélever quand les proches s’y opposent. Le corps des défunts n’appartient ni aux proches ni aux familles. Ce serait faire fi du principe de non patrimonialité affirmé par la loi. Nous acceptons la décision d’acceptation parce qu’elle nous « arrange » mais sans nécessairement tenir compte de la volonté du défunt. En faisant reposer, en pratique, la décision de prélèvement sur les proches de la personne décédée, notre législation ne garantit pas que la volonté du défunt soit respectée. Ceux qui sont engagés dans un combat visant à faire supprimer l’amendement en question en ayant comme principales raisons qu’il heurterait les valeurs éthiques des soignants, valeurs qui gagneraient à être mieux précisées, qu’il rendrait caduque le principe du don en tant qu’expression d’humanité mais aussi qu’il risquerait d’avoir un effet contraire à celui attendu en terme de prélèvements, devraient plutôt demander à la Représentation nationale de reconsidérer la loi actuelle dans son ensemble. Il serait en effet utile de proposer une loi à la fois plus acceptable par nos concitoyens et plus facilement applicable par les soignants. On ne peut, comme actuellement le cas, à la fois mettre en exergue le don qui ne peut-être que la volonté d’une personne de son vivant et accepter de suivre le plus souvent la décision des proches qui ne peut s’apparenter à un don. Comment peut-on mettre en cause le consentement présumé d’une personne en acceptant le consentement de ses proches ?
Dans un moment où l’on disserte tant sur les directives anticipées, il me semble que le respect de l’autonomie des personnes, c’est-à-dire le respect de leur liberté et de leur volonté pourrait être pleinement respectée par leur inscription libre et éclairée sur un registre automatisé du refus à la condition qu’une véritable politique d’information soit clairement menée l’intention du grand public, ce qui a jamais été le cas jusqu’à présent.
Les questions touchant au don et au prélèvement d’organes et de tissus s’inscrivent dans la problématique de la fin de vie comme devrait nous le rappeler la nouvelle pratique des prélèvements d’organes de type MIII (pour laquelle l’Agence de la biomédecine a cru bon d’écrire dans son protocole national que c’était la loi de 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie qui permettait ces prélèvements). Nous devrions exiger l’organisation d’un véritable débat citoyen à l’instar de ce qui a été mis en place concernant la fin de vie : rencontres citoyennes, rapport Sicard, saisine du CCNE, débat à l’Assemblée Nationale. Peut-on d’une part, s’insurger contre le fait qu’un amendement d’importance, propre à bouleverser nos pratiques, soit édicté en commission et d’autre part accepter que la même façon de procéder ait été utilisée concernant la mise en place des prélèvements de type MIII ? Si les professionnels ont bien participé à l’élaboration de protocoles concernant ce type de prélèvement, qu’en a t-il été de l’information et de l’acceptation des citoyens en dépit des souhaits formulés à cet égard par nombre de sociétés savantes ? Nous ne devrions pas affirmer que ce qui est bien s’avère ainsi simplement parce que nous le désirons, et inversement.
Comme tous les soignants je ne méconnais pas les souffrances des proches pour lesquels la question du prélèvement d’organes et de tissus d’un être cher, quelle qu’en soit l’issue, relève d’une indicible violence psychologique et morale. Les relations de compréhension et d’empathie que les coordinations hospitalières et les soignants impliqués sont amenés à tisser avec les proches, se déploient souvent dans un contexte tragique et avec un sentiment de transgression : elles doivent pourtant demeurer confiantes. Ce sont ces relations particulières, toujours singulières qui font la grandeur de notre métier alors que nous ne participons à prélever des organes et des tissus que pour améliorer ou sauver des vies : pour faire le bien nous devons nous attacher à viser le moindre mal.