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"Les situations vécues par les patients souffrant de maladies neurodégénératives sont déjà complexes mais en cas de spectre de la transmission héréditaire, elles sont complexifiées par la représentation familiale. Le sujet est ainsi un maillon malmené entre sa famille, sa propre vie et sa maladie. Son entrée dans la maladie se faisant ainsi par une approche intime, voire identitaire."
Par: Audrey Gabelle-Deloustal , Neurologue, docteur en neurosciences, CMRR, CHU de Montpellier /
Publié le : 04 juin 2015
L’hérédité et l’éthique, vaste question de la « généthique », qui ne sera pas exposée ici dans son ensemble mais focalisée aux questionnements relatifs à la transmission des maladies neurodégénératives et au regard des nouveaux enjeux éthiques que posent la mise en place, outre-Atlantique, de nouveaux essais thérapeutiques proposés aux sujets asymptomatiques à risque de développer la maladie d’Alzheimer.
La génétique est la science qui, appliquée à l’homme, se fixe pour objectif de déterminer l’origine des caractères humains, des similitudes et des différences, de leur transmission au travers du lignage… Cette notion de transmission est une question centrale à laquelle nombre de praticiens sont confrontés chaque jour en consultation mémoire. Avec la peur que leurs parents auraient pu leur transmettre « la » maladie et la culpabilité, et pour les patients de transmettre le « mal », la « tare », le « poids » d’une maladie incurable qui altère la mémoire, l’identité, l’autonomie. L’approche de ces questions est individuelle car elle renvoie à l’histoire familiale, à l’appartenance à des racines, à des ancêtres, et à la philosophie de l’individu face à la trans « mission ». Mais quelle est la mission ?
L’idéal pour la majorité des individus est la transmission de ce qui est le mieux pour une optimisation, une amélioration de l’individu, de ses enfants, de la société vers le Bien, à l’évolution de l’espèce en lien avec notre conception très darwinienne de l’homme. L’homme ainsi porté par son déterminisme, génétique, épigénétique, psychosocial vers la liberté de penser que tout est possible, est soudain confronté à la « dégénérescence », à la fin, à la mort plus imminente que prévue et surtout plus prévisible. Le destin humain est ainsi ramené à sa dimension biologique. Non seulement le patient est confronté à la connaissance au moins évoquée de sa destinée, de sa fin, mais il est confronté à sa fin au regard de celle, déjà vécue par procuration, en observateur-acteur de ses proches malades avant lui. Il est ainsi très difficile pour le clinicien de trouver la bonne posture dans la dualité déjà existante du patient : « moi avec ma maladie, moi avec la maladie de ma mère, la maladie de mon père… », dans les explications, l’écoute, le soutien qui doivent être apportés au patient par rapport à sa maladie, sa prise en charge, son évolution…
Les situations vécues par les patients souffrant de maladies neurodégénératives sont déjà complexes mais en cas de spectre de la transmission héréditaire, elles sont complexifiées par la représentation familiale. Le sujet est ainsi un maillon malmené entre sa famille, sa propre vie et sa maladie. Son entrée dans la maladie se faisant ainsi par une approche intime, voire identitaire. Ainsi, une jeune femme me rapporte : « J’aurais préféré perdre mes cheveux avec la chimio que ma tête… » Son père avait eu un cancer du sein, sa mère une maladie d’Alzheimer, sa sœur qui avait toujours ressemblé physiquement à sa mère avait finalement hérité du cancer du sein, et elle qui voulait ressembler à son père avait peur de l’Alzheimer. Le risque induit par l’histoire familiale a non seulement un impact individuel, mais de plus en plus sociétal, en termes de gestion du risque, de la probabilité d’avoir un handicap dans une société ou tout doit être de plus en plus maîtrisé. Ainsi, nous devons-nous d’apporter un bénéfice direct aux consultants, nous nous devons d’être très attentifs pour ne pas nuire aux intérêts sociaux du patient en prenant en compte les potentielles conséquences socio-économiques (assurance, emploi…) et personnelles (gestion du couple, des enfants, de la vie personnelle…).
Il y a dans les caractéristiques des maladies neurodégénératives, l’absence de traitement curatif, rendant encore plus essentielle la prise en charge personnalisée, attentive, proactive et multidisciplinaire de ces affections. Si pendant de nombreuses années les cas génétiques étaient exclus des essais thérapeutiques, alors même que les molécules étaient développées dans des modèles animaux modifiés génétiquement, le développement des études de « prévention » chez les sujets à risque a ouvert de nouvelles possibilités. Conceptuellement, les essais de prévention étaient dédiés aux sujets fragiles, aux sujets avec des facteurs de risque (cardiovasculaire, dépression…). Dorénavant les sujets à risque de développer la maladie, selon les nouveaux biomarqueurs dont les marqueurs génétiques (ApoE4 positif, notion d’histoire familiale positive), sont en lice pour l’inclusion dans des essais thérapeutiques qui visent à évaluer l’efficacité des traitements bloquant potentiellement le processus pathologique, dès les stades très précoces. La science se confronte alors à l’éthique. D’un point de vue scientifique, les avancées dans ce domaine semblent indéniables car ces études permettront de répondre à la question essentielle : « les échecs des traitements anti-Alzheimer depuis ces 20 dernières années sont-ils dus au fait que le traitement est instauré trop tard quand la charge lésionnelle est trop importante ? » Mais d’un point de vue éthique, que penser des essais thérapeutiques alors que le sujet est asymptomatique, sans plainte, sans parfois connaître son statut génétique ? Une réflexion de la communauté scientifique est en cours portant sur quels critères cliniques, biologiques, d’imagerie proposer pour évaluer l’effet des traitements. Un marqueur biologique reflétant la cible moléculaire ?
On pourra ainsi conclure à l’efficacité de la molécule contre la cible moléculaire, biologique… Mais quel effet à l’échelle de l’individu dans la temporalité de sa vie ?
Si la liberté de choix est inaliénable, il reste essentiel de s’assurer de la compréhension des enjeux, des limites des nouvelles technologies infiniment complexes pour le profane que représente le patient fragilisé par le spectre de la maladie. Une place à l’espoir, à l’espérance de la neuro-plasticité, à l’impact de l’environnement dans le déterminisme de chacun, doit être laissée malgré sa génétique. Le patient doit pouvoir gouverner sa vie, reprendre son évolution dans une forme d’indépendance de son histoire familiale et de sa cartographie biologique.