texte
article
"Arrivée la fin de l’année l’établissement de santé où j’exerce, lieu de la prise en soin de l’accompagnement de l’enfant et de l’adulte polyhandicapé, célèbrent ces fêtes traditionnelles d’année en année. Au nom de quel principe, pourrions-nous priver de ce bonheur festif la personne en situation de polyhandicap ?"
Par: Elisabeth Grimont-Rolland, Chef de service rééducation pédiatrique, Hôpital San Salvadour, AP-HP /
Publié le : 08 Janvier 2016
Texte proposé dans le cadre de l'Initiative Valeurs de la République, du soin et de l'accompagnement.
Un mois après les terribles attentats, véritables actes de barbarie, commis au nom d’une idéologie intolérante et obscurantiste, la nation se mobilise. Le mot laïcité, intraduisible dans une autre langue, apparaît un peu partout à mesure que les politiques s’emparent de ce principe revenu sur le devant de la scène politique. Le premier ministre français a célébré ces jours derniers le 110ème anniversaire de la loi de 1905, loi de séparation des Églises et de l’État. Au sein même des principes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, « Liberté, Égalité, Fraternité », valeurs universelles de notre République, la laïcité a acquis une valeur constitutionnelle et ne peut plus en être dissociée.
Le 25 mars 2015, un débat à l’Assemblée Nationale a eu lieu afin de faire une proposition de loi visant à rappeler les principes de laïcité et de neutralité dans les établissements de santé. Depuis plusieurs années, le principe de laïcité fait l’objet d’attaques dans nos établissements de santé et le personnel médical et paramédical est de plus en plus confronté à des situations difficiles. Ces coups de butoir dans le respect de la liberté est une véritable attaque du vivre ensemble, du respect de soi-même et de l’autre.
Faut-il pour autant au sein de nos établissements faire abstraction de nos traditions ? Arrivée la fin de l’année, période où les festivités battent leur plein, l’établissement de santé où j’exerce, un des derniers lieux de la prise en soins, de l’accompagnement de l’enfant et de l’adulte polyhandicapé, célèbrent ces fêtes traditionnelles d’année en année. Au nom de quel principe, pourrions-nous priver de ce bonheur festif la personne en situation de polyhandicap ? Elle qui, sans communication verbale, sans possibilité d’exprimer sa liberté d’agir, de penser, dans l’impossibilité comme le rappelait Foucault de « devenir entrepreneur de lui-même » ?
Comment vivre, et conceptualiser, le passage de la laïcité au soin ? Les soins prodigués sont des soins de longue durée, associant soins médicaux, soins rééducatifs et éducatifs dans une approche multiculturelle et un respect de l’Autre. Dans ce contexte de soins à la personne sans autonomie, le respect de la diversité socioculturelle est au centre de nos préoccupations, dans le respect de la loi.
La charte du patient hospitalisé rappelle : « L’établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression). Tous les patients sont traités de la même façon quelles que puissent être leur croyance religieuse. Les patients ne doivent pas douter de la neutralité des personnels hospitaliers ».
De même, la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 affirme : « […] Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de penser, de conscience et de religion. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publique ou les libertés et les droits fondamentaux d’autrui » (article 14).
Accepter l’Autre, c’est reconnaître avec Emmanuel Lévinas, le visage de l’Autre c’est dire non à l’unicité, à l’unique, et dire oui à la fraternité et à la solidarité. Ce n’est pas pour autant que nous renonçons à notre culture, à nos traditions, à nos fêtes qui font le ciment de notre vivre-ensemble au sein de notre établissement, devenu lieu de vie pour la plupart de nos patients présentant une pathologie chronique. Ce lieu de vie se veut d’être vivant, rythmé par les choses de la vie et, ainsi, évitant toujours de sombrer dans une pulsion mortifère.
C’est ce que nous faisons, lorsque nous organisons la parade de Noël à laquelle participent soignants et patients issus de toute culture, en toute liberté. Le grand hall de l’hôpital devient le lieu de décorations colorées qui tombent du ciel comme des stalactites, les sapins multicolores scintillent et embaument l’atmosphère, le spectacle sans cesse renouvelé enchante petits et grands. Plus tard, vient la distribution des cadeaux, tant attendue et l’explosion de joie se lit dans les yeux des enfants. La musique et les comptines sont au rendez-vous, la parade passe de services en services, animée par le personnel soignant et socio-éducatif pour distribuer cadeaux, biscuits et friandises. Les parents, les frères et sœurs des patients nous accompagnent dans ce moment de joie et de liesse. La fête bat son plein.
Il ne me semble pas que ce soit un manquement au principe de laïcité que de proposer ces moments festifs, dans une pure tradition ancestrale. Nous n’avons jamais eu à ce jour de soucis, de refus de la part des familles, la participation massive à cette fête nous en donne preuve.
Le prendre soin, ce sont aussi ces petits moments de bonheur, espaces de sollicitude, d’inquiétude et de respect pour autrui, véritable travail dans l’esprit du care, « faire pour et avec ». Ce sont ces moments de dialogue et de collectif qui forge le prendre soin, dans la défense de ces petits bonheurs simples, de tous les jours, laissant de côté pour un temps la dure réalité de la maladie et du handicap.