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"En un mot, chaque fois qu’un lanceur d’alerte révèle un secret impliquant l’intérêt général, un même problème se pose : celui de la propriété sociale de l’information, c’est-à-dire qui a le droit de savoir quoi à quel sujet ?"
Par: Albert Ogien, Sociologue, directeur de recherche au CNRS, CEMS-IMM EHESS /
Publié le : 24 Mars 2016
Le 2 avril, Albert Ogien participera à la soirée de l'Espace éthique lors de la Nuit des débats pour une discussion autour des lanceurs d'alertes. Il nous livre une première approche des enjeux qui seront abordés le 2 avril.
Trois débats exceptionnels auront lieu ce soir du 2 avril, autour des lanceurs d'alertes, des états d'urgence, et de la marchandisation du corps.
Découvrir le programme de la Nuit des débats
En un mot, chaque fois qu’un lanceur d’alerte révèle un secret impliquant l’intérêt général, un même problème se pose : celui de la propriété sociale de l’information (c’est-à-dire qui a le droit de savoir quoi à quel sujet ?). Mais son acte ne s’apparente pas à la désobéissance civile – qui consiste, elle, à refuser d’exécuter un ordre ou d’appliquer un texte de loi ou une réglementation qui paraissent illégitimes, injustes ou répugnants afin de les voir abrogés.
Dans Pourquoi désobéir en démocratie ?, Sandra Laugier et moi avons défendu l’idée qu’il ne pouvait y avoir de droit à la désobéissance civile tout simplement parce qu’il y aurait là une contradiction logique : comment autoriser par avance le fait de ne pas respecter une obligation sans savoir de quelle obligation il s’agira ? Ce qui fait le prix de la désobéissance civile est justement qu’elle se produit de façon sauvage, sans avoir été programmée, en brisant l’ordre des choses et les règles de bienséance. Et on peut sans doute dire la même chose des lanceurs d’alerte.
Tant que des actes indignes, des lois injustes, des dispositions scélérates, des secrets révoltants, des censures insupportables ou des impunités intolérables auront cours, on peut parier que la désobéissance et l’alerte fleuriront. Doit-on pour autant décréter un droit au refus de se plier à la loi ou à la révélation de secrets ? Je ne crois pas, ne serait-ce qu’en raison du fait que c’est le caractère inattendu de ces actes qui leur confère leur force. On gagnerait plutôt à inscrire en droit une clause de sauvegarde du citoyen qui se met en illégalité pour garantir le bien commun – à l’instar de ce qui se fait lorsqu’on décore une personne pour un acte de bravoure exceptionnel, ou à l’égal de la possibilité qui est encore accordée aux journalistes de mener, dans le respect des règles de déontologie, leur travail d’investigation.
Cette reconnaissance de la légitime vigilance des citoyens et du rôle qu’elle doit jouer dans le développement des pratiques de la démocratie serait, me semble-t-il, la moindre des choses à faire pour honorer le courage de ceux qui acceptent d’être traités comme des “traitres” et d’endurer les mesures de rétorsion que leur vaut le fait d’avoir osé désobéir ou lancer des alertes.