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La loi du 27 janvier 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, « règle-t-elle » comme l’affirme le rapporteur Alain Claeys, le problème des personnes en état végétatif ?
Par: Bernard Jeanblanc, Chef de service du pôle handicap, Maison de Santé Bethel, Oberhausbergen (67) /
Publié le : 21 Avril 2016
Du 9 mai au 1er juin 2016, l'Espace éthique/IDF organise un cycle de 5 conférences autour de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Les circonstances liées à la situation de M. Vincent Lambert ont mis en lumière un certain nombre de points imprécis, obscurs et ambigus du dispositif législatif défini par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vue, quant à son application à une personne qui n’est pas en fin de vie, pour laquelle le maintien de l’alimentation et de l’hydratation par voie entérale fut considéré par le corps médical comme relevant d’une obstination déraisonnable qui pouvait être arrêtée entrainant ainsi la mort. Le consentement de la personne hors d’état d’exprimer sa volonté, étant en état pauci-relationnel, fut validé par l’acceptation du témoignage oral des proches déclarant qu’elle n’aurait jamais voulu se retrouver dans cette situation et ce malgré l’absence de consensus familial.
L’ambigüité du texte de 2005 repose sur le caractère subjectif de ce que représente l’obstination déraisonnable et la procédure collégiale consultative, donnant tout pouvoir au médecin dans sa décision quelle qu’en soit le sens.
Le texte de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie n’apparait pas lever cette ambigüité.
Concernant l’obstination déraisonnable l’article L.1110-5-1 n’est pas modifié dans son esprit. Les trois critères la définissant restent le caractère inutile, disproportionné ou de traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie. « Lorsque les traitements n’ont d’autre effet que le maintien artificiel de la vie, sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et selon une procédure collégiale définie par voie réglementaire, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. » Un alinéa important est ajouté, dont on verra plus loin la portée : la nutrition et l’alimentation artificielle constituent un traitement qui peut être arrêté.
L’article L.11110-5 applique cette disposition aux risques encourus par le patient : « Les actes de prévention, de traitement ne doivent pas en l’état des connaissances médicales lui faire courir des risques disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés ». Alors comment la NHA peut être constitutive d’une disproportion alors que l’on ne peut lui reconnaître que des bienfaits, surtout en ce qui concerne l’alimentation entérale qui ne présente aucun risque une fois le dispositif en place ? La réponse toute personnelle est donnée par le rapporteur Jean Leonetti dans son intervention au Conseil d’État en juin 2014 : « L’adjectif disproportionné doit être compris comme une disproportion non par rapport au risque mais par rapport à l’effet escompté. Ainsi on peut considérer que la NHA peuvent devenir disproportionnée, dès l’instant que le pronostic vital est en jeu ou que des lésions neurologiques majeures et irréversibles entraînent une perte de vie relationnelle et de conscience de soi. »
La disproportion d’un traitement devient ainsi conditionnée non au risque qu’il pourrait comporter, mais à son efficacité attendue et surtout à l’état clinique de la personne qui le reçoit. Cette interprétation toute subjective du texte de loi, qui semble réduire l’humanité de la personne à ses capacités relationnelles, peut-elle être admise ?
A l’évidence non, si on se réfère à l’avis du Conseil d’État : « la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou de perte d’autonomie la rendant tributaire d’une alimentation et d’une hydratation artificielles ne caractérise pas, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite du traitement apparaît injustifiée. »
On peut ajouter que la dignité de la personne n’est pas altérée ni diminuée par la maladie.
Au titre du refus catégorique de l’obstination déraisonnable on relevait déjà dans le texte de 2005 que les traitements inutiles, disproportionnés… peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Le texte, par cette possibilité donnée au médecin sans l’imposer, entendait concilier trois contraintes, décrites par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE ) dans ses observations à l’attention du Conseil d’État (5 mai 2014) : la 1ère tiendrait à l’incertitude scientifique c'est-à-dire la difficulté d’apprécier le caractère déraisonnable du traitement ; la 2ème est que des traitements relevant des bonnes pratiques peuvent être considérés par la personne comme déraisonnables, et enfin la 3ème est que l’emploi du terme « pouvoir » s’applique non seulement aux actes médicaux mais au médecin lui donnant le pouvoir ou la possibilité d’interrompre un traitement. Aussi dans le cadre d’une poursuite pénale, pourrait-il se défendre en démontrant qu’il a réalisé un acte autorisé par la loi, le mettant à l’abri de poursuites pénales.
Le texte adopté en première lecture à l’Assemblée nationale renforçait l’obligation du médecin : « les traitements doivent être suspendus… » Mais dans la version définitive du texte cette injonction a disparu.
Si le texte de loi ne peut nous dire ce que l’on peut entendre d’un traitement maintenant artificiellement en vie qui relève de l’obstination déraisonnable revenons vers le CCNE qui dit en substance : I »l apparait que ce n’est pas le seul fait qu’un traitement ait pour objet le maintien artificiel en vie qui peut justifier de son interruption ou de sa non mise en œuvre. La situation la plus complexe est celle des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, quelle que soit la pathologie qui les conduit dans cette situation et la notion de temporalité est essentielle à prendre en compte selon que la personne est ou non en fin de vie. Dans le second cas, le médecin n’est plus guidé par la certitude d’une mort inéluctable à court terme, mais par le souci de ne pas laisser vivre une personne en raison de sa souffrance, de l’absence d’évolution prévisible… » Lorsqu’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté n’est pas en fin de vie, qui peut décider et comment décider que la poursuite de la vie relève d’une obstination déraisonnable ?
Le rapporteur Jean Leonetti apporte une réponse : « Le maintien artificiel de la vie fait référence au maintien artificiel au sens purement biologique du terme. » Cette situation est habituellement représentée par les personnes en état de mort cérébrale avec maintien artificiel des organes en vue de transplantation. Or Jean Leonetti étend le concept de vie biologique aux personnes en état végétatif ou pauci-relationnel, considérant que ces personnes n’ont plus de conscience de soi et de lien relationnel. C’est faire peu de cas des familles et des soignants accompagnant ces personnes en situation de handicap lourd et en grande vulnérabilité.
Le fait de conditionner le caractère déraisonnable d’un traitement - fut-il une alimentation et hydratation entérale - à un état clinique en rapport à une cérébrolésion altérant conscience et relation doit nous rendre très vigilants. Ce principe pourrait en effet s’appliquer à toute forme de handicap altérant conscience et relation. La question est déjà posée : maintenir une hydratation par voie sous-cutanée quotidiennement chez une personne démente est-ce constitutif d’une obstination déraisonnable, sachant que son arrêt est synonyme d’une mort à très court terme ?
Beaucoup considèrent comme une réelle avancée d’avoir inscrit la nutrition et l’hydratation artificielle dans le Code de santé publique comme des traitements, permettant ainsi au médecin de les interrompre sans risquer de poursuite pénale pour euthanasie. Comme le dit si bien la Ministre de la Santé : « c’est une loi pour protéger et encadrer les médecins » (Huffington post, 28.01.2016).
Pour autant, cette loi règle-t-elle toutes les situations comme celle de M. Vincent Lambert ?
Il y a fort à parier que non s’il n’y a pas une évolution du processus de décision, que la loi renvoie à une définition par voie réglementaire. En effet, le texte actuel laisse le médecin seul décideur, la procédure collégiale n’étant que consultative. Or seule une décision véritablement partagée est de nature à prévenir les conflits comme celui qui s’est cristallisé autour de M. Vincent Lambert. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire l’avis du CCNE au Conseil d’État dans l’affaire Lambert à propos des arrêts de nutrition et d’hydratation pour des personnes dont on ne connait pas la volonté : « ….le CCNE considère souhaitable la mise en place d’un véritable processus de délibération et de décision collective, qui permette de faire émerger au mieux, au cas par cas, dans la pleine conscience de l’incertitude la meilleure réponse possible dans la radicale singularité de chaque situation. »