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À l’occasion des Journées nationales d’éthique « Alzheimer et maladies neuro-dégénératives (Toulouse les 21 et 22 novembre 2016), une nouvelle alliance s’est imposée entre les personnes malades, leurs proches, les associations, les soignants, les chercheurs pour lancer un appel en faveur d’une société, d’une médecine, d’une recherche et de soins plus attentifs à leur expérience de la maladie et mobilisés afin de leur permettre de mieux assumer les défis spécifiques d’une maladie neuro-évolutive.
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 25 Novembre 2016
Réunissant dans le cadre du Plan national maladies neuro-dégénératives 2014-2019 près de 700 personnes, ce forum organisé par l'Espace national de réflexion éthique sur les maladies neuro-dégénératives (EREMAND) a constitué un temps fort de rencontres, d’échanges, de partage d’expériences. Une nouvelle expression politique des personnes affectées par différentes maladies neuro-évolutives s’est imposée. Elles revendiquent la reconnaissance d’une inclusion sociale soutenue par des dispositifs adaptés. Elles souhaitent développer une expertise propre, être reconnues dans des propositions riches de leurs savoirs de ce que représente au quotidien leur confrontation à une maladie qui ne saurait entraver leur désir de vivre et de se réaliser pleinement en société. Une nouvelle génération de personnes malades partagent une même conception de leur engagement dans la cité. Elles se situent dans la filiation des « années sida », et renouvellent l’émergence d’une conception politique de leur lutte contre la maladie.Elles proposent ainsi des mesures tenant compte de la spécificité de leur état de santé, favorisant un environnement de vie respectueux de leurs valeurs et de leurs dignité de citoyen, un suivi médical, l’accès à la recherche, un accompagnement social, le maintien de l’emploi et des réponses ajustées à leurs besoins afin de vivre sans discriminations au cœur de la cité.
En dépit de circonstances spécifiques à chacun des parcours dans la maladie, une communauté rassemble autour d’expériences et d’exigences partagées les personnes affectées par une maladie neuro-dégénérative associées dans la dynamique du plan national 2014-2019 : Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques, SLA, Huntington, ataxies, notamment. À leurs côtés, proches, soignants, chercheurs et membres d’associations, s’engagent dans une même démarche résolument politique. Ils affirment publiquement leur haute idée de la démocratie sanitaire et sont résolus à contribuer à transformer une réalité qui justifie des évolutions au service de tous. Les maladies neuro-évolutives sont en effet caractéristiques de circonstances qui peuvent apparaître extrême dans le parcours de soin : elles peuvent affecter la personnes physiquement ou dans ses capacités de pensée, et se développent à travers un processus progressif sur un temps souvent long. Les réponses doivent donc être envisagées tant d’un point de vue médical qu’en termes de réponses sociétales, afin de proposer le meilleur accompagnement et de prévenir tout risque de rupture. À cet égard, dans une étude approfondie (Cahier de l’Espace éthique n°3), l’Espace de réflexion éthique MND propose des éléments de compréhension et des perspectives d’action susceptibles d’éclairer les choix.
Au cours des Journées d’éthique de Toulouse, les personnes affectées par une MND ont témoigné de la nécessité de mieux appréhender les temps et les étapes de leur maladie. À la suite d’un long temps d’errance elles accèdent à un diagnostic qui doit s’ouvrir sur des perspectives d’existence digne. Les conditions de l’annonce, du partenariat dans les prises de décisions complexes, d’anticipation des évolutions et des options qui s’imposent justifient que soient respectées les positions de la personne malade et de ses proches. Ils sont en demande d’alliances qui tiennent compte de leur autonomie, de leurs aspirations, de leur expérience personnelle, de leur savoir expérientiel. Ils veulent être reconnus dans le droit d’être créatifs et responsables de leurs choix de vie.
La maladie chronique ne relève pas que d’enjeux de santé publique. « Vivre sa maladie » c’est aspirer à être reconnu dans la possibilité de poursuivre un parcours en société le plus cohérent et continu possible. Comme le préconisait déjà, à travers des mesures concrètes, la Résolution de Montpellier (2014), il convient d’inventer ensemble de nouvelles formes de mobilisation. Notre corps social, dans sa diversité, est appelé à s’associer à cette démarche qui porte les mêmes espérances que celles qu’ont implanté les malades du sida au cœur de nos préoccupations.
L’enjeu politique relève dès lors des initiatives mises en œuvre afin de renforcer la personne dans sa capacité à réaliser ses projets de vie, ainsi qu’à se maintenir dans le cadre d’un réseau relationnel actif et attentionné. L’entreprise doit s’adapter, si nécessaire, afin de préserver une activité tenant compte de l’évolutivité possible de la maladie avec ses conséquences. Notre vie publique, les équipements du quotidien, tout ce qui concourt à la communication, à la circulation, au lien social doit être envisagé et adapté en tenant compte de l’accessibilité des personnes parfois entravées dans leur faculté d’en bénéficier. Il convient, ensemble, de ne pas ajouter aux conséquences de la maladie l’inertie ou l’indifférence d’une société qui ne comprendrait pas ce qui se joue d’essentiel face à ces défis humains et sociétaux.
Dans la dynamique de l’initiative « Alzheimer et société » lancée par l’EREMAND à l’occasion de la Journée mondiale Alzheimer du 21 septembre 2016, une concertation s’ouvre aujourd’hui avec l’ensemble des acteurs concernés afin d’élaborer des lignes d’actions et une plateforme d’initiatives qui seront rendues publiques en mars 2017.
Dans un contexte où les enjeux de solidarité, de justice et de souci témoigné aux réalités humaines et sociales de la vulnérabilité sont au cœur du débat politique, la Résolution de Toulouse doit contribuer concrètement aux avancées qui favoriseront une meilleure compréhension de la richesse et de la créativité dont témoignent au quotidien les personnes qui luttent, parmi nous, contre la maladie.