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"De cette philosophie du respect du droit aux choix et aux risques des personnes âgées devrait résulter une prise de conscience que chaque être humain, quel que soit ses difficultés, physiques, psychologiques, quel que soit son âge, sa maladie, incurable ou pas à le droit à des conditions d'accueil et de soins qui prennent en compte sa dignité et donc sa parole."
Par: Sabrina Albayrak, Doctorante en Santé Publique et Sociologie, INSERM, U1168, VIMA: Aging and chronic diseases. Epidemiological and public health approaches /
Publié le : 14 Mars 2017
La loi[1] accorde le droit au malade, de refuser ce qui ne lui paraît pas sensé pour lui-même et lui permet de dire par avance ce qu’il souhaite en cas d’incapacité. Elle donne donc le droit au patient de contester, de refuser les traitements qu’il considère comme un acharnement thérapeutique, le médecin se doit d’informer le patient des conséquences de ses choix. Mais faut-il encore connaître ses droits et anticiper son vieillissement ou sa perte de capacité à prendre des décisions[2]. Les cas d’hospitalisations d’urgences sont révélateurs de notre incapacité à nous projeter dans ces situations dramatiques ou le choix est le plus souvent abandonné aux familles ou aux soignants, divisant ainsi la décision prise entre ceux qui « savent » et agissent pour le bien des autres et les « profanes ».
Dans le cadre de nos réflexions sur les limitations et arrêts de traitements nous avons recueilli le témoignage de l’époux d’une cliente d’un SSIAD[3] du Val de Marne qui a décidé d’arrêter le traitement de sa femme, victime d’un AVC en 2014 :
« J’ai 68 ans et ma femme 66, j’étais ingénieur du son, elle était institutrice, épileptique depuis l’enfance. Il y a 3 ans, ma femme a été victime d’un AVC, les médecins m’ont dit « elle est foutue », malgré la prise de son traitement contre l’épilepsie les accidents n’ont jamais été évités, avec l’AVC les choses ont empiré. Ma femme n’aimait pas prendre ses médicaments, elle n’était plus elle-même avec. Au début de son AVC elle pouvait encore s’exprimer, mais au final les médicaments lui faisait du mal, ils l’abrutissaient, elle devenait de plus en plus un légume. J’avais encore de l’espoir au début, et puis il y a eu plusieurs phases dont la rééducation et l’espoir qui diminue. C’est l’hôpital qui administrait les traitements, j’étais toujours présent aux consultations. Je connaissais ma femme et nous n’avions pas de tabous, parler de la mort ne nous faisait pas peur, nous sommes athées tous les deux. Elle n’aurait jamais accepté de vivre dans ces conditions. Aujourd’hui elle ne peut plus parler, ce n’est plus elle, c’est cruel de la laisser comme ça, elle est juste le fantôme d’elle-même. Je pense souvent à la Suisse[4] pour nous deux, pour qu’on en finisse, mais j’ai encore mes petits-enfants.
Quand j’ai décidé d’arrêter le traitement de ma femme, personne ne m’a rien dit, ni les professionnels du monde médical, ni mes enfants. C’est une souffrance pour tout le monde de la voir dans cet état. Pour ma part, je suis dans un état d’épuisement. J’ai vu des psys, j’ai quitté Paris, pour aller à Joinville pour avoir une maison plus adaptée à ses handicaps. Mais je ne suis pas entouré ici, personne ne nous aide pour traverser cette épreuve. Je me sens abandonné, démuni. J’aimerais qu’il y ai une autre fin de vie possible : avoir de la présence, médicale, humaine. Il y a une vraie perte de valeur à ce niveau-là. La société n’attend qu’une chose de nous qu’on disparaisse. Il n’y eu aucune évaluation de sa douleur suite à ma décision d’arrêt de son traitement. Il n’y a plus de suivi médical, juste les aides-soignantes qui passent tous les jours et une infirmière par mois.
Cette décision d’arrêt des traitements a été une réaction naturelle pour moi, il n’y a aucun intérêt à prolonger les choses, de ne pas savoir ce qu’elle pense, si elle pense, de ne pas pouvoir communiquer avec elle, c’est trop douloureux. Aujourd’hui, je subis, je suis dans une mécanique, je n’existe plus. Tout le monde m’abandonne, la société, les médecins, les psychologues. La mort de ma femme serait une libération, elle souffre, mais je ne peux pas savoir si elle souffre plus sans ses traitements, dans le doute elle aurait choisi la mort. La laisser comme ça, c’est retirer sa dignité, continuer les traitements pourquoi faire ? Ce n’est plus ma femme et ce n’est pas ce qu’elle aurait voulu, il faut accepter les choses. Il faut accepter la mort. Nietzche disait au sujet de la biologie d'une plante tropicale, le Sipo Matador (une liane tueuse), « la plante s'appuie sur un arbre et grimpe jusqu'à la canopée où elle peut profiter de la lumière, souvent elle détruit son tuteur - le tout par-delà le bien et le mal ». C’est notre contexte de vie aujourd’hui.
La souffrance et l’impuissance c’est un tout, on n’a plus de courage. Ce qui me tue le plus, c’est de ne pas savoir quand elle va partir, c’est douloureux pour un époux, on me force à vouloir la mort de ma femme. Je préfèrerais que nous soyons dans le film « Soleil vert », le bonheur c’est de profiter de l’instant présent. Il y a des fragments de bonheur mais 90% de survie. Je serai bientôt bon à tuer moi aussi. »