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"Partager sur les médias sociaux les cas de limitations et arrêts de traitements invite, inéluctablement, la société civile à s’emparer de ces sujets, sans pour autant connaître le dossier médical. Au-delà de l’exposition médiatique, l’intervention de la société civile pose un problème de fond : a-t-elle le droit de décider pour le patient, pour les proches, pour l’équipe soignante si le patient doit continuer son traitement ou pas ?"
Par: Caroline Tête, Documentaliste /
Publié le : 17 Mars 2017
Ces vingt dernières années, l’utilisation des médias sociaux a considérablement augmenté. Le terme « média social » renvoie à des applications en ligne incluant les sites de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) ainsi que des sites de partage social (blogs, wikis, podcasts). Cette constellation d’outils en ligne a pour vocation d’aider les internautes à se connecter, à collaborer et à communiquer entre eux, en temps réel.
Ainsi, les médias sociaux sont devenus un espace virtuel de dialogue et de partage où les internautes peuvent débattre de tous les sujets, y compris de la fin de vie. Les limitations et arrêts de traitements ne font pas exception et questionnent sous trois angles différents.
De nombreux professionnels de soins de fin de vie, notamment dans les pays anglo-saxons, ont investis les médias sociaux pour partager leur savoir, diffuser leurs pratiques et expliquer les enjeux de la fin de vie aux internautes. Les limitations et arrêts de traitements représentent un sujet sensible, complexe à expliquer en peu de mots (140 caractères sur Twitter, par exemple). Ce constat conduit à se poser la question de l’efficacité des messages : et si les messages ne sont efficaces que lorsqu'ils atteignent des personnes déjà au fait des problèmes éthiques en jeu ? Cette exposition rationnelle et souvent académique des limitations et arrêts de traitements est-elle utile si elle ne peut jamais mener à une discussion plus approfondie ?
57 millions de Français (France métropolitaine) utilisent Internet, 36 millions sont actifs sur les médias sociaux. Nombre d’entre expriment leurs opinions sur les limitations et arrêts de traitements via leurs différents comptes ou dans les commentaires d’articles.
L’information contenue sur les médias sociaux n’a pas nécessairement moins de valeur qu’un document papier ou que la verbalisation de ses souhaits en termes de limitations et arrêts de traitements. Juridiquement, elle est déjà utilisée dans les divorces et la garde des enfants : il est donc peu probable qu’elle ne puisse pas être utilisée à terme dans les décisions de fin de vie. En fait, d’après Jessica Berg, professeur de droit, de bioéthique et de santé publique (Case Western Reserve University – Schools of Law and Medicine, Cleveland), il existe même certains avantages à ce type d’informations puisqu’elles sont facilement mises à jour, potentiellement traçables au fil du temps et, peut-être le plus important, facilement trouvables. N’importe qui peut afficher une page Facebook en quelques minutes sur n’importe quel appareil électronique (ordinateur, tablette, smartphone). Cependant, les médias sociaux n’étant pas une catégorie unitaire, il est nécessaire d’évaluer chaque information dans son contexte.
La prise en compte de ce type d’informations dans les décisions de limitations et d’arrêts de traitements n’est possible que lorsque le patient ne peut et n’a pas exprimé ses souhaits de fin de vie. Cela pose cependant la question de la mise en scène du patient sur les médias sociaux. En d’autres termes, pense-t-il ce qu’il a écrit ou a-t-il joué de son image sociale ? Un article dans Wired Magazine (Erin Biba, août 2011) note que « chaque fois que nous postons quelque chose sur Twitter, Facebook, Tumblr ou Instagram, nous influençons ou nous tentons d’influencer comment le « monde » nous voit. [...] Nous construisons constamment notre « marque » en ligne ». En réponse (Wired Magazine, Septembre 2011), Tom Anderson, fondateur de MySpace déclare : « Etre en ligne nous donne simplement plus de temps pour comprendre qui et ce que nous aimerions être et pour projeter cette image aux autres ». La version idéalisée de nous-mêmes peut-elle servir de matière aux décisions de fin de vie nous concernant ?
Partager sur les médias sociaux les cas de limitations et arrêts de traitements invite, inéluctablement, la société civile à s’emparer de ces sujets, sans pour autant connaître le dossier médical. Au-delà de l’exposition médiatique, l’intervention de la société civile pose un problème de fond : a-t-elle le droit de décider pour le patient, pour les proches, pour l’équipe soignante si le patient doit continuer son traitement ou pas ? Quelle sera la valeur-seuil pour laquelle la société limitera ou arrêtera les traitements ? En France, où les soins médicaux sont supportés par la collectivité, la question risque bientôt de nous plonger dans un débat d’ordre éthique, notamment dans le contexte électoral dans lequel nous sommes.
Bien que les discussions académiques sur les limitations et arrêts de traitements restent importantes, le dialogue informel sur ces sujets demande une plus grande appréciation. Le champ de la bioéthique est en passe d’y parvenir sur les médias sociaux. Ainsi, ces discussions éthiques devraient croître avec les nouvelles façons de communiquer. Cela nécessite cependant de garder un œil attentif sur les nouveaux médias, véritable outil de dialogue, et de rester vigilant aux commentaires.
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