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Et si Voltaire et Rousseau s’étaient réellement rencontrés à Ferney pour échanger des amabilités qui d’ordinaire transitaient par le biais d’épigrammes et libels qui attisaient la curiosité de leurs contemporains, cela aurait pu ressembler à cette pièce imaginée par Jean- François Prévand qui mêle habilement intrigue policière et dispute philosophique, nous transportant du XVIII e siècle au XXIe grâce à des dialogues d’une acuité troublante.
Par: Monique Charron, Rédactrice médicale et chroniqueuse culturelle /
Publié le : 05 Mai 2017
Ce duel théâtral actuellement à l’affiche du Théâtre de Poche* qui oppose deux de nos grands penseurs vient questionner éthique, philosophie et actualité en s’emparant de leurs conceptions respectives de la religion, de l’éducation, de l’égalité, de la liberté, du sens moral, de la place de l’artiste dans la société. Quel en est l’argument ? Tandis que Rousseau sous les traits de Jean -Luc Moreau cherche à démasquer l’auteur de ce Sentiment des citoyens -pamphlet diffamant qui porte atteinte à son honorabilité, en se rendant dans la retraite de Voltaire, ce dernier qui affirme bien fort que « le vrai philosophe sait reconnaître la paternité de toutes ses actions « semble bien déroger à la règle ! Le voici qui se dérobe, nie la paternité du pamphlet avant… de l’admettre enfin, une occasion de plus pour égratigner son rival tout en se jouant de sa sensibilité et de ses contradictions.
Propulsés dans cette joute oratoire qui oppose nos deux philosophes du XVIII e siècle, nous redevenons, grâce à l’écriture de Jean- François Prévand spectateurs d’un échange étincelant entre Voltaire, campé par un Jean Paul Farré, perfide et sarcastique à souhait et Rousseau sous les traits de Jean Luc Moreau, écorché vif, émotif, éternel persécuté, excessif, incompris et très déterminé à découvrir la vérité. La fiction a ici rejoint la réalité.
Philosophes des lumières, ils le sont assurément l’un et l’autre dans leur désir de répandre les connaissances en misant sur l’éducation, l’un privilégiant la raison, l’autre se faisant le chantre de l’émotion, de la contemplation pour faire évoluer la civilisation sachant que Rousseau souhaite faire table rase de la civilisation pour construire autre chose, détruire pour reconstruire. Jean-Jacques, empêtré dans ses contradictions défend une position que Marx n’aurait pas reniée «la terre n’est à personne mais les fruits de la terre appartiennent à tout le monde. Poursuivant cette vison anticapitaliste, il affirme que « le premier criminel est celui qui a entouré un champ en prétextant : ceci est à moi ! » Quant à l’éthique, ils la malmènent tous deux copieusement qu’il s’agisse de Voltaire farouchement engagé au service de la vérité et de la justice en diverses circonstances, mais prêt à mentir dès lors qu’il est mis en accusation. Acculé par Rousseau qui ne désarme pas en dépit de ses vulnérabilités plurielles – urologique également, Voltaire finit par avouer être l’auteur du pamphlet sous prétexte qu’ : « II fallait vous faire taire ! vous qui vous répandez en insultes et en horreurs contre le théâtre, ou les arts, les littérateurs et auteurs dramatiques ». Rousseau, lui –même, auteur dramatique, devenu l’adversaire du théâtre et des encyclopédistes( de Diderot notamment )devient dangereux pour ses contemporains. Bien qu’attaché à ses préceptes d’éducation, l’auteur de Emile ou de l’éducation a abandonné les cinq enfants nés de son union avec Thérèse et revendique » le droit de ne pas se souvenir, » s’estimant irresponsable puisqu’il vit dans un système social vicié où les chaînes humaines sont le produit d’un ordre social faussé. » Curieuse éthique de la parentalité pour qui donne des leçons de vertu en vivant comme un athée !
Qui de Rousseau ou de Voltaire nous semble le plus contemporain ? Le pionnier de l’autobiographie qui, dans ses écrits, fut le premier à oser le Je, à évoquer l’aliénation, et à déclarer- économiste avant l’heure « - que « chaque action doit être mesurée à l’aune de son utilité sociale » , ou celui qui pourfendant l’injustice lors de l’affaire Calas déjà écrivait un Traité sur l’intolérance ?
Sur le plan philosophique leur querelle, savant dosage mêlant affects et concepts, ne manque pas de sel sous la plume de l’auteur qui s’est inspiré de leurs propos pour construire cette rencontre fictive et réjouissante qui prête à rire et à réfléchir. Selon Rousseau : la philosophie doit disparaître car elle creuse le lit de l’athéisme et s’avère inutile La réflexion ne sert qu’à rendre l’homme malheureux sans le rendre vertueux. »
Force est de reconnaître qu’indépendamment d’une vision éthique très contestable et d’une Intelligence à toute épreuve tout oppose ces deux grands proscrits, depuis leur constitution respective jusqu’à leurs idéaux et les moyens choisis pour les imposer. L’un fragile et persécuté, en constante errance, l’autre, bien installé dans sa retraite de Ferney au milieu de ses richesses et des avantages liés à sa notoriété. Dans cette nouvelle mise en scène plus épurée, co-signée par J.F Prévand et J.L Moreau, nos deux philosophes continuent à s’opposer, ne se rejoignant que sur ce versant visionnaire qui leur offre une formidable jeunesse.
De concert avec ces deux grands esprits restons vigilants sur l’intolérance, la diffamation, la censure qui amorcent un grand retour. Au secours Rousseau et Voltaire, prodiguez-nous vos précieuses lumières !
Théâtre de Poche 75 Bd du Montparnasse_ 75006 PARIS