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"Dans ce pavillon de Salem, filmé par Milos Forman, il serait tentant de chercher la sorcière….Toute habillée de blanc, elle est bien décidée à appliquer la règle, fut elle inepte ! Nous ne sommes pas très loin des UMD (unités pour malades difficiles), là où des malades, jugés très dangereux, dorment attachés dans des lits vissés au sol dans le dénuement le plus complet."
Par: Monique Charron, Rédactrice médicale et chroniqueuse culturelle /
Publié le : 29 Août 2018
Texte proposé dans le cadre de la publication de la journée Éthique et neurosciences : L’interface homme-machine, organisée par l'Espace éthique/IDF. La journée en vidéo.
Héritage de ce fantasme d’excision de la pierre de la folie éprouvée par les anciens, la lobotomie qui lèse la substance blanche des lobes frontaux a pour effet d’anéantir tout désir de rébellion chez des patients définitivement et irréversiblement apaisés, puisque transformés en légume. Changement de comportement et passivité garantis…. Près de 60 000 patients ayant subi cette psychochirurgie selon des modalités différentes pourraient en témoigner s’il leur restait quelques capacités cognitives. Trop peu ont survécu. Mc Murphy en fera la triste expérience ! En libérant le cerveau reptilien (le ça) au détriment du surmoi, nombre de psychiatres ont domestiqué des milliers de malades entre 1936 et 1950, malgré les réticences de la communauté médicale, avant l’avènement des neuroleptiques en 1952 et la découverte du Largactil par Henri Laborit qui finira par imposer cette camisole chimique en cas d’agitation, de confusion mentale, d’idées délirantes, d’angoisse, d’hallucinations, d’agressivité. D’autres découvertes suivront en 1957 avec l’avènement des antidépresseurs.
Le film nous plonge dans le réalisme délabrant de cette psychochirurgie particulièrement cruelle qui connut son apogée en 1940 aux USA au point d’être pratiquée en ambulatoire par un certain Walter Freeman par voie orbitaire, au moyen d’un pic à glace. Déconnecter le cerveau en lésant la substance blanche équivaut à annihiler l’individu incapable de coordonner ses mouvements. Nous découvrons les résultats de ce délabrement psychique et de cette incoordination motrice, chez Mc Murphy totalement métamorphosé, devenu « doux comme un agneau », incapable de s’exprimer, finalement délivré à tout jamais par son ami avec lequel il devait s’évader. Celui-ci décidera d’abréger ses souffrances en l’étouffant avec un oreiller avant de franchir à son tour les murs de l’asile en descellant le matériel d’hydrothérapie au cours d’une scène spectaculaire qui oppose définitivement enfermement et liberté…
Cette critique de l’institution psychiatrique avant l’avènement des neuroleptiques qui ont permis une alternative chimique à ces méthodes jugées discutables se double d’une violente charge contre l’exercice aveugle du pouvoir, à travers cette allégorie de la société peuplée d’individus tous dissemblables. Elle se fonde sur une réflexion sur les rapports de domination et les moyens mis en œuvre pour asseoir son pouvoir au mépris de toute éthique.***
* One flew over the cuckoo’s nest Réalisateur Film Milos Forman/ Producteur Michael Douglas
Roman traduit sous le titre : La machine à brouillard. Stock 1963
Quelques questions méritent d’être posées :
Qu’en est-il du consentement aux soins totalement dénié aux malades apparaissant dans le film ?
A l’inverse, l’ inclusion de l’entourage des patients psychiatriques dans le cadre de l’alliance thérapeutique, désormais recommandée, n’est-elle pas salutaire ?
**Que penser de l’étiquette de « malade mental » hautement discriminante que Mc Murphy corrige justement en s’adressant à Martini sur le bateau : « Ici, t’es pas un timbré mais un pêcheur ! »
Qu’en est-il de la maltraitance des patients à l’œuvre dans le film lors des douches, ou des séances d’électrochoc ?
Que penser de la culpabilisation et de l’humiliation exercées par l’infirmière lors des séances de thérapie par la parole ?
Peut- on impunément persécuter et pousser au suicide un jeune homme et échapper à la faute professionnelle ?
Que penser de cette luxuriance de vocabulaire de la folie employé par Mc Murphy tout au long du film dans un registre amical « Siphonnés, cinglés, maboules, dingues, timbrés, bataillon de givrés, de débiles mentaux » ? Pourrait-on encore aujourd’hui faire preuve de la même discrimination vis-à-vis de cette population psychiatrique ?
Qu’en est-il de cette surpercherie globalement faite au malade au nom de la réinsertion ?
Réinsertion ou assujettissement ?
Reste t-on un être humain après lobotomie ?
Peut-on casser des individus qui contestent les règles ?
Quels risques y a-t-il à vouloir modifier, voire détruire l’imagination ?
Si les neurosciences promettent aujourd’hui, dans leurs nouvelles applications, mieux encadrées et réversibles d’apporter des réponses à des besoins thérapeutiques non satisfaits, (dépressions résistantes, maladie de Parkinson, Tocs), encore faut-il rester attentif à des dérives liées à l’introduction de technologies intrusives à des fins de domination ou de modification du comportement qui entraveraient nos libertés individuelles. Une mission à laquelle s’attelle le Comité national d’éthique depuis 1983.