Le Cahier
Sous la direction de Paul-Loup Weil-Dubuc, Anne-Caroline Clause-Verdreau, Céline Louvet, Emmanuel Hirsch
Avant-propos
L’objectif de ce workshop, organisé le 17 mai 2018 par l’Espace éthique de la région Ile-de-France, est de penser les conditions conceptuelles et pratiques d’une société aussi peu excluante que possible à l’égard des personnes vulnérables au plan psychique1. Cette réflexion mobilisera divers points de vue, expériences et disciplines concernées ; elle interrogera la réalité contemporaine de nos institutions, dispositifs, habitudes et représentations à l’égard des personnes atteintes de maladies mentales et de handicaps psychiques.
L’idée de ce workshop s’inscrit dans une double continuité. Il prolonge les réflexions entreprises par l’Espace éthique de la région Ile-de-France sur la mobilisation de la société dans le champ des handicaps cognitifs. Ce travail a donné lieu à un workshop (24 février 2017, Maison Suger, Paris) et à une publication dans la collection des Cahiers de l’Espace éthique2. En posant des questions analogues dans le champ de la maladie mentale et du handicap psychique, il s’agira notamment d’identifier les rapprochements possibles, y compris au plan des dispositifs pratiques envisageables, et les spécificités respectives de ces deux champs.
Ce workshop s’appuie également sur un constat renforcé et enrichi par des entretiens collectifs menés sur la période de janvier à mars 2018, auprès de publics divers concernés par les vulnérabilités psychiques3. Aux souffrances psychiques et à leurs impacts sur le quotidien, s’ajoutent des facteurs de souffrance relevant davantage de « pathologies sociales » que de pathologies mentales : l’invisibilité de la maladie dans l’espace social, son incommunicabilité, les peurs suscitées par la maladie, les discriminations sociales, notamment professionnelles ; en somme les multiples effets de pratiques sociales et de regards stigmatisants. Ont souvent été mentionnées aussi, au cours de ces entretiens, les contraintes de l’habitat, presque toujours perçues comme la cause et le symptôme d’un enfermement ou d’une relégation sociale ; ou comme un cocon protégeant du réel.
Plusieurs axes de réflexion semblent ressortir. L’hypothèse est que les appels aux efforts collectifs, à la création de dispositifs ou à la distribution de nouveaux moyens, pour nécessaires qu’ils soient, ne suffiront pas à créer les
conditions d’un accueil des personnes « malades » dans la vie sociale. Pour ce faire, il nous faut réfléchir sur nos cadres de pensée et appréhender les vulnérabilités psychiques comme objets de savoirs scientifiques, de savoirs vécus et de perceptions sociales. C’est à partir de ce travail épistémologique et historique (I) que nous serons en mesure de mieux comprendre les mécanismes de l’exclusion des personnes (II) et de proposer un bilan critique et
constructif des initiatives et politiques menées jusqu’à présent (III).
1. Situer la maladie mentale : entre psychiatrie et santé mentale, entre maladie et handicap
Au plan épistémologique, la notion de « santé mentale » présuppose l’existence d’un continuum entre la maladie mentale ou le trouble psychique, diagnostiquée par un psychiatre, et les troubles psycho-sociaux par exemple. Ce présupposé doit être interrogé dans le cadre d’une réflexion portant sur l’exclusion. En premier lieu, seront interrogées, dans une perspective historique, les mutations conceptuelles, épistémologiques et techniques qui ont contribué à ce déplacement. En second lieu, il s’agira d’en analyser les effets sur l’organisation des soins et des dispositifs d’accompagnement ainsi que sur les représentations.
Par ailleurs, la reconnaissance du « handicap psychique », obtenue en France en 2005 et consacrée par l’OMS, rend possible la considération des difficultés que connaissent les personnes vulnérables en termes de fonctionnement quotidien. Mais au-delà de ces apports concrets, de quels changements témoigne cette évolution dans nos compréhensions et appréhensions de la « maladie mentale » ?
2. Comprendre les causes et les mécanismes contemporains de l’exclusion
Il nous faudrait pouvoir déterminer ici ce que ces vulnérabilités psychiques viennent menacer d’essentiel non seulement dans la représentation que nous avons de nous-même, mais aussi dans la vie sociale. En bref, en quoi ces personnes représentent pour nous à ce point des menaces. Un grand nombre de travaux de recherche ont été consacrés à ces questions dont seront restituées les principales approches.
L’hypothèse soumise ici à la discussion est que les personnes vulnérables au plan psychique se situent en-dehors de nos catégories et dispositifs de reconnaissance : ni vraiment malades, ni vraiment déficients, ni tout à fait différents. La figure du fou demeure. Ce fait semble se traduire par la pluralité et le manque de cohérence existant entre les types de dispositifs de prise en charge des personnes malades correspondant respectivement à ces catégories : sanitaire, médico-social et social.
3. Proposer un bilan critique et constructif des initiatives et politiques menées jusqu’à présent contre l’exclusion des personnes atteintes de maladie mentale.
En réponse à l’exclusion, à la stigmatisation, à l’enfermement, de nombreuses initiatives et politiques ont été déployées dont il s’agira aussi d’établir une typologie en fonction de leurs niveaux d’intervention, du type d’exclusion qu’elles visent et éventuellement de leur pertinence.
L’enjeu est double ici. Il s’agira de se demander en premier lieu si proposer des réponses à l’exclusion suffit à prendre la mesure de l’enjeu politique qu’elle représente. Autrement dit, si les politiques et initiatives d’inclusion des personnes malades suffisent à répondre à l’exclusion4. Plutôt que d’inclure, ne faudrait-il pas d’abord penser et créer les conditions de la non-exclusion ? Quelles sont les revendications des personnes concernées à cet égard ?
En second lieu, il s’agira plus concrètement, à partir de ce bilan critique, d’imaginer des concepts et d’envisager des initiatives susceptibles de concerner aussi bien nos façons de penser les vulnérabilités psychiques – la notion de « rétablissement » en est un exemple – que nos dispositifs concrets (habitat, travail, etc.).