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"L’Etat en appelle à la conscience citoyenne, à la responsabilité professionnelle mais c’est difficile à entendre lorsque l’on sait à quel point le métier des auxiliaires de vie est si peu reconnu."
Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /
Publié le : 20 Mars 2020
Noémie Nauleau nous livre ici son journal de bord, témoignant du quotidien et des questions rencontrée par une personne handicapée.
Le Jour 4 est disponible à cette adresse.
Le 16 mars 2020
Entendant les différentes annonces publiques, observant les réactions des personnes vulnérables, constatant les difficultés que cette crise sanitaire entraine, j’ai pris l’initiative de vous écrire à tous. Je pars de ma journée pour aller vers… Je pars évidemment de mon expérience en espérant que vous puissiez piocher chacun, avec vos expertises, dans cette note pour continuer de définir des stratégies qui répondent à tous en prenant en compte les spécificités et les besoins de chacun.
Je ne suis pas sortie depuis le 12 mars dernier mais beaucoup de professionnels entrent chez moi. Il est très compliqué de savoir comment faire appliquer les gestes barrières sachant que les différents services médicaux et médico-sociaux qui travaillent avec moi n’appliquent pas les mêmes mesures. Je vis avec une maladie neuromusculaire. Je suis trachéotomisée et physiquement dépendante. Me protéger du virus, c’est protéger les citoyens. Me protéger du virus, c’est protéger l’hôpital. Si une personne comme moi est contaminée par le coronavirus ses besoins en termes de temps, d’aides humaines et d’aides techniques seront bien plus importants que pour la majorité des patients non malades. Mon pouvoir d’agir, notre pouvoir d’agir à nous personnes vulnérables c’est de rester « de bons malades confinés et protégés par les gestes barrières » pour ne pas saturer l’hôpital.
C’est une chose d’en être conscient mais comment le mettre en œuvre ?
Depuis vendredi 13 mars 2020, le SAVS ADMR/ADES des Tilleuls accompagnant 7 personnes vivant avec handicap, dont 3 personnes trachéotomisées, a décidé d’utiliser masques et gants. C’est très bien. Cependant, aucune consigne particulière ni aucune mesure n’a été prise concernant les auxiliaires des services à domicile qui interviennent quotidiennement dans ce même habitat.
J’ai donc décidé d’imposer la même règle à tout le monde. Chaque personne qui entre chez moi auxiliaire, infirmier, kiné doit se laver les mains, doit utiliser un masque et des gants. Seulement, je n’ai pas suffisamment de matériel et les auxiliaires de vie ne sont pas équipées.
Mon médecin généraliste m’en a prescrit mais la pharmacie m’a confirmé n’avoir aucune réserve de masques. Heureusement que j’ai téléphoné avant de sortir. Avec l’aide d’une amie nous avons contacté 5 pharmacies : RIEN. Pas de masques. J’ai sollicité la clinique Bretéché où une secrétaire médicale m’a conseillé de porter un foulard imbibé de gel hydro-alcoolique. Heureusement, une pharmacienne m’a mise en garde sur les dangers d’inhaler ce produit. Finalement, c’est un ami qui m’a trouvé des masques de chantiers. C’est une excellente protection en attendant mieux !
Cependant, être en possession de masques ne me protège pas de grand-chose face à des auxiliaires de vie ne sachant pas les utiliser. Cela met bien en évidence les lacunes de la formation, lorsqu’il y a formation, des aides à domiciles. Beaucoup ne mesurent pas l’importance des règles d’hygiène. Ils ne réalisent pas qu’ils peuvent très facilement contaminer ou transporter le virus d’une personne à une autre. Ils ne mesurent pas l’importance de leurs discours, de la gestion de leurs angoisses personnelles pour éviter la panique. Ils pensent se mettre en danger en entrant aux domiciles des personnes vulnérables mais ils ne réalisent pas que le danger vient d’eux. Il est important de permettre à tous les professionnels du soin, de la bien-traitance, de conscientiser le danger et la responsabilité qui leur revient aujourd’hui pour que les gestes soient utiles et efficaces ! Il nous faut bien plus que des informations par mails. Il faut prendre le temps de téléphoner, d’alerter, de sensibiliser avec différents niveaux d’informations : du Facile à lire et à comprendre, des traductions en langues étrangères et je parle bien là d’information facile pour les auxiliaires de vie.
A midi, je continue de chercher des masques en appelant directement l’ADMR. Je n’ai pas le temps de dire « bonjour » que la responsable de planning suppose que je souhaite annuler mes interventions. Bien au contraire ! J’explique le travail de ma mère assistante maternelle, le séjour de mes parents au Portugal, mon besoin de soin, de matériel, d’information.
Je propose également d’adapter mes horaires si besoin pour libérer un maximum d’heures.
En même temps j’entends les annonces des ministres. Je ne sais pas bien où me situer…
Je constate chaque heure un peu plus l’écart qui va se creuser. Les auxiliaires de vie, en première ligne également, ne sont jamais remerciées ni valorisées. Aujourd’hui encore je ne sais pas bien si nous les considérons comme professionnels du champ sanitaire ou du champ social - des deux ce serait parfait ! Plus important encore : ils ne le savent pas eux-mêmes. L’Etat en appelle à la conscience citoyenne, à la responsabilité professionnelle mais c’est difficile à entendre lorsque l’on sait à quel point le métier des auxiliaires de vie est si peu reconnu.
Ensuite, c’est l’infirmier à domicile qui est arrivé chez moi. Il venait d’être contacté par la CPAM qui souhaitait son avis sur le suivi de patients contaminés par le coronavirus. C’est une question extrêmement importante. Pourquoi la poser à chaque infirmier à domicile ? N’est-ce pas le rôle des Espaces éthiques d’accompagner ces interrogations ?
Tout cela m’amène donc à constater différentes choses :