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Témoignage reçu dans le cadre de l'appel de l'Espace éthique/IDF pour mieux comprendre les enjeux et répercussions de l'interdiction des visites dans les EHPAD durant la pandémie COVID-19
Par: Hervé Joly, Historien, fils et neveu de résidents en EHPAD /
Publié le : 06 Avril 2020
Le nombre de morts du Covid-19 annoncé dans les EHPAD est dramatique, et on peut bien sûr redouter une explosion plus grande encore. Les précautions prises pour éviter une hécatombe apparaissent légitimes. Mais on peut aussi être inquiet de l’impact psychologique sur les résidents du confinement strict imposé dans tous les EHPAD, qu’ils connaissent des contaminations ou non. L’interdiction des visites probablement pour de longues semaines voire des mois vient, pour de nombreux résidents, briser des liens affectifs qui ne pourront pas tous se rétablir. Pour tous ceux, atteints de maladies neurodégénératives, qui ne sont pas en mesure de communiquer par la parole, le téléphone ne peut remplacer les visites. Même les appels en visio proposées par les EHPAD ne peuvent convenir à des résidents incapables de comprendre le sens d’une telle communication à distance.
Les visites des proches sont aussi indispensables pour éviter qu’un EHPAD ne fonctionne en circuit fermé. Même si l’on fait pleine confiance au personnel qui dans sa grande majorité fait son travail avec une grande conscience, on ne peut qu’être inquiet qu’il n’y ait plus de regard extérieur. On voit bien comment en temps normal les visites sont parfois perçues comme une perturbation par l’équipe soignante. Le résident est souvent décrit comme plus calme quand il n’aurait pas de visite, qui le trouble en le ramenant à sa vie d’avant. D’une certaine manière, fermer un EHPAD rend les choses plus simples… C’est un précédent dangereux.
L’impact du confinement intérieur est aussi inquiétant parce qu’il prive des résidents vulnérables des bénéfices de la vie sociale avec les autres. Pour beaucoup qui vivaient isolés, entrer en EHPAD a permis de briser une solitude. Tout cela disparaît en les obligeant à rester dans leurs chambres. On ne peut qu’être inquiet de l’ennui qui va s’installer. Beaucoup ne sont pas en mesure de prendre, comme le reste de la population, leur mal en patience. Ils n’ont pas la même notion du temps. Quand on est en fin de vie, on n’a plus de temps à perdre…Les priver de contacts sociaux pendant plusieurs semaines ou mois, c’est probablement pour beaucoup les fragiliser en les privant de ce qui pouvait encore leur donner envie de vivre. La systématisation des repas en chambres est ainsi particulièrement inquiétante. C’est renoncer à la dimension sociale de l’alimentation, à l’effet d’entraînement du groupe. Beaucoup risquent d’en perdre l’appétit. Le personnel ne pourra pas se multiplier dans les chambres pour les inciter à se nourrir et à s’hydrater correctement. De même, toutes les activités habituellement pratiquées, qu’il s’agisse des exercices physiques ou des jeux, étaient essentielles pour stimuler les résidents. Les en priver pendant plusieurs semaines ou mois risque d’entraîner chez beaucoup des déclins irréversibles. À ces grands âges ou pour tous ceux qui ont des maladies neurodégénératives, tout ce qui est perdu ne se récupère pas. À vouloir à tout prix préserver les résidents d’une contamination, on sauvera sûrement des vies d’un côté, mais on risque d’en perdre beaucoup d’autres qui ne vont, privés de l’essentiel de leurs contacts sociaux intérieurs ou extérieurs, plus trouver de sens à leur vie. Il faut absolument rétablir un équilibre entre risque sanitaire immédiat et impact psychologique. Le sort de nos aînés ne peut se réduire à des statistiques de mortalité quotidienne.
Le 5 avril 2020