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"Il était 6h15 lorsque j’ai appelé. Il était 7h25 lorsque l'auxiliaire est arrivée. J’ai souffert durant plus d’une heure. J’ai maîtrisé mes pensées, contrôlé mes angoisses et respiré calmement jusqu’à obtenir finalement ce dont j’avais besoin."
Par: Noémie Nauleau, Conseillère technique autonomie, OVE /
Publié le : 07 Avril 2020
Alors que s’achève une nouvelle semaine de confinement, j’ai pensé qu’à travers le récit de quelques une de mes aventures nous pouvions tester l’assouplissement réel de certaines règles comme nous l’entendons régulièrement dans différents médias.
Nous sommes lundi 30 mars 2020. Avec Justine l'auxiliaire de vie, nous avons regroupé mes besoins en médicaments pour faire coïncider le renouvellement de mes différents traitements. De cette façon nous limitons les allers/retours à la pharmacie. Seulement la pharmacienne refuse de délivrer l’un des médicaments au prétexte que ce comprimé exige systématiquement une nouvelle ordonnance. Le lendemain, après avoir rappelé le médecin qui lui-même a faxé une nouvelle ordonnance, l’auxiliaire est donc retournée à la pharmacie. Elle a utilisé un nouveau masque. Elle a croisé de nouvelles personnes. Elle a touché de nouveaux objets. Je comprends la nécessité de règlementer la délivrance de certains médicaments pouvant s’avérer dangereux pour la santé, mais face aux besoins récurrents d’un patient chronique connu depuis des années, la pharmacie ne pouvait-elle pas simplement contacter le médecin généraliste sur le champ pour obtenir une nouvelle ordonnance et ainsi limiter les déplacements de l’auxiliaire de vie ?
Pour continuer cette semaine de simulation en santé, j’ai eu le mercredi 1er Avril la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) au téléphone.
Effectivement, en janvier dernier j’avais envoyé une demande de renouvellement de prestation de compensation au handicap. Il semble donc logique que « madame évaluation de la MDPH » me contacte. 3 mois après ma demande : un délai très correct qu’il me semble important de saluer en comparaison des 6 à 9 mois durant lesquelles des personnes vivant avec handicap peuvent être amenées, suivant les territoires où elles habitent, à patienter. Au vu du contexte actuel, je pensais qu’elle souhaitait simplement me confirmer la prolongation de mes droits, comme le stipule l’ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux. Cela m’arrangeait bien d’ailleurs car cette évaluation est un exercice redoutable et angoissant dont les conséquences peuvent être lourdes. L’une de mes amies vivant avec un handicap, par exemple, est aujourd’hui obligée d’aller vivre un week-end par mois chez ses parents pour économiser des heures d’aides humaines suite à la réévaluation de son plan PCH.
Malheureusement, « madame évaluation de la MDPH » me téléphonait bien pour réévaluer mes besoins. Ses questions étaient :
- Avez-vous toujours besoin d’une aide humaine pendant 8 heures par jour ?
- Les aspirations sont-elles toujours aussi fréquentes ?
- Vous ne pouvez toujours pas sortir seule ?
- Vous alimentez-vous toujours normalement ?
- Utilisez-vous des garnitures ?
J’ai vite compris, d’après l’orientation de ses questions, que je ne devais surtout pas paraître ni trop heureuse ni trop autonome. Juste être malade, fragile, dépendante et reconnaissante : car c’est la conscience actuelle.
En période de coronavirus, cet entretien était d’autant plus angoissant que « madame évaluation de la MDPH » m’a mise en garde : « Nous rencontrons de nombreux problèmes techniques dû au télétravail. Vous risquez de rencontrer quelques difficultés avec le payeur. »
Ma notification risque d’être arrêtée sur la base d’une prise en charge de l’intervention d’un aidant familial, soit 3,80€ de l’heure, alors qu’elle devrait autoriser un versement direct au service prestataire qui intervient auprès de moi sur la base de 23€ de l’heure environ.
Je suis évidemment inquiète de ces complications administratives qui risquent d’arriver au pire moment. Ce moment où l’essentiel est de stabiliser et de sécuriser les aides humaines sans lesquelles je ne peux absolument pas continuer à vivre chez moi.
Pour en finir avec cette semaine de mises en situations pratiques, laissez-moi vous parler de ce vendredi 4 avril dernier. Il est 6h15 lorsque je me réveille.
J’appelle l’auxiliaire de vie pour qu’elle me change de position. 6 heures sans bouger cela provoque des douleurs. Elle m’explique que cela l’ennuie d’utiliser un masque alors qu’elle débauche dans ¾ d’heure. Elle me demande si je peux patienter jusqu’à ce que sa collègue embauche à 7h.
Je ne juge pas utile d’insister sur ma douleur, parce que je comprends la situation. Nous sommes 6 personnes vulnérables qui bénéficions de ces interventions, nous devons tous faire un effort en cette période de crise sanitaire où l’on manque cruellement de matériel. Alors j’attends. Nous avons la chance d’avoir une équipe d’auxiliaires de vie qui, malgré les risques énormes et le manque de sécurité, continue à travailler à nos côtés. Alors je patiente.
Je n’avais pas imaginé que des transmissions dans un service à domicile pouvaient être prioritaires à l’appel à l’aide d’une personne.
Il était 6h15 lorsque j’ai appelé. Il était 7h25 lorsque l'auxiliaire est arrivée.
J’ai souffert durant plus d’une heure. J’ai maîtrisé mes pensées, contrôlé mes angoisses et respiré calmement jusqu’à obtenir finalement ce dont j’avais besoin.
Plus tard, le corps apaisé mais l’esprit marqué, j’ai réalisé ce que signifiait l’action dégradée. Aujourd’hui on prend soin en mode dégradé. On réfléchit en mode dégradé. On agit en mode dégradé. La maltraitance entre insidieusement dans nos quotidiens. C’est ainsi. Nous vivons désormais tous dans cette vie en mode dégradé. Il est peut-être simplement temps de s’en parler pour construire demain un monde qui tiendra compte des erreurs du passé en s’appuyant sur l’expertise réelle des vivants.