Le débat vaccinal à la lumière de l’histoire
Il est certain que le concept du vaccin nous oblige à accepter des représentations complexes, qu’il est cependant possible d’éclairer par une lecture historique et philosophique. Introduire un pathogène inactivé pour induire une réaction du système immunitaire est en opposition avec le sens commun et avec la séparation traditionnelle entre le “bon” et le “mauvais”. Virginie Pirard invite à réfléchir le présent à la lumière de l’histoire en rappelant que le vaccin fait débat depuis le 18e siècle. Voltaire faisait déjà état de clivages autour de la vaccination, contre la petite vérole cette fois. La tension opposait ceux qui vaccinaient leurs enfants à ceux qui s’y refusaient, les premiers qualifiant les seconds de “lâches” car ils se refusaient à faire un peu de mal à leur enfant pour leur éviter un plus grand mal par la suite, et les seconds accusant les premiers de “fous” parce qu’ils administraient cette maladie à leurs enfants de gaieté de coeur.Romy Sauvayre opère, elle aussi, un retour en arrière et montre que l’intention vaccinale est soumise à des influences complexes. Lorsque la rougeole sévit, l’OMS fixe le taux de couverture vaccinale nécessaire pour atteindre l’immunité collective à 95% des enfants de moins de deux ans. Cependant, les contaminations de rougeole atteignent un pic en 2011 à cause de la défiance vaccinale suite à la pandémie de H1N1 en 2009. L’intention vaccinale peut donc être influencée par l’apparition d’autres épidémies. Toujours en étudiant le cas d’autres vaccins, Romy Sauvayre note une autre dynamique : lorsque la maladie circule beaucoup, une majorité de citoyens perçoivent les avantages du vaccin et souhaitent se faire vacciner. Plus le virus circule, plus les volontés augmentent et, inversement, moins il circule, moins le vaccin semble utile et plus les citoyens sont attentifs aux effets secondaires. Aborder le débat vaccinal actuel à la lumière d’autres exemples permet d’en identifier les enjeux mais, surtout, de comprendre que les réactions qu’il suscite n’ont rien d’inédit.
Comprendre les prises de positions : le choix d’une politique vaccinale et ses réactions
Si la potentielle obligation vaccinale questionne aujourd’hui, c’est parce qu’elle a fait l’objet de nombreux revirements institutionnels. Emmanuel Hirsch rappelle que la Haute Autorité de Santé, en décembre 2020, considérait inopportun de rendre la vaccination contre la Covid-19 obligatoire quand, à la même période, l’Organisation Mondiale de la Santé commençait à évoquer le fait qu’il puisse y avoir « certains pays ou certaines situations dans des pays où les circonstances professionnelles exigent ou recommandent fortement de se faire vacciner ». Le 9 mars 2021, l’Académie Nationale de Médecine affirme, quant à elle, que « la vaccination des soignants contre la Covid-19 doit devenir obligatoire ». Le caractère exceptionnel et évolutif de la situation actuelle amène donc à revenir sur ses principes et à adopter des positions variables au sujet de la vaccination.L’État, quant à lui, peut osciller entre plusieurs politiques vaccinales, au nombre de quatre selon Virginie Pirard. Il peut naviguer au sein de cette typologie selon l’évolution de la situation, avec une possibilité de gradation. La vaccination peut être laissée au libre choix de l’individu, sans aucune influence, mais l'État peut aussi choisir d’encourager la vaccination volontaire avec des mesures incitatives, comme conditionner l’accès à certains lieux à la vaccination. Le Comité consultatif de bioéthique de Belgique considère que de telles mesures sont acceptables éthiquement quand elles servent à encourager une population pour laquelle l’avantage personnel du vaccin est minime mais signifiant pour les autres. L’État peut également faire le choix de l’obligation, partielle, si elle ne concerne qu’une ou plusieurs catégories de population, ou totale, si elle concerne tous les citoyens, à la condition que cela se passe dans un climat informationnel suffisant et honnête. Il faut s’attendre à voir la position étatique évoluer à mesure que la situation progresse, ce qui n’est pas sans provoquer des réactions citoyennes.
L’État fait face à des réactions de défiance voire de refus vaccinal. Souvent taxés de “conspirationnisme”, les opposés au vaccin ne sont pas les caricatures souvent imaginées. Leurs doutes sont nourris par les nombreux changements de position des scientifiques. Mal compris, ils peuvent alimenter des présupposés complotistes, alors que Virginie Pirard rappelle que c’est le propre de la science que d’« arracher une certitude à de l’incertitude ». En 2014, le groupe stratégique consultatif d’experts sur la vaccination de l’OMS mène une étude sur les éléments jouant pour la réticence vaccinale et montre que plusieurs autres facteurs entrent en jeu, dont les barrières géographiques et le degré de sensibilisation. Surtout, l'environnement de communication compte, actuellement saturé par une infodémie, un mélange d’informations certaines et vérifiées avec des lectures approximatives, des interprétations non sourcées et des erreurs. Bien souvent, cette réticence à se faire vacciner est motivée par un fort attachement à la notion de liberté individuelle.
Entre liberté individuelle et bien collectif : quelles valeurs sont en jeu ?
La vaccination nous interroge évidemment sur ce qu’il reste comme possibilité d’expression de l’autonomie, du consentement et du discernement en regard de l’obligation. Le cas des professionnels de santé questionne particulièrement. Emmanuel Hirsch rappelle que le Code de santé publique indique qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé » de la personne. Or, les médecins sont déjà soumis à des obligations vaccinales pour l’exercice de leur fonction, notamment contre l’hépatite B, et le Conseil national de l’ordre des médecins considère maintenant que leur vaccination contre la Covid-19 « est une exigence éthique ». Cette obligation vaccinale s’appuierait sur le devoir d’exemplarité, car il semble peu soutenable de prescrire une vaccination à laquelle on est opposé à titre personnel, mais aussi sur le devoir du professionnel d’« apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé ».En dehors des seuls professionnels de santé, il est attendu de l’ensemble de la population qu’elle participe à l’effort collectif pour la préservation de la santé publique. Emmanuel Hirsch rappelle l’article L1111-1 du Code de santé publique : « les droits reconnus aux usagers s'accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ». Il ne serait donc pas justifiable de profiter des fruits d’un système sans y contribuer soi-même. Au-dessus de la liberté individuelle et de l’autonomie, il y aurait donc la participation au bien collectif selon le Comité consultatif de bioéthique de Belgique qui ajoute que l’autodétermination est une valeur essentielle mais qu’elle n’est pas absolue. L’ONU souhaite voir le vaccin reconnu comme un bien public mondial car il nous protège tous mieux que ce que chacun peut faire pour soi. Se faire vacciner peut alors relever d’un acte de civisme, source de fierté, d’autant plus si la situation personnelle n’y oblige pas.
Le vaccin et, a fortiori, l’obligation vaccinale, sont des sujets d’une grande complexité qui ont alimenté de nombreux débats. Le cas de la Covid-19 ne fait pas exception à la règle puisque les positions institutionnelles et gouvernementales en cette matière font l'objet de vives réactions citoyennes. Une réflexion éthique sur la question permet d’identifier les valeurs que ce débat engage : la vaccination appelle chaque personne à placer l’intérêt général au-dessus de l’intérêt individuel et à œuvrer pour la protection de ses concitoyens. Emmanuel Hirsch regrette cependant l’absence d’une concertation publique à ce sujet. L’amorce d’un dialogue à ce propos peut permettre de désamorcer le débat et peut être l’outil d’une meilleure compréhension des politiques vaccinales, favorisant leur acceptabilité.