La distinction entre faire mourir et laisser mourir est au cœur des débats sur l’acceptabilité éthique de l’aide active à mourir. Le débat porte classiquement sur les intentions à l'œuvre dans les actes apparentés au “laisser mourir” et les actes apparentés au “faire mourir” qui constituent pour une part des soignants une limite morale infranchissable. Mais au-delà de l’intentionnalité, le débat porte aussi sur l’identification des actes qui relèveraient de l’une ou de l’autre de ces catégories: par exemple, endormir revient-il dans certains cas à provoquer la mort ? Les perceptions et valeurs sont ici déterminantes.
Car, comme le soulignent aussi bien Vianney Mourman que Bernard Baertschi, cette distinction n’est pas seulement théorique ; elle est vécue, tout particulièrement par les soignants de soins palliatifs. Dans l’hypothèse où l’euthanasie ou le suicide assisté étaient légalisés en France, il pourrait en effet leur être demandé de n’être que des “effecteurs” de demandes de mort.
Nous remercions vivement les deux participants à cet échange.
1. La distinction : son origine, ses contextes, ses usages
Bernard Baertschi : Pour commencer, il faut souligner que les termes de cette distinction sont formulés sous différents vocables : faire et laisser faire, agir et ne pas agir, omettre et commettre, etc. La distinction est presque aussi ancienne que la philosophie : on en trouve des prémices chez Aristote déjà, lorsqu’il distingue le volontaire de l’involontaire, au début du livre III de l’Éthique à Nicomaque. Cela n’est pas très étonnant parce que, selon moi, la distinction entre faire et laisser faire est assez intuitive. Le droit l’aborde d’ailleurs, quand il distingue le meurtre et la non-assistance à personne en danger.Très rapidement, en tout cas dans la littérature philosophique, cette distinction se lie à faire mourir et laisser mourir. On la trouve notamment dans les débats sur l'euthanasie dès le 16e siècle, entre ce qui est alors nommé euthanasie passive (laisser mourir) et euthanasie active (faire mourir), dans un contexte de théologie catholique.
Au 20e siècle, cette distinction est réapparue dans les débats sur la fin de vie ainsi que, dans une moindre mesure, sur le début de vie à propos de l'avortement. Ce débat a été principalement porté par des philosophes anglo-saxons dans deux domaines : celui de la fin de vie justement (et de l’euthanasie), ainsi que celui de l'aide au tiers-monde. Un auteur comme Peter Singer s’est fait connaître en défendant la position selon laquelle il y a équivalence entre tuer quelqu’un et le laisser mourir de faim, par exemple parce qu’on n’aide ni ne finance Oxfam ou tout autre ONG qui aide le tiers-monde. Il est donc pour lui équivalent de faire mourir et de laisser mourir. Cette position a été discutée, notamment par Jonathan Glover et Philippa Foot.
La distinction entre faire et laisser faire a également été soulevée dans un autre contexte, par le philosophe allemand Karl Jaspers, à propos de la question du nazisme et de son établissement en Allemagne : quelle est la responsabilité de ceux qui ont laissé faire, qui n'ont pas lutté activement contre cette idéologie ?
Voilà les domaines dans lesquels la distinction est débattue. Bien sûr, elle continue à être discutée, notamment dans ce grand courant qu'on appelle l'éthique libérale, qui s’attache beaucoup à la distinction entre les devoirs positifs et les devoirs négatifs: entre ce que l'on doit faire et ce qu'on peut laisser faire, car il n’est pas moralement requis qu’on intervienne.
Concernant la discussion philosophique actuelle, il y a au final un hiatus entre deux types de positions : d’une part, une position utilitariste qui considère qu'il y a équivalence entre faire et laisser faire dans la mesure où les conséquences sont identiques et, d'autre part, une position intentionnaliste qui défend qu'il n'y a pas équivalence, en insistant sur les notions de causalité et d'intentionnalité.
Vianney Mourman : Pour ce qui concerne le soin, je pense qu'il faut remettre les choses dans leur contexte, en tout cas dans le contexte législatif français. Jusqu'en 2005, la médecine c'est : faire naître, aider à vivre, voire même faire vivre, avec une notion de non-assistance à personne en danger, qui a été évoquée précédemment. Cette notion interdit au médecin d'arrêter les traitements et lui interdit également, en théorie, de ne pas utiliser tout ce qu'il a à disposition. C'est ce qui a abouti à l’avis 63 du CCNE (2000) qui pose la question de l’opportunité de pouvoir limiter des traitements.
La première Loi Leonetti (2005) a été pensée dans cet esprit-là. Deux nouvelles notions apparaissent alors dans l’encadrement légal. C'est premièrement qu’il faut arrêter de faire survivre (dans un sens péjoratif du terme) en lien avec l’idée d’obstination déraisonnable. La deuxième notion est celle de limitation des traitements, donc de permettre de laisser mourir, car il n’y a plus d’obligation à utiliser tous les traitements ou dispositifs à disposition. Je pense que cette distinction est importante parce qu’elle rappelle simplement que la mort est un processus naturel et que laisser mourir, c'est laisser aussi la possibilité qu'un organisme à un moment ne puisse plus fonctionner ; et ce, malgré tout ce qu'on peut mettre en place. Il existe des situations où il faut savoir s'arrêter. Dans ces situations donc, s’arrêter a été présenté comme laisser mourir. À la différence, faire mourir c’est quand même faire un geste qui a vocation à provoquer un arrêt cardiaque.
Pour moi, c’est une distinction très claire aujourd'hui dans la pratique au lit du malade. Il est déjà compliqué d’expliquer le laisser mourir. On a beaucoup de soignants qui sont dans une très forte résistance, une très forte vigilance, pour éviter le faire mourir. Je vois une distinction réelle et pratique entre laisser faire la mort naturelle dans le laisser mourir et faire mourir, quand le geste provoque le décès du patient, quand c’est un geste médical, paramédical, et non la nature, qui provoque le décès.
2. À situation identique, perspectives diverses ?
À la question de savoir si les soignants utilisent ces mots, si cela fait partie des questionnements des soignants, la réponse est très claire : c’est évidemment le cas. Prenons un exemple concret avec le Covid, lorsque l’on endormait les patients et qu'on arrêtait l'oxygène et qu'ils mouraient en quelques minutes, c’était une vraie question qui nous était posée : sommes-nous en train de laisser mourir, dans une situation inextricable ? Ou est-ce qu'en arrêtant l'oxygène, via ce geste, on le fait mourir ?Les soignants sont dans un questionnement autour du sens de ce qu'ils font ; j'ai plusieurs exemples pratiques à ce propos :
- La question de la sédation dans le COVID. Votre patient respire mal. Il va mourir de toute façon. Ses poumons sont foutus. À un moment vous décidez de l’endormir. Quand vous l'endormez, il perd conscience, vous arrêtez l'oxygène et là arrive la question : est-ce qu’endormir et arrêter l’oxygène fait mourir ? La réponse est non, c'est des poumons dysfonctionnels qui font ça. Mais en fait, le fait d'arrêter ce moyen de survie (l’oxygène) a des conséquences : si on laissait l’oxygène quelques minutes de plus, la personne vivrait quelques minutes de plus.
- Mon deuxième exemple : on a certains patients en réanimation qui n'ont pas de ventilation spontanée, c'est-à-dire qu'ils ne respirent pas spontanément, ils n'ont pas le diaphragme qui bouge, ce sont des patients qui sont ventilés par un respirateur. Dans mon hôpital, nous avons deux réanimations. Dans l’une d’entre elles, si l’on considère qu’une situation clinique relève de l’obstination déraisonnable, il est tout à fait envisageable d'enlever le respirateur car on considère la situation comme inextricable, le respirateur ne faisant que prolonger artificiellement la vie. Dans l'autre réanimation, c'est impensable d'arrêter le respirateur parce que c'est vécu comme un geste (enlever un tube) qui a pour conséquence directe l'hypoxie et l'arrêt cardiaque. On a donc dans un même hôpital deux visions différentes sur le même geste : “arrêter de faire survivre” pour l’un, “provoquer la mort” ou “éviscérer” pour l’autre. Une qui est arrêter de faire survivre et l'autre qui est de provoquer la mort.
Ces exemples visent à illustrer notre question : lorsque l’on est dans une situation de sédation sur un symptôme réfractaire, que l'on veut simplement permettre au patient de ne pas être dans cet inconfort, de l'endormir, de le rendre inconscient, comment les soignants se positionnent-ils ? Leur question est : est-ce qu’en l'endormant, alors qu'il respire mal, je le fais mourir ou est-ce que je suis plutôt dans un acte de soulagement pour lui éviter de vivre l'insupportable, de se voir mourir en étouffant ? Ce sont les questions autour du concept de la sédation.
Pour ce qui concerne la sédation profonde et continue jusqu'au décès à la demande du patient, droit qui est arrivé dans la dernière loi, c'est beaucoup plus compliqué. Nous ne sommes plus dans une situation avec un patient dans l’effroi ou l’angoisse de mort imminente, mais avec un patient qui fait une demande de mort et un geste de sédation qui aboutit à la mort même si, officiellement, l’intention de la sédation est uniquement de rendre inconscient le patient.
Concrètement, quand je donne une formation et que je dois expliquer ce procédé, les soignants me questionnent. C'est quoi ce geste ? Le fait d'endormir quelqu'un qui ne veut plus vivre et d'attendre que dans son inconscience il meurt, n’est-ce pas là qu’on arrive à la limite ? Endormir quelqu'un en attendant qu’il meurt? Est-ce le geste qui compte ou la finalité ?
BB : La question de savoir si, quand on retire un respirateur on laisse la nature suivre son cours ou si on fait mourir, est posée dès les années 60 dans la littérature bioéthique. C’est un des points qui fait dire à certains auteurs que la distinction entre actif et passif, entre faire mourir et laisser mourir, n’est pas pertinente.
Ce qu'il y a derrière et qui rend la chose difficile, c'est que si on se place au niveau de la causalité (qui fait quoi ? quel geste, dispositif fait quoi ?) ou au niveau de l'intentionnalité (que veut vraiment celui qui agit ?), on se rend compte que, pour chaque situation, on peut décrire de manières multiples les actions et les intentions qui y président. On l'a vu dans la description précédente où les soignants peuvent se questionner : “Mon intention porte-t-elle sur le fait de soulager ou de laisser mourir ?”. On trouve exactement la même perplexité dans la pratique de l'assistance au suicide en Suisse, où certains décrivent le geste de l’assistant comme celui de tuer le patient, alors que d'autres parlent d’aider le patient à réaliser son ultime désir.
Il y a donc une réelle difficulté ici, et qui est indépassable dans la mesure où, de la même manière que de multiples facteurs causaux aboutissent à la mort de quelqu'un, nos actions ont de multiples intentions. Effectivement en débranchant un respirateur, on n'a pas l'intention de tuer le patient mais on sait quand même que le débrancher va causer son décès. Selon sa sensibilité morale, chacun évaluera différemment ces différents aspects.
Il y a donc bien là quelque chose comme une difficulté indépassable ; Pascal l’avait d'ailleurs déjà thématisée au 16e siècle, en soulevant la question de la direction de l'intention : sur quoi exactement porte mon intention ? Sur quel aspect de mon acte, sur lesquelles de ses conséquences ?
Ce qui m'apparaît fondamental c'est la difficulté, même vis-à-vis de soi-même, de savoir sur quoi porte exactement notre intention et quelle est la “bonne” description de l'action qu'on est en train de faire.
PLWD : Mais quand on connaît les conséquences de notre acte, est-ce qu’on ne peut pas dire qu’on a l'intention de provoquer ses conséquences?
BB : C'est une question assez difficile. Une distinction proposée par le philosophe contemporain John Searle peut ici nous aider, celle qui existe entre l'intention préalable et l'intention en action. L'intention préalable est ce que je veux faire. Mais en agissant, il se déclenche inévitablement toute une série de plus petites intentions qui font que, effectivement, je ne peux pas tout à fait dire que je n'ai aucunement l'intention de causer les conséquences de l'acte que je suis en train de poser. Mais c’est quelque chose de différent de mon intention préalable, qui est de soulager le patient, pour prendre l'exemple de la sédation.
La sédation rejoint d’ailleurs ce qu'on appelait avant l'euthanasie active indirecte. D’une certaine manière, en visant le soulagement du patient je sais que, par ailleurs, je vais hâter sa fin.
VM : Il y a quand même une spécificité dans les situations d’un patient qui survit grâce à des supports et qu’on les retire. La mort vient par une incapacité de l'organisme à continuer à fonctionner d'une façon autonome. C’est différent de rentrer chez soi et de se dire “J'ai mis dans une seringue du pentobarbital, j'ai poussé la seringue et ça a provoqué l'arrêt respiratoire puis l'arrêt cardiaque du patient”. Nous ne sommes pas du tout dans la même chose, c'est-à-dire que la mort n'est pas liée au fait que l'organisme ne fonctionne pas mais au fait que moi je me suis arrangé pour que l'organisme ne fonctionne pas. Même si c'est pour répondre à une demande. Lorsque je sédate un patient, je ne me questionne donc pas en rentrant chez moi, peut-être à tort, sur le fait de me dire “Aujourd'hui j'ai provoqué la mort de quelqu'un” même si des gens sont morts et que j'ai été acteur dans ça.
Je pense que c'est une différence importante à mettre en avant. Parce qu’effectivement ça n'est pas anodin de rentrer dans une chambre et de provoquer soi-même la mort.
Cela m’amène d’ailleurs à une question qui est un vrai leitmotiv chez moi, la question de voir l’euthanasie comme la mort de l'autre par l'autre. Or moi, en tant que médecin de soins palliatifs, ce que j’évoque c’est la mort de l'autre par moi. Souvent les gens qui abordent ce sujet, ce débat, lorsque l’on est à la terrasse d’un café et qu’on tend l’oreille, c’est une réduction du débat sur l’euthanasie en termes d'utilisateurs. Le débat aujourd’hui, notre discussion, ne parle pas de l’utilisateur mais de l’effecteur.
BB : Ce que vous dites illustre ce que j'ai essayé d’expliquer : notre action est susceptible de plusieurs descriptions et, selon notre place, on va privilégier telle ou telle description.
Quand vous insistez sur la différence entre arrêter un respirateur et procéder à une injection létale, c’est une façon de poser le débat en ces termes : on est d’abord responsable des actes que l'on pose et non pas de ce qu'on laisse arriver. C’est je pense une intuition qui est importante, que je partage même si elle est discutée et discutable. Effectivement, ce n’est pas la même chose que de pousser quelqu'un dans l'eau ou de ne pas l'aider à ressortir de l'eau alors qu'il est tombé tout seul.
PLWD : Pour continuer sur la question de la description, j’aurais une question pour le Docteur Mourman. Vous disiez que les soignants se demandent s'ils ne sont pas en train de provoquer la mort quand ils extubent un patient. Et en effet, dans ces cas de dépendance très forte entre l'humain et la machine, cette dernière ne peut-elle pas être considérée comme un organe que l’on enlève de sorte que l’arrêt des traitements puisse être décrit comme l’acte de provoquer la mort ? Tu parlais d’ailleurs d'éviscération…
VM : Je vais prendre une voie détournée puis je vais répondre à ta question.
Mon hôpital est situé dans un bassin de population avec de fortes influences culturelles et religieuses. Et on a beaucoup de gens qui nous disent, quand on explique que nous sommes dans une impasse thérapeutique et qu'on va arrêter la machine : “C'est Dieu qui décide”. Mais nous avons également des proches qui disent “C'est Dieu qui a créé l'homme qui a créé la machine.” Et donc avec une sorte d'idée que la machine est là parce que Dieu l'a créé, qu'il faut qu'elle continue à fonctionner. Dans ce cas-là on peut dire “La machine est un prolongement de l'être humain créé par l'être humain pour sauver l'être humain”.
A propos de la question de l'éviscération : elle est abordée par les néphrologues, car quand on arrête une dialyse, c’est comme si on enlevait un organe (bien qu’il soit extérieur) comme si on éviscérait d’un point de vue symbolique le patient.
Mais il y a une différence entre une machine de dialyse et un respirateur : contrairement à la dialyse, on ne peut pas laisser un patient sous respirateur éternellement. Sous respirateur, les voies aériennes ne sont pas bien protégées et à risques de pneumopathies. À un moment donc, arrivera l’infection pulmonaire gravissime. La machine nécessite également une surveillance et des adaptations en permanence. En fait, on ne peut pas imaginer une vie autonome hors système de soins extrêmement poussé de réanimation pour quelqu'un qui a un respirateur sur du long terme. Il ne s’agit donc pas vraiment d’un organe permanent, au mieux un organe de transition, en attendant qu'une défaillance se règle.
Mais pour prendre un exemple récent : à l'étage en-dessous de celui où je suis actuellement, nous avons, avec une infirmière, sédaté un patient Covid puis arrêté une sorte de respirateur. Cinq minutes après, le patient était mort.
Moi j'étais extrêmement clair sur ce que j'étais en train de faire. L'infirmière, elle, s’est tournée vers moi en disant “Qu'est-ce qu'on a fait ?” J’en ai beaucoup reparlé avec elle par la suite. On se pose nécessairement des questions, c’est une mort qui suit directement notre acte mais, encore une fois, dans ces situations, il s’agit de l’organisme du patient qui était défaillant.
PEB : Peut-on revenir sur la façon dont les soignants s’approprient la distinction ? Quels types d’arguments sont utilisés en cas de désaccord ?
Je reprends ce même exemple de la défaillance respiratoire liée au Covid notamment. Une fois, une équipe m'a dit : “On ne sédatera pas le patient quand il va s'étouffer”. Sous-entendu : pour eux, sédater le patient c'est provoquer sa mort. Ma réponse a été que je ne leur demandais pas de le tuer, mais effectivement, se pose la question de comment convaincre des soignants qu’ils ne vont pas le tuer.
Mon premier argument, avant d’aborder des questions de vie et de mort, serait déjà le suivant : assister, comme soignant ou simplement en tant qu’être humain, à l'asphyxie de quelqu'un conscient face à soi et ne rien faire, rester les bras ballants et regarder l'autre s'étouffer, voir son effroi sans y répondre, ne pas soulager un patient que l’on a les moyens de soulager est pour moi de l'ordre de la maltraitance.
Ma première approche consiste à dire que quand tu n’as pas d'autres solutions, il faut veiller au confort du patient.
Mon deuxième argument repose sur le fait que certaines situations pathologiques inextricables, sans solutions curatives, ne laissent que deux possibilités : le laisser mourir dans des conditions que, pour ma part, je considère abominables, ou permettre une inconscience qui lui assurera un confort.
C’est un argument pour le patient mais aussi pour la santé de l’équipe, pour être dans l’action et non pas dans la passivité, et cela permet d’éviter trop de casse dans l’équipe soignante.
BB : Ce que vous dites est très intéressant, avec cette idée de “bras ballants” qui est aussi une forme de laisser faire. Il y a quasiment un retournement de la question où ce qui serait “coupable” ne serait pas de faire mais de laisser faire, sans rien faire.
VM : Cela dépend de ce qu’on considère comme l’objet du faire : soulager le patient ou bien faire mourir.
3. La décision et l’intention
PLWD : Les deux termes “faire mourir” et “laisser mourir” donnent une forte prééminence à la décision médicale. Dans un contexte légal et social où les directives anticipées seraient pratiquées et où, dans les situations où ils le peuvent, les patients pourraient exprimer et faire valoir leur volonté, la distinction ne serait-elle pas dépassée ?Dans le cas de l’euthanasie où le soignant est l’effecteur de la décision du patient, peut-on dire que le soignant a l’intention de faire mourir ?
BB : Ce que je peux dire par rapport au droit suisse est que ce dernier distingue effectivement entre le meurtre à la demande, qu’il punit (c'est l'euthanasie sur la demande du patient) et l'assistance au suicide qui n'est pas punie sauf si elle est liée à un motif égoïste, c'est-à-dire par exemple si celui qui aide est l’héritier. Tout ceci s’est noué au début du 20e siècle ; la loi a donc plus de 100 ans et n’était pas liée historiquement à la médecine mais au fait que le suicide ayant été dépénalisé, il apparaissait impossible juridiquement de pénaliser l'aide pour un acte qui était autorisé.
VM : À propos de la décision en France : elle est médicale dans le sens où entreprendre un traitement est une proposition médicale, avec un consentement ou un équivalent de consentement de la part du patient. C'est-à-dire que c'est le médecin qui décide du traitement qu’il met à disposition. C’est la même chose quand on arrête un traitement : c'est un médecin qui décide, à l’aide d’une procédure collégiale qui va lui permettre de sortir de sa subjectivité, et en s'appuyant sur les volontés du patient.
Dans la sédation à la demande du patient, le médecin n'a plus une position de décideur. Dans la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès, le dispositif qui est entré dans la loi de 2016, la demande du patient donne comme mission au médecin et à sa procédure collégiale non pas de décider mais de vérifier les critères de validité : est-on bien dans les critères que la loi donne pour pouvoir mettre en place cette sédation ? Si la demande est celle du patient et si l’on respecte les critères à ce moment-là, le médecin met en place la sédation.
On peut imaginer, en France à l’issue du débat, un système proche de celui de l’Oregon, où une assemblée de médecins valide des critères d’éligibilité, fixés par la loi, pour accéder à une demande de mort.
Et dans l’hypothèse d’une légalisation de l'euthanasie, elle procèdera d’une demande d’un patient avec, en face, un médecin qui valide des critères. Il s’agirait donc non pas d’une décision médicale mais d’une validation médicale.
Ce que j’imagine possible dans un futur proche, c’est un médecin qui ne rentre pas dans la décision elle-même de l’euthanasie mais qui a davantage un rôle de validation puis, nécessairement, d’effecteur de la décision de fin de vie du patient.
En imaginant ce scénario, j’espère au moins qu’il s’agira d’une action médicale et non d’une délégation à un tiers, paramédical par exemple ; il s’agira au final d’un médecin qui fera un geste de mort.