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"Lorsque la pathologie vient briser l'espoir de perfection que l’enfant représentait (on ne veut plus « un » enfant mais « tel » enfant), celle-ci apparaît comme une limitation insupportable. Elle vient affirmer douloureusement une différence et une dévalorisation. La culpabilité qui en naît peut générer les comportements les plus divers et contradictoires."
Par: Joëlle Janse-Marec, Médecin /
Publié le : 18 Novembre 2005
Texte extrait du dossier thématique de 2005 « Face à la mort périnatale et au deuil : d’autres enjeux », disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
La possibilité de dépister des anomalies touchant le fœtus, remplaçant la fatalité qui prévalait jusqu'aux années 70, confronte les équipes soignantes, les parents et leur entourage à des comportements auxquels ils ne sont pas préparés. Pour les équipes, cela implique différentes attitudes :
En dépit des progrès largement médiatisés de la biotechnologie, ni les médecins, ni la patiente ne sont dans la maîtrise totale des événements. La décision de démarrer une grossesse représente une prise de risque incontournable. Mais lorsque la pathologie vient briser l'espoir de perfection que l’enfant représentait (on ne veut plus « un » enfant mais « tel » enfant), celle-ci apparaît comme une limitation insupportable. Elle vient affirmer douloureusement une différence et une dévalorisation. La culpabilité qui en naît peut générer les comportements les plus divers et contradictoires. Ainsi la souffrance peut empêcher les parents d'avoir un comportement rationnel et les rendre particulièrement agressifs à l'égard du monde médical. La disponibilité, l'écoute, le facteur temps, sont fondamentaux pour les accompagner dans la traversée de cet état de sidération, et les aider à élaborer une réponse.
Le milieu socioculturel détermine largement celle-ci, avec, parfois, des remises en question profondes des interdits religieux. Pour citer Jean-François Germain, pédiatre réanimateur, il s'agit alors de déterminer si un handicap futur sera supportable ou non avant tout par l'enfant lui-même, mais aussi par ses parents et la société.
Ce concept d'anomalie auquel est relié celui de handicap est défini selon des normes biologiques mais aussi sociales : « un déficit n'existe pas en soi, seulement par rapport à un milieu ou un type d'existence ». De sa définition découle notre degré de tolérance. Que savons-nous de l'insupportable de l'autre, de celui de l'enfant, de celui des parents ? Les médecins expriment souvent un seuil de tolérance au handicap différent de celui des parents, qui, eux, ont à accepter ou non les séquelles à venir. Les grands-parents sont souvent plus violemment demandeurs d'interruption médicale de grossesse par souci d'éviter une souffrance à leurs propres enfants.
De la réponse à ces questions va découler la décision d'interrompre ou non la grossesse, car telle est bien la problématique de l'annonce anténatale. Nous traitons une personne potentielle dépourvue d'autonomie mais qui mérite toute l'attention due à l'humanité en général.
Deux situations opposées se présentent concernant le désir ou non de savoir.
Par conviction, presque toujours religieuse, certains parents ne souhaitent recevoir aucune information relatives aux anomalies dont leur enfant pourrait être porteur. Que rechercher à l'échographie ? Il est impératif de ne pas les mettre devant le fait accompli, en leur donnant par exemple la mensuration (anormale) de la nuque à 12 semaines. Il faut plutôt préalablement leur expliquer l'intérêt de l'échographie (en leur montrant par exemple où est localisé le placenta).
Dans le cas des parents souhaitant savoir, soit pour se préparer à accueillir leur enfant, même si celui-ci est porteur d'une malformation létale, soit pour décider d'une éventuelle interruption de grossesse, la situation est tout à fait différente.
Le facteur temps-durée est alors essentiel, dans des situations apparemment simples pour l'équipe comme pour les parents / conviendrait-il d’agir vite afin d’effacer l'intolérable ? L'expérience du devenir à long terme nous montre, contrairement à tous nos a priori, que l'élaboration psychique permettant le deuil s'effectue d'autant mieux que le délai (raisonnable) entre le diagnostic et la décision est long. Prenons un exemple d'une évidence caricaturale : l'anomalie chromosomique diagnostiquée par biopsie de trophoblaste sur une nuque anormale à 12 semaines, avec un résultat en 48 heures, suivi d'une interruption de grossesse par aspiration. Les parents n'ont pas eu le temps de réaliser ce qu'il leur arrivait.
La situation est simple pour les fentes labiales, d'autant plus que le médecin est convaincu du bien fondé de son attitude conservatrice. Elle n’est toutefois qu’apparemment simple pour d'autres malformations dont la chirurgie a trop annoncé de manière victorieuse le traitement (mais à quel prix ?), certaines malformations cardiaques et hernies diaphragmatiques, le pied bot bilatéral pour lequel on affirme : « Ce n'est rien, un an de rééducation, peut-être avec de la chirurgie. » Mais qui va gérer ces situations ? La mère mettra parfois sa vie professionnelle entre parenthèses.
C'est dans ces situations que l'accompagnement, la qualité de la relation entre les divers spécialistes, échographistes, obstétriciens, généticiens, pédiatres et chirurgiens s’avère capitale pour préserver les chances du fœtus. C'est là que « les premiers mots qui tuent », selon l'expression consacrée, sont irrécupérables.
Un hygroma kystique du cou, par exemple, diagnostiqué à 11 semaines. Une biopsie de trophoblaste est faite avec le diagnostic annoncé de probable trisomie 18. Le caryotype est normal... Quoi qu'il arrive ensuite, les parents veulent une IMG, déterminés, si nécessaire, à subir l’intervention à l'étranger. Il est très difficile de les faire patienter jusqu'à 16 semaines, terme où apparaissent plusieurs malformations. Ils sont finalement très soulagés de n'avoir pas pris leur décision dans le doute mais en considérant être confrontés à une certitude.
Autre exemple, celui d’une grossesse sur utérus cicatriciel obtenue par ICSI chez une patiente atteinte d'une maladie sérieuse. Hygroma à 11 semaines, avant tout geste diagnostique complémentaire, le couple étant prévenu de la possibilité que toutes les explorations ultérieures pourront ne rien révéler d'anormal. L’angoisse était importante, mais il n'y a pas eu de demande d'IMG : les parents ont accepté et assumé le risque. L'enfant était bien portant à la naissance.
Nous devons l'information la plus loyale aux parents, leur permettre d'exprimer toutes leurs inquiétudes et réactions émotionnelles en dehors de tout jugement moral. Ce sont les parents qui assumeront les conséquences, et l'existence d’un handicap sévère aboutit fréquemment à l'explosion du couple, la charge de l'enfant revenant souvent à la mère. Il apparaît un profond déséquilibre entre ce qui se passe avant la naissance (pouvoir parental quasi exclusif), et ce qui se passe après (pouvoir médical très prédominant). Qui d'entre nous n'a pas vécu des situations très douloureuses où ce qui est possible avant la barrière symbolique de l'accouchement est interdit après ? À combien de fœtus sains pourrait-on permettre de survivre si le pronostic incertain ne poussait pas les parents à prendre une décision avant la naissance ?
Voici, pour terminer, l'expérience de la mère d'un adulte porteur de malformations invalidantes. Il est autonome, mais très gêné dans la vie courante, et mène une très brillante carrière universitaire. Cette mère ne parle jamais de la pathologie de son enfant, mais tremble dans la perspective des échographies de ses futurs petits-enfants. Elle est incapable de dire quelle décision elle prendrait si elle était enceinte avec les moyens d'investigation dont on dispose actuellement. Il n'y a pas de bonne réponse, mais la nécessité d'un accompagnement médico-psychologique prolongé pour permettre aux parents, à la fratrie et à la famille de survivre à un tel traumatisme, quelle que soit la décision adopter.