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Par: Marie Leleu, Aide-soignante, hôpital Maritime de Berck, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Le patient en état végétatif persistant reste un être humain : sa respiration est spontanée, ses fonctions vitales sont stables, simplement il est incapable de communiquer. Il n'est pas inerte, bien au contraire ! Ce qui pose des problèmes de conscience.
Généralement volontaire, le personnel soignant est en première ligne, après la famille bien sûr, pour ressentir les besoins d'un patient en EVP. Il lui assure les soins nécessaires tout en sachant le caractère irréversible de la situation (même si
personne aujourd'hui ne peut l'affirmer avec certitude).
Sur le plan physique, la prise en charge d'un patient en E.V.P. est difficile, sans contrepartie valorisante. La toilette ne se fait pas dans des conditions idéales, et le soignant est gêné par les contractures et les nombreuses rétractions (heureusement, l'expérience permet d'avoir des gestes adaptés). Il en est de même pour les manipulations et l'habillage.
Pour nous, soignants, la toilette reste le moment privilégié. Chaque jour est différent, nos patients n'ayant pas toujours les mêmes attitudes, plaintes ou mimiques. Au moment propice à la stimulation, nous ne nous posons pas la question de savoir s'ils nous entendent ou pas : pour nous il est évident que oui.
Les transferts, les postures, et les installations, que ce soit au fauteuil ou au lit, prennent beaucoup de temps et sont physiquement éprouvants, même si nous sommes bien équipés en lève malades. D'autant que ces patients présentent pour la plupart des déformations importantes, qu'il faut compenser par des coussins, mousses, etc. et nous ne sommes pas convaincus qu'ils n'en souffrent pas eux aussi. Quoi qu'il en soit, cette mise au fauteuil est une étape très importante pour les familles.
Les dégradations corporelles sont très mal acceptées par les soignants, qui sont également gênés par les odeurs liées aux sécrétions bronchiques, à l'haleine, aux vomissements. Certains patients grossissent, d'autres maigrissent, tous les membres, les mains, les bras, les jambes, les pieds, sont rétractés, quelquefois avec mycose et abcès aux endroits de macération. La position fœtale, les têtes basculées en arrière, ces visages empreints d'une souffrance, ou malgré tous les artifices dont nous disposons avec l'ergothérapeute — coussins, mousses, oreillers — rien n'y fait vraiment.
Dans ces moments, il est vrai que nous ressentons un sentiment d'impuissance. D'autant plus que sur le mur, dans le cadre de liège, nous voyons notre patient " avant " son accident ou sa maladie. " Avant " cette vie d'"après" !
Sur le plan psychologique, le personnel soignant effectue toujours les mêmes gestes, ce qui peut provoquer une certaine lassitude. Bien que non ressentie dans notre équipe, nous savons cependant que nous avons la possibilité d'être épaulé par une psychologue en cas de besoin.
La première motivation des soignants vient du sentiment que leurs actions servent. Ces patients ayant besoin de tout mais ne demandant rien, il faut sans cesse anticiper ce qui pourrait être leur demande. Il est incontestable que nous agissons selon notre instinct personnel : si par exemple nous avons un peu froid, nous leur mettons une couverture. Notre attitude est donc plutôt maternante, attentive à toutes anomalies (sueurs, grimaces, ou changement physique), avec toujours cet espoir d'éveil.
Nous communiquons avec le patient par l'intermédiaire de la musique, du toucher, du regard, de la voix.
Grâce à la famille (s'il y en a bien sur) nous connaissons presque tous nos patients. Elle nous renseigne sur l'histoire de la maladie, mais aussi sur la vie familiale, son caractère et ses goûts, ce qui nous aide énormément dans notre communication avec le patient. Cependant, un réel malaise s'installe avec les familles souvent présentes, lorsqu'au bout d'un certain temps il n'y a pas d'évolution positive. À l'arrivée, alors que les patients sortent directement de réanimation, les familles ne sont pas préparées et acceptent mal le manque de personnel autour de leur proche. Leur réaction s'exprime envers nous, comme s'ils nous estimaient responsables d'une telle situation. Les soins, la stimulation quotidienne, rien ne paraît suffisant et la méfiance s'installe. Si nous ne faisions pas le maximum, nous nous sentirions culpabilisés.
Puis la famille semble accepter le fait que plus rien ne changera vraiment. Mais un clignement de l'œil, un sourire, un son quel qu'il soit, et tout bascule à nouveau. Nous, soignants, ne savons pas quelle attitude avoir : faut-il entrer dans leur " jeu ", ou au contraire leur dire qu'il s'agit de réflexes, que de toute façon nous n'en savons rien ! C'est tellement difficile…
Enfin, ultime moment, celui du deuil ou de la renonciation : le dialogue s'installe entre nous et, ensemble, nous pouvons alors parler librement sans sous-entendus du sourire ébauché lors de la toilette par exemple.
Beaucoup d'établissements pensent accueillir ces malades, encore faut-il le faire bien et jusqu'au bout. Certes, la prise en charge est difficile et coûteuse, mais il est très important que ces personnes conservent toute leur dignité, car si nous avons au moins une certitude, c'est bien que ce sont des êtres humains, avant tout des êtres vivants !