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Compte rendu synthétique de la journée d'étude "Intérêts et risques du dépistage génétique dans le monde du travail" organisé par les médecin du travail du groupe Pitié-Salpêtrière. Ce compte-rendu revient sur la législation actuelle, les possibilités et risques impliqués par les tests génétiques dans le domaine de la médecine du travail.
Par: Claude-Michèle Poissonnet, Médecin, Service de médecine du travail, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP / Monique Véron, Médecin, Service central de médecine du travail, Hôpital de l’Hôtel-Dieu, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique HS n°2, Les tests génétique : grandeur et servitude. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
La mise sur le marché de tests prédictifs de santé en médecine, basés sur les nouvelles technologies, laisse peu de doute sur leur utilisation dans le monde du travail et fait craindre à plus ou moins brève échéance, la sélection professionnelle de certaines personnes, voire leur exclusion de postes dits "à risque".
Il paraissait dès lors important aux médecins du travail du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, d'organiser les 30 et 31 mars 2000 un séminaire de réflexion sur le thème : Intérêts et risques du dépistage génétique dans le monde du travail.
Cette réunion s'est fixée comme buts principaux : de démystifier les tests génétiques, de s'interroger sur leurs risques et leurs dangers, ainsi que sur la nécessité de leur utilisation en milieu de travail, de sensibiliser les médecins du travail français et les chercheurs à cette problématique, enfin d'engager une réflexion européenne, voire mondiale, en association avec tous les partenaires concernés, anticipant ainsi les futures discussions qui se tiendront dans le cadre du Parlement européen.
Au cours de ces journées, ont été abordés et discutés les perspectives et les limites actuelles de la génétique, les aspects réglementaires et éthiques dans les différents pays européens et aux États-Unis, les polymorphismes génétiques et leur implication dans les cancers professionnels, enfin les problèmes pratiques posés par l'existence d'altérations génétiques latentes et l'accessibilité à l'emploi. En conclusion de cette rencontre, une table ronde à réuni une sociologue de la santé, les représentants des employeurs et des travailleurs français.
Un rapport tiré de ce séminaire sera édité prochainement. Il sera disponible auprès du service de médecine du travail du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière.
La médecine prédictive a pour objet de dépister dans la population ou dans des familles à risque des sujets sains, mais qui présentent une prédisposition élevée de développer une maladie particulière. (J. Feingold)
Un test génétique est défini comme l'analyse d'un gène spécifique, de son produit ou de sa fonction, ou d'autres analyses de DNA ou de chromosomes, dans le but de détecter ou d'exclure une anomalie associée à un désordre génétique. Les tests de dépistage génétique sont dits présymptomatiques en cas de maladie héréditaire, et prédictifs en cas de maladie multifactorielle. Dans le premier cas, ils permettent de déterminer le génotype de l'individu et de savoir si celui-ci est atteint. Dans le deuxième cas, le résultat du test prédictif permet simplement de moduler le risque de maladie. En effet, la valeur prédictive des tests est toujours faible et ceux-ci ne permettent pas actuellement une estimation précise du risque.
Le dépistage génétique dans le monde du travail, pourrait constituer une tentation pour les employeurs, en particulier lors de l'embauche. Ceci leur permettrait d'exclure les sujets les plus fragiles, afin de se dégager sur le plan de leur responsabilité pénale en matière de gestion et de prévention des risques professionnels, et d'éviter ainsi la charge des maladies professionnelles qui pourraient leur être imputées (M. Larche-Mochel). Ces pratiques, admises aux États-Unis, ne sont pas tolérées par la Communauté européenne : la législation y a été fortement encadrée. Ainsi, même si les termes sont parfois imprécis, en France la législation s'oppose à une telle demande de test. D'après l'article 145-15 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, en cours de révision, " L'examen génétique des caractéristiques d'une personne ou son identification par empreintes génétiques, lorsqu'elle n'est pas réalisée dans le cadre d'une procédure judiciaire, ne peut être entrepris qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique et qu'après avoir recueilli son consentement. " Ces principes ont été repris dans la Convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine du 4 avril 1977, avec la réserve supplémentaire " d'un conseil génétique approprié ". Le Code de la santé publique rappelle également les sanctions prévues par le Code pénal en cas de non respect de cette réglementation.
Sur le fond, la médecine du travail n'est pas une médecine de dépistage, mais une médecine de prévention. L'article R. 241-41 (Décret n° 88-1198 du 28 décembre 1988) liste les missions du médecin du travail parmi lesquelles figurent :
1. l'amélioration des conditions de vie et de travail dans l'entreprise ;
2. l'adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la physiologie humaine ;
3. la protection des salariés contre l'ensemble des nuisances, et notamment contre les risques d'accidents du travail ou d'utilisation des produits dangereux.
Le dépistage systématique ne figure pas parmi ces missions. Lors de l'embauche, l'aptitude médicale à l'emploi ne relève que du seul médecin du travail.
Dans son avis et recommandations n° 46 du 30 octobre 1995 — " Génétique et médecine : de la prédiction à la prévention " —, le Comité consultatif national d'éthique, insiste sur le fait que : ". cette aptitude qui doit obligatoirement être vérifiée par un examen médical avant l'embauchage et par des examens ultérieurs périodiques, doit être évaluée au moment de l'examen et non en fonction de risques futurs. (…) Cependant, dans certains cas, lorsque la probabilité d'une maladie liée à la fois à une prédisposition génétique et à l'environnement du travail est très grande alors qu'elle ne l'est pas pour les autres travailleurs, et que cette maladie présente pour lui un danger sérieux sans qu'il soit possible de le réduire ou de le supprimer en modifiant l'environnement, il peut être admissible que le médecin du travail prescrive des tests génétiques permettant de déceler cette susceptibilité. La loi l'autorise en effet à prescrire des examens complémentaires nécessaires à la détermination de l'aptitude médicale au poste de travail et notamment au dépistage des affections comportant une contre-indication à ce poste de travail (article R. 241-52 du Code du travail), examens dont l'anonymat doit être respecté. (…) L'utilisation des tests génétiques dans le cadre de la médecine du travail devrait être exceptionnelle et strictement réservée à des cas limitativement énumérés, pour lesquels le risque est suffisamment bien établi et les tests disponibles suffisamment fiables et pertinents. "
En effet, peut-on faire supporter à un salarié, c'est-à-dire à une personne humaine, les conséquences d'une évaluation qui demeure dans l'ordre de l'incertain et de l'aléatoire, d'autant que l'exposition à un risque, même à un agent cancérogène, n'entraîne pas systématiquement une pathologie ? Peut-on sélectionner un salarié, voire le priver de son emploi (ou d'un emploi) avec les conséquences actuelles, et l'obliger à organiser son existence par rapport à l'anticipation de déficiences ou de pathologies probables et futures ? Enfin, le salarié n'a-t-il par le droit d'exprimer sa volonté et de participer aux décisions concernant sa santé, même dans le cadre de la prévention. N'est-il pas en droit d'exiger un risque zéro, en souhaitant subir un test de dépistage ? (M. Larche-Mochel)
En terme de santé, on peut observer d'importantes différences entre des travailleurs exposés de façon similaire à une même substance. Les différences de susceptibilité entre individus, pourraient s'expliquer par une altération ou une variation de l'expression d'un ou de plusieurs gènes, les rendant plus sensibles à l'action de certains xénobiotiques.
De nombreuses études ont mis en évidence le rôle du polymorphisme des gènes impliqués dans le métabolisme des substances exogènes, dans la susceptibilité individuelle au risque tumoral. À l'heure actuelle, le polymorphisme des gènes d'enzymes du métabolisme des xénobiotiques, ne permet pas de rendre compte de toutes les variations interindividuelles dans le métabolisme des cancérogènes. L'intensité et la durée de l'exposition aux substrats, conditionnent l'expression de ces polymorphismes. La prévention doit donc être environnementale et non génétique. (J.-M. Dupret)
Dans le monde du travail, le problème d'une maladie latente — qu'elle soit génétique ou non — ne devrait pas être soulevé. En effet, seule la présence de manifestations cliniques peut constituer un argument pour considérer qu'il y a inaptitude à un poste.
Cependant, la connaissance d'antécédents de maladie génétique dans la famille, peut faire suspecter qu'un employé (ou un futur employé) est, en raison de son lien de parenté avec le/la malade, exposé à développer la même affection. Cette probabilité dépend du lien de parenté et du mode de transmission de la maladie. Quand il est disponible, un test génétique peut permettre de savoir si cette personne à risque est réellement porteuse de l'altération du gène en cause ou non porteuse. Affirmer qu'elle est porteuse avec certitude d'une altération génétique, ne peut changer le jugement du médecin du travail sur l'aptitude à un poste. De ce fait, la réalisation d'un test génétique ne se justifie pas dans le monde du travail.
Cependant, le médecin du travail est en mesure d'aider la personne à risque (ou reconnue porteuse après un test souhaité par elle-même) à prendre conscience de sa situation médicale, si elle l'expose à l'apparition de manifestations cliniques pouvant rendre le poste qu'elle occupe dangereux, à l'avenir, pour son entourage ou pour elle-même. Une collaboration étroite entre médecins du travail et généticiens, peut contribuer à mieux appréhender le problème. Toutefois, la variabilité d'expression de nombreuses maladies génétiques et la pénétrance incomplète du gène, ne permettent pas de prédire réellement l'avenir d'une personne porteuse d'une
altération génétique. (M.-L. Briard)
Dans l'ensemble, tous les représentants des personnels se déclarent contre l'utilisation de tests génétiques en milieu de travail, tant à l'embauche que tout au long de la vie professionnelle. Du côté des représentants du patronat, le MEDEF ne rejette cependant pas l'utilité des recherches sur les susceptibilités individuelles appliquées à la prévention des affections professionnelles.
Le souhait d'un véritable débat de société consacré aux tests génétiques — qui ne soit pas seulement réservé aux seuls scientifiques — a été exprimé par le syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique.