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"Chez cet enfant neuf devant la douleur, ce qui pourrait être un atout devient un handicap : sa souffrance est décuplée par cette carence cognitive qui ne lui permet pas d'attendre un quelconque secours d'autrui."
Par: Cristiane Buisson, Anesthésiste-réanimateur, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP / Pascaline de Dreuzy, Pédiatre, groupe douleur, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique , n°12-13-14, été-automne 2000. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
Le terme douleur est réducteur s'il signifie uniquement « douleur physique » ; le stimulus nociceptif isolé n'existe pas dans la mesure où il atteint un être vivant, sensible qui l'intégre immédiatement dans son champ émotionnel.
Le terme souffrance est préférable : il englobe les deux composantes physique et psychique de la douleur, indissociables dès que l'on parle d'être humain. Comment la lutte contre la douleur s'inscrit-elle dans une démarche éthique ?
Soulager la souffrance d'un enfant et éviter l'inscription indélébile de sa douleur lui permettent de se construire et de devenir un être épanoui. On reconnaît à présent tous les enjeux dès la toute petite enfance. Toute référence positive ou négative laissera une trace qui aura son expression à l'ge adulte. Il est du devoir du soignant de réfléchir par anticipation à la qualité de la prise en charge antalgique proposée à un enfant.
Pendant longtemps, la souffrance de l'enfant, même reconnue, n'a pas été prise en considération parce que l'on pensait, sous prétexte qu'il ne s'exprimait pas ou qu'il s'exprimait par des moyens non spécifiques, qu'il allait oublier voire gommer cette expérience. Parallélement, de nombreux pédiatres et pédopsychiatres ne cessaient de révéler les compétences qu'ils reconnaissaient aux nouveaux-nés et aux nourrissons. Le paradoxe de ces petits si intelligents mais qui ne souffraient pas n'étonnait personne. Une telle approche arrangeait les médecins dont les traitements antalgiques étaient limités soit par manque de molécules adaptées, soit par peur des dérivés morphiniques. Les enfants plus grands peuvent s'exprimer mais le repérage de leur douleur est faussé par un schéma corporel non acquis, un langage en cours d'élaboration, pauvre en métaphores et le manque d'expérience de référence.
Chez cet enfant neuf devant la douleur, ce qui pourrait être un atout devient un handicap : sa souffrance est décuplée par cette carence cognitive qui ne lui permet pas d'attendre un quelconque secours d'autrui. Il ignore les solutions thérapeutiques et l'impact des soignants. Il est démuni devant ce qui lui arrive et l'associe à une image de mort. Il peut à l'extrême éprouver des terreurs qui hypertrophient sa douleur. La seule “parade” à cette détresse et son seul réconfort résident dans la présence de ses parents, souvent remise en question par le monde soignant.
L'attitude idéale consiste à s'adresser directement à l'enfant, interlocuteur privilégié, ce qui n'altére pas le message du fait d'une quelconque interprétation. On lui fait confiance pour qu'il nous comprenne et adhére au projet commun, on l'autorise à prendre une authentique place dans la relation, à s'exprimer et à faire part de ses interrogations.
Lui faire confiance, c'est aussi le doter d'outils qui l'aident à gérer lui-même sa douleur ; l'enfant même jeune est capable de manier une pompe d'analgésie auto-contrôlée et est rassuré de pouvoir, à sa convenance, maîtriser sa douleur. Chez l'enfant qui n'a pas encore acquis la parole, le message est perçu par osmose à travers le filtre parental. C'est dire toute l'importance d'une information claire, adaptée qui se doit d'être compléte tout en restant honnête. La présentation idyllique ou magique de la prise en charge de la douleur est un mirage : douleur et inconfort sont intimement liés. Subir une contention même justifiée, ne pas pouvoir boire, avoir faim ne sont pas des stimuli douloureux mais des sources d'inconfort qui ne céderont pas avec des antalgiques. L'enfant ne comprend pas le bien-fondé de ces contraintes et il s'y plie difficilement. Obtenir son accord et sa coopération, c'est savoir lui communiquer ainsi qu'à sa famille, dans la mesure du possible, une information au préalable.
La réponse médicamenteuse isolée à une douleur exprimée par l'enfant est inadaptée voire dangereuse. Puisque toute douleur a un impact sur le psychisme de l'enfant, être en développement, son traitement nécessite une perception globale de toutes ses composantes et une réponse pluridimensionnelle, bien différente de la dispensassion d'un antalgique pur.
Cette démarche permet de donner un sens à l'événement traumatique et évite peut-être une cicatrice indélébile, toujours réactivable ultérieurement. Si l'on dit couramment que la douleur aiguë, mal ou non traitée, fait le lit de la douleur chronique, ne peut-on penser que les douleurs non ou mal traitées dans l'enfance pourraient favoriser l'émergence d'une maltraitrance transgénérationnelle ?
Le respect de l'enfant et l'écoute de sa parole, laquelle ne refléte pas toujours le discours de ses parents, créent une relation de confiance permettant d'instaurer une réponse antalgique ajustée à chaque situation.