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"La prise en charge des patients dans un environnement très technologique ne s’oppose en rien à ce qu’ils puissent bénéficier des dispositions de l’article premier de la loi du 9 juin 1999 et de l’article L. 1110-10 du code de la santé publique, introduit par la loi du 4 mars 2002, explicitement cité dans quatre des quinze de la récente loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie."
Par: Jean-Michel Boles, Service de réanimation médicale et urgences médicales, hôpital de la Cavale Blanche –CHU de Brest ERCS « Éthique, professionnalisme et santé », département de sciences humaines et sociales, faculté de Médecine et des Sciences de la Santé, Université de Br /
Publié le : 17 Novembre 2005
Les patients admis en réanimation présentent des défaillances viscérales multiples potentiellement réversibles, engageant le pronostic vital et nécessitant la mise en œuvre simultanée de moyens de suppléance sophistiqués, de soins complexes et de moyens de surveillance automatisée performants. L’état de conscience de la quasi totalité des patients est altéré ou aboli du fait de la pathologie ou d’une sédation-analgésie souvent prolongée, ne permettant ni de savoir ce que souhaite le patient, ni un échange entre celui-ci et sa famille. Compte tenu de la gravité des pathologies survenant de plus en plus souvent sur un terrain altéré par une ou plusieurs maladies chroniques, environ 16 à 25 % des patients admis meurent en réanimation. Une étude récente a montré que plus de la moitié des décès survenaient à la suite de décisions de limitations ou d’arrêt de traitements actifs de suppléance (LATAS) [1].
Néanmoins, la prise en charge des patients dans un environnement très technologique ne s’oppose en rien à ce qu’ils puissent bénéficier des dispositions de l’article premier de la loi du 9 juin 1999 et de l’article L. 1110-10 du code de la santé publique, introduit par la loi du 4 mars 2002, explicitement cité dans quatre des quinze de la récente loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
La mise en œuvre de cette démarche suppose une réflexion initiale sur les enjeux de la mort en réanimation pour le patient, sa famille mais aussi pour les membres de l’équipe médicale et soignante, réflexion partagée par plusieurs membres de l’équipe. Elle suppose également la volonté du chef de service de la faire progresser dans les faits.
Elle doit s’appuyer actuellement sur plusieurs documents : les préconisations du rapport de Marie de Hennezel sur « l’accompagnement des personnes en fin de vie » de septembre 2003 [2] ; la Conférence de consensus sur « l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches » de janvier 2004 [3] ; les recommandations de la Société de réanimation de langue française (Sfar) portant sur les décisions de limitations et d’arrêt de thérapeutiques actives, publiées en 2002 [4]. Celles-ci prévoyaient, une fois la décision de limitation ou d’arrêt de traitement prise, la primauté des mesures de confort et des soins palliatifs d’une part et l’accompagnement du patient et de sa famille d’autre part [4]. De nombreuses expériences essentiellement nord-américaines ont été publiées et analysées dans la littérature [5, 6, 7] et un ouvrage français a récemment traité des divers aspects de la fin de vie en réanimation [8].
Cette démarche repose sur la définition d’une stratégie puis son adoption par le conseil de service dans le cadre du projet de service. Il est essentiel que cette démarche soit centrée sur les trois acteurs impliqués dans la relation de soins : le patient et sa famille, mais sans oublier les personnels soignants quel que soit leur grade. Elle implique une formation particulière de membres de l’équipe volontaires dans certains domaines et sur un soutien de l’administration hospitalière pour la prise en charge de certains aspects matériels. Enfin, l’évaluation des actions entreprises est le garant de leur portée et de leur pérennité et s’intègre dans la préparation de la nouvelle procédure d’accréditation.
Une telle démarche a été adoptée dans notre service et fait partie du projet de service.
a. Des entretiens répétés avec la famille, débutant dès le premier jour, avec le médecin référent pour le patient, afin de nouer le contact avec celle-ci, de percevoir l’état psychologique de la famille pour donner une information médicale adaptée à la compréhension des uns et des autres (l’état habituel du patient rend cette information très rarement possible en ce qui le concerne). La répétition quotidienne d’un entretien, même bref, permet de tenir la famille au courant, de suivre son cheminement dans l’histoire de son parent et de lui apporter le soutien moral nécessaire [9, 10].
Il faut insister ici sur la nécessité d’une formation adaptée à la communication dans un tel contexte, quasi inexistante pendant les trois cycles des études médicales, pour savoir reconnaître les réactions des personnes à l’annonce de mauvaises nouvelles et pour apprendre à développer des stratégies relationnelles permettant de mieux répondre à ces demandes d’une part et de stratégies efficaces d’adaptation au stress d’autre part.
b. L’aménagement d’une pièce réservée à ces entretiens, dite salon d’accueil, permet aussi aux familles de s’y reposer. Il faut rappeler que les entretiens ne doivent pas se dérouler dans le bureau du médecin, ni dans une salle d’attente impersonnelle, ni dans le secrétariat, ni encore moins dans un couloir.
c. L’ajustement du niveau de sédation et d’analgésie aux besoins réels du patient.
d. La proposition d’un éventuel suivi du patient s’il est conscient et de sa famille par des bénévoles accompagnants formés à l’écoute et au suivi de patients atteints de maladies graves [11] ou par un psychologue pour les services en disposant.
e. La possibilité d’afficher des photos des proches, voire de faire jouer la musique préférée du patient à faible volume dans la chambre.
Les modalités de prise de la décision de la limitation et/ou d’arrêt de traitements actifs de suppléance elle-même et de sa discussion avec la famille d’une part et les modalités particulières de leur application d’autre part ne seront pas développées ici [4]. Il faut insister sur l’importance d’un cheminement commun, parfois long, avec la famille pour que celle-ci « accepte » le caractère inéluctable de la mort prochaine et par voie de conséquence la prise d’une telle décision. De plus, les modalités particulières de l’arrêt de(s) traitement(s) doivent être discutées avec la famille afin que celle-ci soit prévenue de ce qui va se passer et ne soit pas choquée par la façon dont cela se passe.
Les mesures que l’on peut mettre en œuvre relèvent de deux types: les mesures de soins et celles d’accompagnement.
a. Adaptation de la posologie des antalgiques et des sédatifs afin que le patient ne souffre pas et, si cela est possible, qu’il puisse communiquer avec sa famille, situation rare en réanimation [12, 13].
b. Poursuite de tous les soins de base et de confort, en limitant tout acte inutile et a fortiori douloureux. Sauf si un très proche parent demandait à participer à certains soins courants, on demandera à la famille de sortir pendant les soins.
c. L’accès à une équipe mobile de soins palliatifs lorsque celle-ci existe pour affiner les différents éléments de la prise en charge du patient. Se pose notamment la question de la limitation du volume des apports hydriques (et nutritionnels par voie digestive ou intraveineuse) afin d’éviter un encombrement important [14] et d’une corticothérapie pour prévenir une dyspnée trop importante en cas d’extubation terminale.
d. Suppression des cathéters, sondes et appareils de suppléance devenus inutiles.
e. Suppression des modalités de surveillance automatiques inutiles, notamment des alarmes sonores (garder la surveillance de la fréquence cardiaque chez le patient sédaté et ventilé pour repérer le moment du décès).
a. Ouverture totale des heures de visite, y compris la nuit, sans restriction autre que la réalisation des soins ; proposition qu’une personne puisse rester couchée si elle le souhaite [15].
b. Élargissement du nombre de personnes pouvant être simultanément présentes dans la chambre : trois à quatre au lieu de deux habituellement. Favoriser le contact physique entre la famille et le patient, ainsi que la parole [15].
c. Suppression de l’obligation de porter une blouse, sauf si le patient est atteint d’une infection ou porteur d’une bactérie multi-résistante [15].
d. Fermeture des stores séparant les chambres les unes des autres afin de préserver l’intimité la plus complète possible [15].
e. Poursuite des visites médicales et de l’entretien quotidien avec la famille : il est essentiel que les patients et les familles n’aient pas l’impression d’être abandonnés après la prise de la décision médicale [15].
f. Nouvelle proposition d’un accompagnement par des bénévoles accompagnants ou d’un soutien psychologique si le service a accès à un psychologue.
g. Prise en compte des besoins spirituels en fin de vie [16] et notamment proposition systématique d’accès à un ministre du culte : si l’hôpital doit respecter le principe de la laïcité, il doit aussi respecter la liberté d’exercice du culte prévue par l’article 1er de la loi du 9 décembre 2005 [17]. Ce droit est rappelé dans la charte du patient hospitalisé [18]. Le refuser simplement par omission est un déni grave pouvant provoquer une blessure profonde. Il faut rappeler que la chambre est considérée comme un lieu privé et que l’exercice de ces rituels y est tout à fait autorisé par la loi [17]. Bien entendu les rituels pratiqués devront l’être avec la discrétion voulue.
a. L’annonce du décès, même attendu, doit être faite par un médecin au cours d’un entretien au cours duquel il laissera le temps à la famille d’exprimer ses émotions, ses réactions et ses souhaits [15].
b. Laisser la famille se recueillir auprès du défunt le temps voulu, sans « être pressé » de transférer le corps à la morgue.
Il peut être envisagé de laisser participer un très proche parent qui le souhaiterait à la toilette mortuaire.
c. Proposer à la famille de rester le temps souhaité dans le salon d’accueil, ainsi que des boissons.
- Faire en sorte de faciliter les démarches administratives.
d. Proposer systématiquement un rendez-vous ultérieur si certains membres de la famille souhaitent reparler avec le médecin ou les infirmières de ce qui s’est passé.
Il faut cependant savoir qu’un tiers des familles ayant perdu un proche en réanimation présentent des symptômes de stress post-traumatique [19]
Ceci implique :
a. Une réflexion sur la transmission et la circulation de l’information, la participation réelle aux staffs de prise de décision de LATAS et la participation de l’infirmière à certains entretiens avec la famille.
b. Une véritable réflexion sur la souffrance des soignants et son évaluation sur le plan quantitatif et qualitatif [20].
c. La mise en place de groupes de parole, notamment lors d’histoires particulièrement difficiles et ayant entraîné des souffrances et/ou des conflits au sein de l’équipe.
d. Une formation mise à jour régulièrement sur l’annonce d’une mauvaise nouvelle et de la mort, sur le deuil et la souffrance, enfin sur l’esprit de la démarche palliative [21]. L’acquisition d’un diplôme d’université ou interuniversitaire de soins palliatifs par des membres de l’équipe est un élément important pour développer la compétence de l’équipe : il est d’ailleurs prévu à l’article 14 de la loi du 22 avril 2005.
Notre service s’est engagé depuis plusieurs années dans une telle démarche palliative et un grand nombre des mesures citées ci-dessus y ont été introduites. Des crédits ont été obtenus dans le cadre des soins palliatifs pour aménager un salon d’accueil en 2000. Certaines ont fait l’objet d’évaluation auprès des familles et des personnels [11, 15]. D’autres mesures sont en cours de développement.
Promouvoir l’esprit de la démarche palliative est essentiel en réanimation [22]. Mais il faut être conscient que le développement d’une telle démarche représente un changement culturel difficile pour ces services. Néanmoins, la fréquence du décès des patients qui y sont admis, les conséquences sur la vie familiale pendant le séjour et sur les membres de la famille après le décès de leur parent justifient pleinement qu’ils s’engagent activement dans cette démarche. Dans le cadre des articles 13 et 14 de la loi du 22 avril 2005, l’identification de lits participant aux soins palliatifs devrait être demandée par les services de réanimation et pourrait être l’occasion pour ceux-ci de bénéficier des aides nécessaires pour développer cet aspect majeur de la prise en charge des patients en fin de vie qui y sont hospitalisés et de leurs proches.
1. Ferrand E., Robert R., Ingrand P., Lemaire F. for the French LATAREA group, « Withholding and withdrawing of life support in intensive care units in France: a prospective study », Lancet, 2001; 357: 9 - 14.
2. Hennezel de M., « Mission Fin de vie et accompagnement : rapport au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées », octobre 2003. http://www.ladocumentation francaise.fr
3. ANAES. Conférence de consensus « Accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches ». Paris, 14-15 janvier 2004. http://www.anaes.fr , suivre liste des avis
4. « Les limitations et arrêts des thérapeutique(s) active(s) en réanimation adulte : recommandations de la Société de réanimation de langue française », Réanimation, 2002; 11: 442-9. http://www.srlf.org, suivre commissions puis commission d’éthique.
5. Rubenfeld GD., Curtis JR., « Improving care for patients dying in the intensive care unit », Clin Chest Med, 2003; 24: 763-73
6. Rubenfeld GD., Curtis JR., « Beyond ethical dilemmas: improving the quality of end-of-life care in the intensive care unit », Crit Care, 2003; 7: 11-2
7. Rushton CH., Williams MA, Sabatier KH., «The integration of palliative care and critical care: one vision, one voice », Crit Care Nurs Clin North Am, 2002; 14: 133-40
8. Fin de vie en réanimation, Sous la direction de JM. Boles et F. Lemaire, « Collection Europe » de la Société de réanimation de langue française, Paris, Elsevier, 2004, 396 pages.
9. Groupe de travail de la commission d’éthique de la Srlf, « L’information au patient en réanimation et à ses proches : le point de vue de la Srlf », Réanimation, 2001; 10: 571 - 581. www.srlf.org (suivre commissions puis commission éthique).
10. Azoulay E., Sprung C., « Family-physician interactions in the intensive care unit », Crit Care Med, 2004; 32: 2323-8
11. Boles JM., Boumédiene A., Tonnelier JM., Prat G., L’Her E., Boles C., Renault A., « Peut-on introduire des bénévoles-accompagnants en réanimation ? Bilan d’une année de présence », Réanimation, 2005 ; 14, suppl.1: S156-7, abstract SP 188.
12. Hawryluck LA., Harvey WR., Lemieux-Charles L., Singer PA., « Consensus guidelines on analgesia and sedation in dying intensive care patients », BMC Med Ethics, 2002; 3: E3. http://www.biomedcentral.com/1472-6939/3/3
13. Hall RI., Rocker GM., Murray D., « Simple changes can improve conduct of end-of-life care in the intensive care unit », Can J Anesth, 2004; 51: 631-6
14. Aubry R., « Arrêt ou non introduction de l’hydratation en fin de vie ? Que faire ? », in Fin de vie en réanimation, op. cit., pp 143-50.
15. Renault A., Prat G., Boumédiene A., Dy L., L’Her E., Boles JM., « Accueil et prise en charge des familles de patients en fin de vie en réanimation » in Fin de vie en réanimation, op. cit., pp 178-84.
16. Verspieren P., « Spiritualité et besoins spirituels en fin de vie », in Fin de vie en réanimation, op. cit., pp 263-9.
17. Lévy I., La religion à l’hôpital, Paris, Presses de la Renaissance, 2004, 331 pages.
18. « Charte du patient hospitalisé », Annexe à la circulaire ministérielle n°95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés, Bulletin officiel du ministère de la Santé.
19. Azoulay E., Pochard F., Kentish-Barnes N. et coll., « Risk of post-traumatic stress symptoms in family members of intensive care patients », Am J Respir Crit Care Med, 2005; 171: 987-94
20. Leboul D., « Épuisement professionnel et souffrance des soignants », in Fin de vie en réanimation, op. cit., pp 284-92.
21. Ricou B., Odier C., Gagelin C., « La mort aux soins intensifs : place pour les soins palliatifs », InfoKara, 1998/3, n° 51 : 7-15.
22. Hennezel de M., « Promouvoir l’esprit de la démarche palliative », in Fin de vie en réanimation, op. cit., pp 351-60.