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Si l'on s'en tient aux textes régissant la question de l'accès au dossier médical au sein des établissements de santé, les choses semblent simples à une première lecture. En réalité, cette simplicité n'est qu'apparente, et le texte recèle de redoutables ambiguïtés.
Par: Jean Penneau, Professeur émérite, Faculté Jean Monnet, Université de Paris IX, docteur en médecine /
Publié le : 17 juin 2003
Texte extrait de La Lettre de l'Espace éthique n°15-16-17-18, 2002. Ce numéro de la Lettre est disponible en intégralité en suivant le lien situé à la droite de la page.
En partenariat avec la Faculté de médecine Paris-Sud, la Faculté Jean Monnet, le GREBB, l'Espace éthique a organisé le 3e Colloque de Bicêtre le 6 octobre 2000 : Dossier médical, dossier infirmer : Pourquoi ? Pour qui ?
Si l'on s'en tient aux textes régissant de manière spécifique la question de l'accès au dossier médical au sein des établissements de santé (Code de la santé publique, article L 1112-1 — ancien article L. 710-2 ; article R. 710-2-2), les choses semblent simples à une première lecture : la communication du dossier médical intervient, sur la demande de la personne qui est ou a été hospitalisée, ou de son représentant légal.
En réalité, cette simplicité n'est qu'apparente, et le texte recèle de redoutables ambiguïtés.
Ambiguïté d'abord, sur la notion même de représentation légale, qui doit être précisée. Ambiguïté ensuite, résultant du caractère alternatif de la formule " le patient ou son représentant légal ", et qui se dédouble en deux questions. En premier lieu la question de la compatibilité de l'état de l'incapable avec l'accès à son dossier, puisque le caractère alternatif de la formule, sans aucune restriction, semble bien lui permettre cet accès. Il faut, au demeurant, ajouter que tous les incapables ne sont pas pourvus d'un représentant légal (ou n'en sont pas pourvus au moment où se pose la question de leur accès au dossier médical). En second lieu, la question du conflit possible entre le patient et son représentant légal, si le premier s'oppose à ce que le second ait accès au dossier.
Il y a, sur ce point, des précisions à apporter en ce qui concerne les majeurs et les mineurs. En ce qui concerne les incapables majeurs, il existe, si l'on met à part le cas particulier de la sauvegarde de justice (Code civil, article 491 et suivant), deux régimes de protection faisant intervenir un tiers : la curatelle (Code civil., article 508 et suivant) et la tutelle (Code civil, article 492 et suivant). Mais, seule la tutelle institue un régime de représentation, la curatelle instituant seulement un régime d'assistance pour les actes patrimoniaux les plus dangereux. Il me semble en résulter que le curateur ne peut accéder au dossier de l'incapable mis en curatelle.
Seul le régime de la tutelle permet au tuteur cet accès (sous réserve de ce qui sera dit plus loin).
En ce qui concerne les mineurs, le régime de principe, à l'intérieur des couples mariés, est celui de la représentation légale par les parents qui exercent normalement tous deux, et conjointement, l'autorité parentale (code civil, article 171-2 et 372, alinéa 1). C'est une situation également fréquente dans les couples non mariés, lorsque les deux parents ont reconnu l'enfant, à condition que les deux reconnaissances aient été faites dans l'année de la naissance, et que les deux parents aient vécu en commun lors de la seconde de ces reconnaissances (Code civil, article 372, alinéa 2). C'est encore une situation qui peut exister en cas de divorce, dans la mesure où l'autorité parentale continue d'être exercée par les deux parents (Code civil, article 287, alinéa 1). Dans toutes ces situations, chacun des parents peut, bien évidemment, en sa qualité de représentant légal de l'enfant, accéder à son dossier (sous réserve de ce qui sera dit plus loin, et sous réserve de la question du consentement à un acte médical qui se pose en termes différents). Mais, dans toutes les autres hypothèses où l'un des parents n'exerce pas l'autorité parentale (Code civil, articles 373, 373-1, 374), et en cas de divorce (article 287, alinéa 2), la question se pose de savoir si ce parent peut accéder au dossier. Il me semble, pour ma part, que cet accès est possible, dans la mesure où le parent qui n'exerce pas l'autorité parentale, reste titulaire d'un droit de surveillance (Code civil, article 288), qui lui permet d'accéder aux informations nécessaires à l'exercice de ce droit. Reste le cas où le parent titulaire de l'autorité parentale interdirait expressément de permettre cet accès : dans une telle hypothèse, la seule solution serait pour l'autre parent de saisir le juge des tutelles.
Cette question se pose aussi bien pour le mineur que pour le majeur, mais, il est vrai, en des termes différents dans chacune des hypothèses.
En ce qui concerne le mineur, c'est une question d'âge, et elle est en grande partie confondue avec la question de l'opposition du mineur à l'accès de ses représentants légaux au dossier, que je traiterai dans un instant. Je n'envisagerai donc, ici, que la situation du majeur incapable, qu'il s'agisse d'un majeur ne faisant pas l'objet d'une mesure de protection légale, ou d'un majeur en tutelle.
En l'état des textes en vigueur, la question ne se pose que de la compatibilité psychologique, et non de la compatibilité matérielle de l'état de l'incapable majeur avec l'accès à son dossier médical, puisque l'accès au dossier ne se fait que par l'intermédiaire d'un médecin. Et la question est en grande partie résolue, puisque ce médecin doit communiquer au patient les informations qu'il recueille dans le respect des règles de déontologie. Je crois, en effet, qu'il faut entendre cette formule comme imposant au médecin, désigné par le patient, de ne délivrer à celui-ci les informations recueillies, qu'en tenant compte, dans les explications données, de sa personnalité. En veillant, conformément aux dispositions de l'alinéa 1 de l'article 35 du Code de déontologie médicale, à leur compréhension (le même article, dans son alinéa 2, permettant au médecin, pour des raisons légitimes qu'il apprécie en conscience, de laisser le patient dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic grave, sauf en cas de danger pour les tiers).
De ce point de vue, les textes en préparation peuvent soulever quelques hésitations, dans la mesure où ils permettent au patient d'accéder directement à son dossier. Il est vrai qu'en ce qui concerne les patients atteints de troubles mentaux (pour lesquels il est question, dans une périphrase dont chacun appréciera la remarquable clarté, de " la consultation des informations recueillies, dans le cadre d'une prise en charge thérapeutique, relevant du chapitre III du titre IV du livre III du code de la santé publique " ), il est prévu que la consultation du dossier peut être subordonnée à la présence d'un médecin, désigné par le patient, lorsque les risques de la connaissance de ces informations sont d'une gravité particulière. Qu'en cas de refus du patient, la commission départementale des hospitalisations psychiatriques est saisie, l'avis de celle-ci s'imposant au détenteur des informations comme au patient. Il reste que l'avant-projet prévoit seulement la présence d'un médecin, et non son intermédiaire, ce qui peut faire redouter des difficultés, non seulement d'ordre psychologique, avec les risques qui peuvent s'ensuivre, mais, dans certaines hypothèses, des difficultés matérielles dont le dossier lui-même pourrait être l'objet.
La question se pose, ici encore, à propos de l'incapable majeur et à propos de l'incapable mineur. Elle est peut-être plus difficile à résoudre pour le second. En ce qui concerne l'incapable majeur, il me paraît clair que le majeur en tutelle peut s'opposer à ce que le tuteur ait accès à son dossier médical, dès lors que l'accès du tuteur à ce dossier ne serait pas légitimé par les besoins des actes de tutelle. On peut même certainement affirmer qu'en toute hypothèse, le tuteur ne peut avoir accès au dossier de l'incapable que dans la seule mesure des besoins de sa mission. Ce point — la justification par les besoins de la mission du tuteur — me semble devoir être vérifié lors de toute demande d'accès au dossier faite par le tuteur. En outre, lorsque l'état de l'incapable le permet, il me semble indispensable de recueillir son consentement. En cas d'interdiction de la part de l'incapable, et de persistance de ce refus, le recours au juge des tutelles me paraît indispensable.
En ce qui concerne le mineur, la question se pose dans les mêmes termes que celle de la compatibilité de l'état du mineur avec l'accès à son dossier, et les deux questions sont largement confondues. Sur ces questions, il est de plus en plus souvent affirmé ou admis, d'une part que le mineur proche de la majorité doit avoir accès aux informations concernant sa santé, de manière à participer à la prise de décisions le concernant, voire, en certaines circonstances à prendre seul ces décisions. D'autre part que ce même mineur proche de la majorité peut légitimement désirer garder le secret à l'égard de ses parents, sur son état de santé, ce qui aboutit à refuser aux parents d'accéder au dossier médical du mineur. D'un point de vue strictement juridique, cette position, en l'état des textes, est intenable, quelle qu'en puisse être la justification sociologique et/ou médicale. Le projet de loi Droits des malades et qualité du système de santé lui donne cependant un support légal, puisqu'il y est disposé qu' "une personne mineure de plus de seize ans, en situation de détresse, peut s'opposer à ce que le ou les titulaires de l'autorité parentale accèdent directement aux informations médicales la concernant" (article I-B-6, alinéa 6). Du fait que l'accès visé est l'accès direct, on peut supposer que les titulaires de l'autorité parentale ne sont pas totalement privés de l'accès au dossier, et qu'ils pourraient y avoir accès par l'intermédiaire d'un médecin dans le respect du secret médical. Mais il y a, alors, une contradiction avec les dispositions de l'alinéa premier de l'article I-B-4 du même avant-projet, selon lequel il semble bien que le mineur de plus de 16 ans en situation de détresse, pourrait exiger que le secret sur son état de santé soit gardé par son médecin traitant. Mais il est vrai que ce texte n'est pas à une contradiction ou une approximation …