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« 2011, année des patients et de leurs droits » : Besoin de dignité et de solidarité au cœur des soins
Par: Emmanuel Hirsch, Ancien directeur de l’Espace éthique de la région Île-de-France (1995-2022), Membre de l'Académie nationale de médecine /
Publié le : 19 Avril 2011
Hospitalité extrême
Le 5 mars 2011, l’Espace éthique/AP-HP a souhaité partager avec les équipes de l’hôpital San Salvadour (AP-HP), les proches des personnes hospitalisées et les bénévoles associatifs, un temps de réflexion consacré au théme : « Face aux décisions difficiles en situation extrême. » Cette journée d’étude, de restitution et de confrontations d’expériences au plus prés des réalités du terrain, s’est ouverte dans l’aprés-midi sur un débat public bénéficiant des interventions de Patrick Collignon, Elisabeth Grimont, Pierre Le Coz, Jean Leonetti et Brigitte Savelli.1 Il convenait, entre autre considération, d’enraciner l’initiative « 2011 année du patient et de ses droits»2 sur laquelle je reviendrai pas la suite, dans un lieu exemplaire de l’engagement soignant, parfois à ses limites quand l’exigence professionnelle procéde du souci d’apporter aux personnes malades les plus vulnérables des compétences et la présence humaine qui permettent de vivre la dignité d’une existence respectée et accompagnée jusqu’au terme d’un parcours souvent si délicat dans ses phases ultimes.
Entre les débats convenus, souvent académiques et réducteurs portant sur les concepts du soin ou ses modes de gouvernance, et le quotidien d’un exercice professionnel continu, complexe, incertain qui expose aux défis redoutables dont il n’est pas possible de se détourner, l’écart apparaît d’autant plus préoccupant qu’il incite parfois à se figer dans des postures idéologiques, des dogmatismes incompatibles avec la signification profonde des valeurs du soin. L’épreuve du terrain, une confrontation à ces faits de vie spécifiques qu’il importe de comprendre dans un contexte donné soumis à des évolutions dont on ne maîtrise pas la trajectoire, pondére ou du moins relativise nombre de certitudes et de convictions pourtant affirmées, voire assénées de maniére péremptoire.
Dans ces lieux du soin, parfois à la périphérie des priorités politiques, où s’inventent à chaque instant les modes d’approches adaptés aux aspects les plus délicats de maladies évoluant dans des phases de paroxysme, des professionnels de santé s’efforcent de promouvoir et de préserver une idée résolue de la vocation soignante au service de personnes qui sans eux erreraient sans refuge et sans le moindre recours jusqu’à ne plus avoir de place parmi nous, quelque part au sein de la cité. Notre vie démocratique, une certaine conception du vivre ensemble se reformulent et se renforcent parfois aux marges, là où les fascinations et les performances biomédicales perdent toute crédibilité faute d’efficience. C’est l’honneur du service public hospitalier, en l’occurrence de l’AP-HP, que de rendre possible cette hospitalité de l’extrême, ce témoignage d’un attachement inconditionnel aux personnes qui sans cette solidarité de chaque instant éprouveraient le scandale d’une relégation qui abolirait le moindre de leurs droits et seraient délaissées dans cette négligence du mépris qui équivaut à une condamnation.
Il me paraissait important d’être à San Salvadour pour évoquer et penser ensemble ces exigences du soin que le législateur a voulu consacrer dans la loi du 4 mars 2002. Mais également pour en saisir ses limites afin de lui conférer une nouvelle ambition au moment où s’ébauche le dispositif qui pourrait permettre d’en évaluer les acquis, d’identifier ses déficits afin qu’elle puisse à nouveau porter une espérance qui actuellement semble quelque peu altérée.
Une dynamique de transformation
Introduit le 4 mars 2011, soit un an avant les dix ans de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du systéme de santé, la premiére phase du cérémonial d’hommage est marquée par le lancement d’une initiative de portée nationale : « 2011 année du patient et de ses droits. » L’Espace éthique/AP-HP est honoré d’y être associé et de témoigner ainsi d’un attachement véritable de la communauté des professionnels de santé à l’exigence d’un partenariat dans les pratiques soignantes respectueux de la personne malade et de ses proches, également de la représentativité associative aux sein des structures de santé. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris dans son ensemble a su découvrir et comprendre l’amplitude d’une dynamique de transformation profonde des principes mêmes de la relation dans le soin. A travers ses choix stratégiques notre institution s’efforce au quotidien de susciter les compétences indispensables à la transposition dans les faits d’intentions parfois encore trop distantes d’une compréhension nécessaire des contingences immédiates. Car si la valeur constitutive du principe de démocratie sanitaire inscrit dans la loi et repris comme ligne déterminante de l’action, notamment par certaines Agences régionales de santé, s’avére indispensable à une nouvelle pensée du soin, encore convient-il de s’interroger sur l’effectivité des droits ainsi promus, sur la capacité de favoriser l’autonomie de la personne malade dans le parcours de soin.
La loi du 4 mars 2002 reprend et rassemble dans un dispositif à la fois cohérent et volontariste les intuitions et résolutions qui dans les années 80 ont inspiré les militants du sida. Nous leur devons cette politisation de domaines jusqu’alors soumis aux seules considérations ou logiques médicales, bouleversant légitimités, certitudes et habitudes pour imposer un regard, une approche inédits. Leur exigence de reconnaissance d’une dignité qui leur était discutée, d’une position respectée de citoyens certes affectés d’une maladie dramatique mais en droit d’attendre non seulement considération mais efficacité dans les champs de la recherche, du suivi et du soutien médical, a marqué en profondeur les mentalités et les dispositifs. La personne malade a ainsi arraisonné dans le cadre d’un activisme associatif innovant et performant un espace d’expression qui jusqu’alors lui était refusé, affirmant une expertise et une conscience de la responsabilité collective qui lui ont conféré une position qu’il n’était dés lors plus possible de lui contester.
Il conviendrait de reprendre en finesse les temps de cette conquête souvent douloureuse, de ces combats faits de déroutes et de belles victoires, d’enchantements et de désillusions. Ne pas éviter également de faire mémoire de ces circonstances du désastre : beaucoup de ces militants ne sont plus parmi nous pour dire ce qu’a été la dureté de leurs luttes. On évoquerait alors ces alliances qui se sont nouées pour servir une cause supérieure, lorsque malades, professionnels de santé, chercheurs, volontaires associatifs mettaient en commun leurs intelligences et leurs passions afin d’atténuer, autant que faire se pouvait, des menaces oppressantes. De même, seraient évoqués ces actes forts, ces textes de référence qui portaient à leur niveau le plus élevé les soucis de dignité, de respect et de justice. Premier responsable du programme de lutte contre le sida à l’OMS en 1986, Jonathan M. Mann incarne de ce point de vue une de ces figures emblématiques d’une éthique en acte inspirée, dans un contexte d’urgence extrême, par cette tradition des droits de l’homme à comprendre comme principe de résistance face aux injustices sociales reléguant les plus vulnérables dans des situations qui les exposaient plus que d’autres aux ravages de la pandémie. De même Daniel Defert qui avec ses premiers compagnons de route pense et rend possible fin 1984 la création de l’association AIDES. Sait-on aujourd’hui que nombre de grandes associations de personnes malades doivent à l’implication des militants impliqués au sein de ces pôles de résistance et de solidarités qu’ont représenté les associations de lutte contre le sida, la culture et la capacité d’initiative qui leur permet de porter aujourd’hui dans l’espace public les revendications des plus exclus dans leur traversée de la maladie ? Ces acquis sont toutefois fragiles, d’autant plus lorsque l’on néglige leur histoire.
Les droits de la personne malade
La loi du 4 mars 2002 est la résultante d’un combat, d’un engagement nécessaire car vital au nom du bien commun, cette préoccupation de mobiliser au-delà des individualismes pour atténuer les conséquences humaines et sociales d’une pandémie et nous éviter ainsi le pire. Elle est intervenue 14 ans aprés la loi relative à la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale du 20 décembre 1988 (il n’a pas été à l’époque question de la dénommer loi relative aux droits des malades et à la recherche biomédicale, ce qui en soi peut interroger) et constitue donc la premiére législation consacrée pour partie à l’éthique du soin, à une caractérisation de la responsabilité soignante, aux droits de la personne malade. Elle a davantage été inspirée par des personnes malades et ceux qui à leurs côtés partageaient une même conscience de leurs responsabilités pour contribuer aux mutations de pratiques médicales désormais préoccupées d’une personne partie prenante des choix qui la concernaient, que par cette deuxiéme génération quelque peu caricaturale de certains malades d’aujourd’hui campés dans des postures revendicatrices, voire extrêmes qui considérent n’avoir que des droits et ne tolérent dés lors aucune entrave face à leurs exigences, y compris lorsqu’elles s’avérent préjudiciables aux plus vulnérables, à l’intérêt de tous.
Au moment où les personnalités politiques en charge de la santé s’interrogent sur l’implémentation pour le moins incertaine des principes érigés par la loi du 4 mars 2002, nous gagnerions certainement à faire œuvre de pédagogie en explicitant les présupposés de cette législation, ses enjeux essentiels en terme de démocratie, les conditions d’effectivité de droits qui tiennent nécessairement à la réciprocité d’obligations que chacun se doit d’assumer dans un esprit de solidarité. Il conviendrait également de revisiter, pour en évaluer les conséquences en pratique, certains des termes les plus significatifs qui ont assez mal résisté à l’épreuve des faits, faute des accompagnements qu’il aurait été nécessaire d’instituer pour en favoriser l’application dans le systéme de santé. Je pense notamment à la reconnaissance si théorique de l’autonomie de la personne malade qui visait à favoriser l’harmonisation d’une relation plus équilibrée dans le soin, à l’atténuation du pouvoir médical, de l’arbitraire des postures dites « parternalistes ». Respecter la personne dans ses droits, ses préférences et ses choix, l’informer de telle sorte qu’elle puisse partager un savoir susceptible d’éclairer la prise de décision, lui conférer une responsabilité, une compétence, une expertise, voire l’impliquer dans le cadre de l’éducation thérapeutique constituent autant d’enjeux et d’intentions qu’il ne faudrait pas disqualifier tant d’évidence ils apparaissent justifiés. Mais en pratique doit-on en conclure que par nature la personne malade est de maniére indifférenciée et continue en capacité d’assumer en toute autonomie la complexité de décisions souvent ambivalentes, et que désormais l’approche dite « autonomiste » se doit d’être systématiquement privilégiée abstraction faite de toute autre considération ? Le « devoir d’informer » porté à ses extrêmes, y compris dans la soumission de documents absconds et pourtant exhaustifs afin d’obtenir le consentement de la personne avant toute intervention, interpelle nombre de personnes malades et de professionnels de santé qui ne conçoivent pas les réels acquis que constituent ce cumul de procédures, et ne comprennent pas en quoi de tels systématismes servent les droits de la personne. Ces protocoles astreignants convertissent et parfois pervertissent les mentalités du soin à des logiques procéduriéres obsédées par le risque judiciaire. Elles accentuent la méprise et tout autant la défiance dans un environnement de soin perturbé par des conditionnements, des prescriptions, des ingérences, des incidences qui en dénaturent la singularité, pour ne pas dire l’efficience.
Il me semblerait donc opportun de ne pas négliger les quelques méprises ou déviances suscitées par une imparfaite implémentation de la loi du 4 mars 2002 dont certaines de ses caractéristiques idéologiques ou idéalisées se sont avérées dans les faits contradictoires à une application cohérente d’intentions pourtant légitimes. Cela d’autant plus dans un contexte de mutations profondes dans la gouvernance des institutions de soin, de précarisation de certaines fonctions, d’incertitudes et de désenchantements qui bien souvent détournent certains professionnels de santé d’un engagement dont ils ont le sentiment que l’on en conteste la valeur sociale.
Un message de confiance, un geste de sollicitude
Indépendamment de la loi du 4 mars 2002 qui n’existait pas alors, les pratiques instaurées dans l’urgence des initiatives développées dans le contexte des années sida ont contribué à l’émergence d’une figure de la personne malade respectée dans sa dignité, reconnue dans des droits et associée comme un partenaire dans des prises de décisions informées. La loi du 4 mars 2002 constitue peut-être une étape symbolique, une référence nécessaire, mais j’éprouve avec d’autres le sentiment qu’elle demeure en fait trop formelle pour favoriser de réelles transformations, celles qui devraient s’imposer dans le contexte actuel. C’est du reste à une mise à plat de la loi et à une reformulation de nouvelles perspectives en fixant des objectifs pratiques et tangibles, notamment du point de vue de l’organisation de notre systéme de santé, qu’ont abouti à travers nombre de propositions les trois rapports demandés par le ministre chargé de la santé pour établir un bilan de cette législation et tracer les contours d’évolutions possibles sous forme de propositions3. Tant d’évolutions tiennent désormais aux impulsions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative au patient, à la santé et aux territoires, et tout autant aux réelles avancées qu’ont favorisé les plans cancer, maladie rare ou Alzheimer et maladies apparentées, que l’on peut à bien des égards s’interroger sur l’effectivité même de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du systéme de santé habituellement méconnue y compris dans les procédures d’accés direct au dossier médical qui semblait pourtant à l’époque constituer un enjeu supérieur. Il a fallu la loi du 22 avril 2005 relative aux droits du malade et à la fin de vie pour que l’on comprenne cette fonction dévolue à la « personne de confiance » et que les « directives anticipées » s’imposent au même titre que la procédure de prise de décision « collégiale ». Cela pour dire que la « démocratie sanitaire », ce concept si difficile à cerner et à mettre en œuvre quand les décisions en matiére de santé publique peuvent contribuer parfois au déficit d’équité dans l’accés aux soins, procéde de dynamiques qui semblent désormais se situer en dehors du strict champ de la loi du 4 mars 2002. Au moment où l’on s’apprête à célébrer (sans pour autant avoir sollicité de la part du parlement son évaluation et en considérant a priori qu’elle ne justifie pas quelques amendements alors que tant d'évolutions sont intervenues dans le champ médical depuis 2002) il serait judicieux de tenir compte d’autres apports trop souvent éparpillés qui dans la cohérence d’une présentation argumentée et d’une valorisation publique contribueraient à la promotion de droits par trop virtuels. Il n’est que de constater les avancées dans le champ de la biomédecine et les débats délicats de la bioéthique pour comprendre qu’il n’est pas sage de penser que les droits du malade tiennent essentiellement au respect formel de sa dignité, à la qualité de l’accueil, de l’information partagée (y compris à partir de sites internet dédiés), de la lisibilité du parcours de soin et des dispositifs d’accompagnement notamment au retour à domicile. L’accés à de nouvelles technologies complexes, sélectives, coûteuses et avec parfois des conséquences préjudiciables (ne serait-ce qu’en terme de discriminations), pose à lui seul nombre de questions redoutables et probablement plus déterminantes aujourd’hui que les conditions d’accés au dossier médical. La vulnérabilité des personnes à la constitution, parfois à leur insu et en dépit de la loi, de fichiers informatisés croisés et exploités sans la moindre certitude de cryptage et de sécurisation absolue des données peut également interpeller quand on constate la porosité des sites les plus sensibles aux effractions des hackers. À cet égard le dossier médical personnel peut susciter, en dépit de tant de propos rassurants, des inquiétudes réelles ne serait-ce que lorsque l’on constate les convoitises suscitées par le marché de la santé.
« 2011, année du patient et de ses droits. » En pratique nous disposons d’une année pour mobiliser les compétences et les talents afin de donner un souffle nouveau mais indispensable à ce besoin de dignité et de solidarité au cœur des soins. L’idée de démocratie sanitaire paraît désormais s’incarner dans les projets et premiéres réalisations des Agences régionales de santé (ARS). Elle ne pourra être effective et donc se transposer dans les actes quotidiens du soin que pour autant que chacun accepte d’assumer sa responsabilité propre dans ce dispositif qui sollicite la cité à travers ses différentes composantes. Si les professionnels y sont reconnus dans leur engagement en premiére ligne, bénéficiant d’alliances et d’expertises dans ce partenariat développé avec les personnes malades et les associations représentatives, il leur faut bénéficier également d’une légitimation qui leur fait souvent défaut. Evoquer le concept de démocratie sanitaire c’est affirmer la dimension, voire la mission politique de la fonction soignante au cœur de la vie de la cité mais également à ses marges, là où les vulnérabilités humaines bénéficient de cette hospitalité qui témoigne de la valeur supérieure du devoir de non-abandon. L’exercice de cette démocratie s’impose comme une urgence. C’est peut-être le message à retenir de cette célébration d’une loi qui nous est proposée : l’appel à une mobilisation dans le soin qui serve mieux encore, avec justice et justesse, celle et celui qui attendent de la société un message de confiance, un geste de sollicitude.
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