C’est pourtant ainsi qu’est présentée la question des modalités socialement acceptables d’une demande adressée à un médecin émanant d’une personne confrontée à une situation médicale sans issue souhaitant qu’il soit mis fin à sa vie.
Cette présentation se méprend sur la manière dont les règles juridiques pourraient traduire un tel choix et fait le lit de leur fonction.
En effet, l’aide active à mourir nécessite des actes de la part du médecin, consistant soit à réaliser une intervention sur le corps de la personne entraînant sa mort, soit à lui fournir une substance létale afin qu’elle se la donne elle-même. En l’état actuel du droit français, certains de ces actes constituent des infractions pénalement répréhensibles susceptibles d’être reprochées à un médecin. Issues de la société post-révolutionnaire qui a reconnu une valeur éminente à la vie de la personne humaine, il s’agit d’« atteintes volontaires à l’intégrité de la personne », qui, quand elles causent la mort, sont des crimes, à savoir le meurtre (article 221-1 du code pénal) et l’empoisonnement (article 221-5 du code pénal).
En revanche, la fourniture d’un produit létal à une personne souhaitant mettre fin à sa vie ne pourrait être poursuivie pour complicité de suicide, car s’il était réprimé dans l’Ancien droit comme « l’homicide de soi-même », cette incrimination a été abolie par le code pénal de 1791. Toutefois, le fait pour la personne concernée de se procurer une substance vénéneuse comme pour celle qui l’y aiderait relève d’une des infractions prévues par le code de la santé publique, consistant en son acquisition, son emploi illicite ou en sa délivrance au moyen d’ordonnances fictives ou de complaisance. Enfin, il ne faut pas exclure une éventuelle poursuite pour non-assistance à personne en danger de la personne aidant celle qui souhaite mettre fin à sa vie, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 28 novembre 1986 souvent cité ayant jugé que « La volonté d’une personne de mettre fin à ses jours, et donc de se mettre elle-même dans une situation de péril, ne dispense pas de l’obligation de porter secours, devoir d’humanité lié à la protection de la vie d’autrui ».
L’adoption de règles autorisant un médecin à pratiquer les actes apportant à la personne qui en fait la demande l’aide active à mourir ne dépénaliserait pas plus l’« euthanasie » que le « suicide assisté » car la dépénalisation consiste à cesser de considérer comme étant une infraction un comportement qui jusqu’alors l’était. Tel fut le cas, par exemple, de la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce qui abrogea l’infraction punissant l’adultère de la femme ainsi que celle punissant son complice. Mais ni l’« euthanasie » ni le « suicide assisté » n’étant des infractions, il n’y pas lieu de « dépénaliser » ces comportements puisqu’ils ne sont pas visés par le code pénal.
En revanche, si l’accès à l’« aide active à mourir » dans ses deux volets ou dans un seul d’entre eux était autorisé par la loi, le médecin aurait la permission d’accomplir les actes nécessaires à leur réalisation. La réprobation qui s’attache aux « atteintes volontaires à l’intégrité de la personne » que sont notamment les crimes de meurtre et d’empoisonnement serait maintenue, puisqu’ils ne cesseraient pas d’être des infractions, sachant que le médecin qui effectue ces différents actes devrait, pour ne pas se voir reprocher ces infractions, respecter les conditions fixées par cette loi.Sa responsabilité pénale serait écartée sur le fondement de l’article 122-4 al. 1 du code pénal qui précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives … ». Si cette irresponsabilité pénale est reconnue aux médecins depuis le XIX° siècle pour les atteintes à l’intégrité physique portées au patient, c’est parce que leur profession est investie de la fonction de soigner les malades, le geste entrepris devant l’être dans un but thérapeutique, qualification dont ils ont la maîtrise. Si la légitimité de l’« aide active à mourir » était admise, la loi qui s’en suivrait donnerait à la personne la possibilité d’en faire la demande auprès des médecins. Aussi peut-on augurer que les conditions fixées pour mettre fin à la vie d’une personne seraient particulièrement drastiques du fait de l’élargissement du champ traditionnel de l’activité médicale à des actes que nombre d’entre eux considèrent comme contraires à leur fonction.