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Alzheimer : entre protection de la personne et respect de sa liberté
"Doit-on protéger au risque d’entraver ? Doit-on laisser sans soins celui qui du fait d’une démence ou d’un trouble psychiatrique s’y oppose ? Doit-on laisser libre d’errer celui qui déambule ou le maintenir en contention ? Peut-on et doit-on consentir pour autrui quand celui-ci n’est plus capable de discernement?"
Par: Véronique Lefebvre des Noettes, Psychiatre du sujet âgé, docteure en philosophie pratique et éthique médicale /
Publié le : 28 Septembre 2015
Robert, 82 ans, vient d’être retrouvé en pyjama en Vendée grâce à son bracelet d’indentification, tambourinant sur la porte de « sa » maison, lui qui vivait depuis quelques semaines dans une institution en région parisienne pour patient déambulant atteint de la maladie d’Alzheimer. C’était la maison de son enfance et malgré ses troubles cognitifs évolués il avait su mobiliser toutes ses ressources pour se retrouver « chez lui ».
Et à la maison qu’en est-il ? « Vous savez maman se perd même chez elle, le soir elle sort chercher ses enfants à l’école, je dois l’enfermer, je suis très inquiète » me dit la fille d’une patiente suivi en consultation mémoire. La maladie d’Alzheimer peut, dans ses formes évoluées, être accompagnée de comportements troublés, de déambulations, de risques d’errances. Cela va modifier la donne familiale et sociétale pour maintenir le plus longtemps possible ces personnes chez elles.
Mais quand la perte d’autonomie compromet le maintien au domicile, alors se pose la question, et souvent bien trop tard, de l’accueil en maison de retraite.
« Je veux pas y aller, jamais, là-bas ils maltraitent les vieux… je vois bien… je suis de trop, je veux pas coûter, alors le Père Lachaise… c’est mieux. Oui c’est mieux ; là au moins on sait où on va » (Albertine, 92 ans). Qu’en est-il alors du refus de soins, de l’entrée en EHPAD[1] et de la privation de la liberté d’aller et venir dans les institutions gériatriques et médico-sociales ?
Toutes ces situations d’un point de vue soignant ne peuvent être assumées en dehors d’une réflexion éthique qui doit être source de questionnement et du juste équilibre entre affirmation de l’autonomie, consentement aux soins et protection des plus vulnérables.
Doit-on protéger au risque d’entraver ? Doit-on laisser sans soins celui qui du fait d’une démence ou d’un trouble psychiatrique s’y oppose ? Doit-on laisser libre d’errer celui qui déambule ou le maintenir en contention ? Peut-on et doit-on consentir pour autrui quand celui-ci n’est plus capable de discernement?
Pourquoi limiter la liberté d’aller et venir ? Mais bien sûr pour protéger… D’ailleurs ces unités sont dites « protégées »… Mais de quoi et de qui ?… Entre protéger et contenir, quelle place pour une éthique du soin ? Souvenons-nous que « pro-tegere », c’est, étymologiquement, « abriter devant ». On a devant les yeux l’image du bouclier qui protège de l’adversaire. La protection se rapporte à l'action de protéger, de défendre un objet ou un être vivant, c'est-à-dire de veiller à ce qu’il ne lui arrive point de mal ; c’est considérer tout ce qui tourne autour de la vulnérabilité.
Le terme "contention" est emprunté au latin classique "contentio" : tension, effort, lutte, conflit, rivalité, et de "contenderre" qui signifie « lutter ». Nous retrouvons dans l’étymologie du mot une connotation plutôt négative et aussi la notion de limite.
Avons-nous le droit de soumettre à une contention, que ce soit physiquement, architecturalement, médicalement, pour protéger ? Entre droit, respect fondamental des libertés, et devoir de protéger les plus vulnérables où placer le curseur ?
Les dispositions d’anticipation prévues par la législation doivent être une aide à la décision dans un souci de recueil du consentement du patient même altéré par la maladie. Il s’agit de la personne de confiance, du mandat de protection futur, des directives anticipées et bien sur des mesures de protections juridiques comme la curatelle ou la tutelle dans le cadre de la loi du 5 mars 2007.
À la suite de décès, début 2013, de personnes âgées ayant quitté leur chambre ou leur établissement à l'insu des équipes, la ministre délégués aux Personnes âgées et à l'autonomie a conduit des travaux sur la géolocalisation. Ces dispositifs de géolocalisation ne doivent pas « se substituer aux relations, à la présence humaine et à un accompagnement professionnel adapté »,.
D’autres pistes sont en préparation dans le cadre de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Dans l’article 22, la liberté d’aller et venir est réaffirméé au rang des droits et libertés garantis aux personnes accueillies en EHPAD[2] et comme l’un des fondements d’une prise en charge de qualité favorisant l’autonomie.
Confrontées à des situations de vulnérabilité et de dépendance, la médecine et la justice sont convoquées dans leur faculté de sollicitude, d’assistance, de conseil, de protection à la fois de la personne et de la collectivité.
Si le respect des choix du patient est capital et incontournable, il ne doit pas occulter le fait que respecter son refus d’un traitement ou d’une entrée en institution sans décrypter ce qui l’a amené à dire non, serait l’abandonner. Car le refus est un signal d’alarme qui nous pousse dans nos propres limites. Il nous permet de nous remettre en question d’oser des ponts, des réflexions éthiques, des regards croisés entre le monde de la santé et nos responsabilités dans la cité.