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Au temps du confinement… Autour de témoignages de personnes atteintes par Alzheimer

Par: Judith Mollard-Palacios, Experte psychologue, Union France Alzheimer /

Publié le : 25 Mai 2020

Liberté ou double enfermement

« Moi je suis dans un moment présent magnifique, je m’autorise même une heure de sortie seule dans ce silence sourd tellement différent où les oiseaux ont récupéré leurs droits. Je me demande ce qu’il doivent se dire de ce paysage invisible et inconnu d’êtres humains courants dans tous les sens, effrayants, comme je le suis moi aussi. » écrit Marie, vivant avec une maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années, après quelques semaines de confinement.
Elle dit là son contentement à rencontrer un monde qui subitement s’est mis à son rythme, qui ne la renvoie pas sans cesse à sa différence, qui a suspendu ses exigences de rentabilité en arrêtant sa course folle et qui lui permet, à nouveau, d’être au diapason d’un univers au ralenti.
Elle tire plaisir de ce temps suspendu, partagé avec l’ensemble de la population, qui momentanément interrompt l’évolutivité de la maladie, arrête l’écoulement du sablier.
Un monde qui ne vient plus lui rappeler sa lenteur, son inefficacité ou son inutilité. Elle partage enfin le destin de tous, celui d’un moment d’arrêt qui nous convoque au présent et nous invite à la contemplation de la nature.
La solitude dit-elle « je n’en souffre absolument pas. Mon regard à moi sur tout ce qui se passe actuellement, j’ai presque honte de l’avouer n’est pas le même que le votre, je l’oublie très vite ».
Oubliés le nombre de morts chaque jour, la pénurie de matériel de protection, les services de réanimation à bout de souffle, les répercussions économiques …, il reste la jouissance de ce calme et de l’instant présent.

A contrario Michelle évoque, elle, la façon dont, par moment, la peur collective de ce présent teinté du danger de la maladie vient résonner avec la peur qui l’habite de l’inéluctable qui va se produire depuis qu’on lui a diagnostiqué une maladie neuro-évolutive.
Elle témoigne de l’impression d’un double enfermement, celui de la maladie qui l’habite depuis plusieurs mois comme celui qui l’empêche de se déplacer sans risque dans un Paris vide de ses mouvements de vie habituels.
Cela convoque chez elle des images de fin du monde qui exacerbe son sentiment d’insécurité face au caractère évolutif de la maladie qui l’affecte, qui résonne avec sa temporalité déjà marquée par la finitude.
Son corps déjà empêché, entravé par le symptôme moteur est en écho du corps social qui ne peut plus jouir de sa liberté d’aller et venir, stoppé dans sa trajectoire effrénée.

Comme nous l’avons vu au travers des témoignages de Marie et de Michèle, la situation actuelle, inédite, à laquelle personne ne s’était préparée résonne chez chacun d’une façon singulière.
C’est que nous ne sommes jamais préparés au trauma, à ce qui nous tombe dessus, à quoi précisément nous ne sommes pas du tout prêt.
Situation impensable qui peut, à l’instar de Michelle, figer, immobiliser, nos processus de pensée notamment dans un contexte où justement le mouvement physique est plus que limité et nous entraîne dans des agitations mortifères.
 

Nous pouvons nous sentir acculés aux confins de notre territoire, à son extrême limite. L’expérience de cette pandémie nous ramène brutalement à ce qui structure la condition humaine, à savoir la mort qu’en temps ordinaire nos sociétés occidentales tentent vainement d’escamoter. Ainsi, nous voila confrontés collectivement à la limite réelle de la vie que Michelle affronte depuis le début de sa maladie.

Nous pouvons nous sentir acculés aux confins de notre territoire, à son extrême limite. L’expérience de cette pandémie nous ramène brutalement à ce qui structure la condition humaine, à savoir la mort qu’en temps ordinaire nos sociétés occidentales tentent vainement d’escamoter. Ainsi, nous voila confrontés collectivement à la limite réelle de la vie que Michelle affronte depuis le début de sa maladie.

Pourtant cette limite, si elle contraint, peut aussi contenir, être dépassée, ou plus précisément sublimée, en nous invitant à l’exemple de Marie, à effectuer ce pas de coté poétique, qui l’espace d’une promenade lui aura permis de se réconcilier avec sa condition, non pas de malade d’Alzheimer, mais de femme inscrite dans un monde où il lui semble à cet instant qu’elle a sa place.

Michelle évoque aussi la difficulté du vivre à deux quand elle sent, dans l’espace confiné, la distance relationnelle que son conjoint tente de tenir. Elle sait son besoin de l’autre depuis que la maladie est venue agresser son autonomie fonctionnelle et psychique et ce que cela en coûte à son conjoint.
La personne, dans l’évolution de sa maladie, n’est plus en mesure de compter sur elle-même comme autrefois, son besoin de repères et de réassurance croissant et sa capacité à être seule devient difficile voire impossible. Ce qui entraîne une demande de plus en plus grande vis à vis des proches familiaux et renforce les relations d’interdépendance.
Le risque, en temps de confinement, est d’augmenter plus encore le huis clos familial que peut vivre le couple dans un contexte de maladie neuro-évolutive. Un enfermement à deux au domicile qui ne sera plus rompu, pendant plusieurs semaines, par les accompagnements extérieurs et qui risque d’augmenter fortement la tension quand les échappées ne sont plus autorisées, quand il n’y a plus la possibilité d’introduire des tiers séparateurs.
A l’inverse, en EPHAD où les corps sont également empêchés, empêchés de se rencontrer du fait des mesures barrière, il advient une majoration des angoisses d’abandon, une impossibilité de symboliser la séparation, une agitation anxieuse et désordonnée que le corps soignant a bien du mal à contenir.