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Autorisation du lecanemab par la FDA, une nouvelle ère dans la lutte contre les maladies neurodégénératives ?
Le 6 janvier dernier, la Food and Drug Administration (FDA, l'organisme qui décide de la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis) a autorisé la mise sur le marché américain du lecanemab, un médicament censé lutter contre la maladie d'Alzheimer. Cette actualité détonne dans un champ où les échecs ont été nombreux au cours des vingt dernières années. Peut-on dans le cas présent parler d'un pas en avant pour la recherche, alors que la précédente autorisation semblable en 2021, qui portait sur l'adecanumab, avait été entachée par un manque de transparence et une absence de données solides venant confirmer l'efficacité clinique [1] ?
Par: Vincent Israel-Jost, Chercheur en épistémologie, Laboratoire d'Excellence DistAlz, CESP / Espace éthique IDF /
Publié le : 15 Mai 2023
De quoi s'agit-il ?
L'immunothérapie est une stratégie thérapeutique qui a été à l'origine d'importants succès en cancérologie et qui est très étudiée actuellement contre la maladie d'Alzheimer. Ainsi, plusieurs immunothérapies anti-amyloïde-ß font ou ont fait l'objet d'études (outre l'adecanumab, le donanemab ou encore le masitinib parmi d'autres [2]), avec pour l'instant des résultats décevants. À mesure que les essais ont été poursuivis dans cette voie, il est notamment apparu qu'il était crucial, d'une part de cibler des patients présentant véritablement les lésions typiques de la maladie d'Alzheimer, d'autre part, de les recruter à un stade précoce de la maladie. Pour ces sujets, les laboratoires Biogen et Eisai ont pu annoncer par un communiqué de presse datant du 28 septembre 2022 une réduction du déclin cognitif après 18 mois de traitement [3]. Des détails supplémentaires ont été apportés par la suite dans une communication au Congrès des Essais Cliniques Alzheimer (Clinical Trials on Alzheimer’s Congress (CTAD)) le 29 novembre 2022 et dans un article paru dans le New England Journal of Medicine, et accessible le même jour [4].
L'étude Clarity AD incluait 1795 participants répartis en deux groupes de tailles égales, l'un prenant le médicament et l'autre un placebo. Ni les patients, ni les soignants ne savaient qui était dans quel groupe (on parle d'une étude en double aveugle), et ces participants ont été recrutés dans plusieurs pays, dont la France (on parle d'une étude multi-centrique). Il y a donc d'ores et déjà des personnes en France qui sont concernées par les questions relatives à ce nouveau médicament, ce qui renforce aussi l'attente quant au dossier d'autorisation de mise sur le marché qui a déjà été déposé en Europe.

De quels résultats dispose-t-on à ce jour ?
Les conclusions rendues par l'étude Clarity AD indiquent une efficacité sur plusieurs plans différents, ce qui demande quelques éclaircissements. Tout d'abord, comme cela a été rappelé plus haut, il s'agit fondamentalement d'un traitement anti-amyloïde ß, une cible dont on a pu mesurer la diminution : après 18 mois de traitement, alors que les participants sous placebo ont un niveau d'amyloïde en légère augmentation, celui des participants traités décroît fortement dès le troisième mois pour atteindre des valeurs normales après 18 mois. Mais si la diminution des plaques amyloïde est le mécanisme par lequel ce traitement agit, ce n'en est pas moins qu'un critère secondaire dans l'étude Clarity AD. Et pour cause, bien que plusieurs traitements aient pu montrer jusqu'ici une efficacité sur l'amyloïde, cela ne s'est pas encore traduit par une amélioration sur le plan clinique.C'est donc sur ce deuxième plan clinique que réside véritablement ce qui est considéré comme une percée de manière à peu près unanime : on n'observe certes pas d'amélioration de l'état clinique, cognitif ou fonctionnel mais au moins un ralentissement du déclin mesuré par la Clinical Dementia Rating Scale (CDR, une échelle à 18 points sur laquelle un score élevé indique des problèmes cognitifs plus sérieux). Ainsi, tandis que les participants sous placebo ont vu leur score augmenter en moyenne de 1,66 point, le score de ceux qui étaient traités au lecanemab n'augmentait que de 1,21 point, soit une différence nette de 0,45 point sur 18 mois. En proportion, cela donne une diminution du déclin cognitif mesurée en moyenne à 27%, ce qui est suffisant pour parler d'un effet incontestable, même s'il est modeste et difficilement observable. On parle aussi d'un effet « significatif », mot qu'il faut comprendre au sens statistique du terme : la différence est suffisamment élevée pour ne pas être due au hasard, c'est bien le médicament qui a agi. C'est cet aspect là qui est accueilli avec enthousiasme par un certain nombre de médecins et chercheurs du domaine : on a, pour la première fois, une preuve d'effet d'un traitement ciblant l'amyloïde qui se traduit par une amélioration sur le plan clinique.
Par rapport à l'aducanumab dont les résultats avaient été pour le moins controversés et la décision de la FDA difficilement compréhensible, l'étude et les données qui ont été publiées sont généralement reçues comme étant de bonne qualité et dignes de confiance. Il reste que l'efficacité clinique du traitement est encore modeste. On l'a dit, il ne s'agit que d'un ralentissement du déclin de 27% après 18 mois, et si cette différence est « significative » sur le plan statistique, elle ne l'est pas véritablement cliniquement. Autrement dit, on a pu mesurer un effet statistique mais d'une ampleur telle qu'il serait indétectable au plan individuel. On estime en effet qu'il faudrait une différence d'environ un point sur l'échelle CDR pour avoir une différence clinique vraiment appréciable [5]. Reste que ces résultats sont encourageants et suscitent beaucoup de curiosité quant aux résultats qui seront obtenus dans les mois et années à venir car si l'effet du lecanemab se renforçait avec le temps des différences plus importantes pourraient alors être faites.
Notons cependant qu'à ce jour, le lecanemab ne peut être considéré avec certitude comme un traitement même à effet modeste contre la maladie d'Alzheimer puisqu'il ne fait pas de différence appréciable sur le plan clinique. Plusieurs scénarios sont à envisager : l'effet du traitement pourrait plafonner autour de 0,5 points sur l'échelle CDR mais il se pourrait aussi que le ralentissement du déclin cognitif se poursuive sur un rythme semblable, soit encore 27% dans les 18 mois suivants, auquel cas il commencerait à créer une différence intéressante pour les patients. Ainsi, malgré le signal tout à fait encourageant, certains demandent encore du temps pour savoir si l'effet du lecanemab se renforcera et refusent pour le moment de parler d'un médicament agissant contre la maladie d'Alzheimer [6].
En ce qui concerne la sécurité du lecanumab, ce traitement demande des précautions car les anti-amyloïdes peuvent provoquer des micro-hémorragies. Les chiffres plutôt rassurants avancés dans la publication des données de l'étude (14% d'effets indésirables graves chez les patients sous lecanemab, dont les plus fréquents sont réactions aux perfusions intraveineuses, un gonflement cérébral ou des saignements cérébraux appelés anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde, ou ARIA, contre 11,3% dans le groupe placebo) sont encore à consolider dans la durée. Malgré la proportion limitée d'œdèmes et d'hémorragies chez les patients traités, les formes graves demeurent un sujet de préoccupation important, surtout quand on les met en regard d'un bénéfice encore très limité (balance bénéfice/risque, avec au moins trois décès avérés au cours de l'essai).
Enfin, le coût global de ce traitement est important. Bien qu'amené à décroître, celui du médicament proprement dit demeure très élevé à environ 25 000 US$ par année de traitement et par patient. En outre, son mode d'administration et le suivi rigoureux qu'il nécessite sont également coûteux et requièrent des infrastructures qui sont, même dans les pays les plus développés, encore insuffisamment répandues au regard du nombre de patients concernés (imagerie TEP permettant de déterminer l'éligibilité au traitement, personnel dans les centres mémoire pour administrer une perfusion bi-hebdomadaire et IRM réguliers pour détecter d'éventuels problèmes tels que les gonflements ou saignements cérébraux [7]). Il est donc encore prématuré de penser au lecanemab comme une solution de grande ampleur, même aux États-Unis maintenant qu'il va être mis sur le marché.
Reste que ces résultats sont encourageants et suscitent beaucoup de curiosité quant aux résultats qui seront obtenus dans les mois et années à venir car si l'effet du lecanemab se renforçait avec le temps des différences plus importantes pourraient alors être faites.
Des avancées sur le plan de la connaissance de la maladie ? Perspectives
Au fondement de la stratégie thérapeutique de cette immunothérapie se trouve l'idée que l'élimination de l'amyloïde ß enrayerait la progression de la maladie. Cette stratégie découle de l'hypothèse théorique dominante dans la recherche sur la maladie d'Alzheimer, dite de la « cascade amyloïde », selon laquelle non seulement l'amyloïde ß serait à l'origine de lésions caractéristiques de la maladie d'Alzheimer, les dépôts amyloïde, mais ces plaques seraient elles-mêmes causes des autres lésions, les dégénérescences neurofibrillaires de la protéïne tau, puis de l'altération de communication entre les neurones qui entraîne leur dégénérescence et leur mort. Pour dominante qu'elle soit, cette hypothèse a aussi été fragilisée par les échecs de presque tous les essais cliniques portant sur des traitements anti-amyloïde, au point que des voix commencent à s'élever contre elle [8]. On peut dès lors poser la question : Ce résultat légèrement positif du lecanemab nous apprend-il quelque chose sur les mécanismes de la maladie ? Confirme-t-il ou du moins permet-il de redonner du crédit à l'hypothèse de la cascade amyloïde ?Nous ne pouvons apporter qu'une réponse mitigée à cette question. Si le ton adopté aujourd'hui est plutôt optimiste pour parler du lecanemab comme du premier traitement semblant agir sur les mécanismes de la maladie d'Alzheimer (ce qui irait dans le sens d'une confirmation de l'hypothèse de la cascade amyloïde), son efficacité à la fois très limitée sur le plan clinique et encore incertaine sur le temps long rendent pour le moment impossible toute conclusion. Les lignes n'ont donc pas beaucoup bougé sur cette question-là et les mois et les années qui suivent apporteront donc non seulement des précisions sur les effets du traitement au long cours, mais aussi possiblement une meilleure compréhension de la maladie d'Alzheimer et du rôle de cette hypothèse qui concentre beaucoup des efforts de recherche.
Enfin, même si de futurs résultats viennent démontrer que l'effet se renforce avec le temps jusqu'à devenir cliniquement significatif, il faudra probablement considérer cela comme une première étape vers l'élaboration de traitements protéiformes plus efficaces. Comme le rappelle un article du Guardian [9], la situation actuelle évoque celle de la crise du VIH dans les années 1980 : même si le premier traitement était loin d'être idéal, il a contribué à tracer la route vers des thérapies autrement efficaces. Concluons donc avec ces mots du Professeur Bart de Strooper, directeur de l'Institut de recherche sur la démence du Royaume-Uni à Londres (University College), tirés de cet article : « Lorsque vous avez une première percée, c'est la fissure dans la digue qui aboutit à un trou plus grand ». Chaque maladie a ses spécificités et sa propre histoire et l'avenir dira si les résultats encourageants obtenus actuellement occasionneront dans le champ Alzheimer des avancées d'un même niveau que celles qui eurent lieu dans le champ du SIDA à l'époque. Pour le moment, compte tenu des incertitudes encore nombreuses, il demeure important de veiller à ce que le discours sur ce médicament, qu'il émane des laboratoires qui le produisent, des scientifiques ou des media, reste tempéré, et que l'on n'oublie pas les autres leviers d'action sur la maladie : agir sur les facteurs de risque modifiables tels que l'hypertension, le diabète ou l'isolement social et maintenir un cerveau sain durant toute sa vie [10].
Références
[1] N. Villain, « Aducanumab : épisode VIII, le refus de l’EMA, » site de la Fédération des Centres Mémoire (publié en ligne le 23/12/2021).
https://www.centres-memoire.fr/aducanumab-episode-viii-le-refus-de-lema/
[2] « Médicaments contre Alzheimer, où en est-on ? », site de la Fondation Recherche Alzheimer, 1/02/2022.
https://alzheimer-recherche.org/18298/medicaments-contre-alzheimer-ou-en-est-on/
[3] Communiqué de presse conjoint de Eisai et Biogen, « LECANEMAB confirmatory Phase 3 Clarity Ad Study met primary endpoint, showing highly statistically significant reduction of clinical decline in large global clinical study of 1,795 participants with early Alzheimer’s disease », 28/09/2022, https://www.eisai.com/news/2022/pdf/enews202271pdf.pdf
[4] C.H. van Dyck et al. « Lecanemab in Early Alzheimer Disease,» New England Journal of Medicine, 388(1), 9-21, 2023 (publié en ligne le 29/11/2022).
[5] J Scott Andrews et al. « Disease severity and minimal clinically important differences in clinical outcome assessments for Alzheimer's disease clinical trials,» Alzheimer's and Dementia (N Y), 5, 354-363, 2019.
[6] « No Easy Answers on Clinical Meaningfulness of Alzheimer’s Treatments » sur le site AlzForum.org. L'article est suivi de commentaires de nombreux chercheurs du domaine parmi lesquels la contribution de Nicolas Villain, qui met l'accent sur les incertitudes encore nombreuses.
[7] « Lecanemab for Alzheimer's Disease: Tempering Hype and Hope » Éditorial du Lancet, 400, 03/12/2022.
[8] T. Daly, K. Herrup, A. J. Espay, « An Ethical Argument for
Ending Human Trials of Amyloid-Lowering Therapies in Alzheimer’s Disease, » AJOB Neuroscience, 2022.
[9] « ‘This looks like the real deal’: are we inching closer to a treatment for Alzheimer’s? » The Guardian 22/11/2022.
[10] « Cinq facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer, » site de la Fondation Vaincre Alzheimer, 27/02/2019.
https://www.vaincrealzheimer.org/2019/02/27/facteurs-de-risque/