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Chambres mortuaires : Prendre soin des morts et des endeuillés

La professionnalisation des personnels des chambres mortuaires et leur rattachement aux Directions des soins et des activités paramédicales ont légitimé l’importance de la prise en soin du patient décédé et de l’accompagnement de ses proches. Pour chaque patient et famille accueillis se dessine une histoire de vie unique à prendre en compte sans jugements de valeurs.

Par: Yannick Tolila Huet, Cadre de santé - Chambres mortuaire des Hôpitaux Bichat-Claude Bernard et Beaujon, AP-HP, Présidente de la Collégiale des Professionnels de Chambres mortuaires / Samuel Murot, FF Cadre de santé – Chambres mortuaires Henri Mondor et Albert Chenevier, Vice-président de la Collégiale des Professionnels de Chambres mortuaires, AP-HP Hôpitaux universitaires Henri-Mondor /

Publié le : 17 Juillet 2023

En 2022, sur l’ensemble du territoire national, 660000 décès ont été recensés (décès survenus au domicile, dans un établissement de soins ou sur la voie publique…) dont plus de 19000 décès à l’AP-HP. Ils concernent tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles.
La mort est aujourd’hui médicalisée, tout comme les naissances ; de nombreux secteurs hospitaliers s’articulent autour de l’activité mortuaire : soins palliatifs, coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus, anatomie pathologie, fœtopathologie, état civil, frais de séjour, admissions, régie principale, blocs opératoires, l’ensemble des Directions, sans oublier les chambres mortuaires. 
A ce jour, 83 professionnels ont fait le choix d’exercer au sein des chambres mortuaires de l’AP-HP ; ils ont pour mission de prendre soin de l’ensemble des patients décédés, adultes, enfants, nourrissons  déclarés sans vie à l’état civil mais ils prennent également soin des familles endeuillées. Les chambres mortuaires permettent aux familles et aux proches de pouvoir se recueillir et de disposer du temps nécessaire à l’organisation des obsèques. 

Durant la récente crise sanitaire liée à la Covid-19, l’ensemble des personnels hospitaliers ont fait des prouesses afin d’assurer la continuité des soins. Les chambres mortuaires, véritables services de soins, (la majorité des personnels travaillant en chambre mortuaire sont issues de la filière soignante) ont su adapter leurs pratiques aux recommandations sanitaires mises en place par le HCSP et gérer l’afflux de décès (10% sur une période de 3 mois).  La particularité de la mise en housse obligatoire des défunts décédés de la Covid 19 ne permettait pas aux agents de chambres mortuaires de dispenser les soins post mortem habituels, de mettre à la disposition des représentants de cultes les corps pour la réalisation des toilettes religieuses, ni d’assurer les présentations aux familles.
Avec la Collégiale des Professionnels des Chambres Mortuaires de l’AP-HP, réseau de professionnels investis fondée en 2010 et force de propositions, nous avons créé et mis en place des outils et des collaborations qui ont appuyé notre expertise dans le domaine du mortuaire et concrétisé tout le travail accompli dans nos services de soins :
  • Création d’une charte éthique des soignants de chambre mortuaire en lien avec l’Espace éthique Ile-de-France (disponible à cette adresse)
  • Mise en place de groupes d’analyse des pratiques professionnelles en chambre mortuaire inter hospitalier
  • Collaboration avec tous les services dont une attention particulière portée aux soins palliatifs et aux équipes de coordination de prélèvement d’organes et de tissus
  • Centralisation des informations et des propositions d’actions communes à l’ensemble des métiers de l’activité mortuaire
  • Elaboration et proposition de protocoles relatifs à la continuité des soins après la mort et à l’accompagnement des proches
  • Réflexion sur les situations abandonniques en chambre mortuaire
  • Réflexion sur la place de la mort à l’hôpital et dans notre société
  • Obtention du « label hospitalité » pour la majorité des chambres mortuaires
C’est également dans ce souci permanent d’aider les proches et de prendre correctement soins de nos patients décédés que nous réactualisons régulièrement et mettons à disposition « un livret d’information pour les familles venant de perdre un proche », la liste des opérateurs funéraires du département, la « Fiche de liaison : unités d’hospitalisation – chambre mortuaire », la liste des représentants des cultes, la « Charte des agents de chambre mortuaires », les coordonnées des représentants des usagers de l’établissement, un livret sur le deuil et une liste des formalités à accomplir après décès.

Nous accueillons de plus en plus de stagiaires : infirmières diplômées d’État, aides-soignantes, médecins, élèves directeurs, magistrats... Cependant les responsables des chambres mortuaires constatent que cette activité hospitalière reste méconnue malgré l’augmentation constante de décès. Aujourd’hui encore c’est une thématique qui n’est pas assez enseignée dans le cadre de la formation initiale des futurs professionnels de santé (IFAS, IFSI et facultés de médecine) alors que des sujets d’actualité comme le don d’organe et le suicide assisté sont régulièrement abordés par les médias.
La professionnalisation des personnels des chambres mortuaires et leur rattachement aux Directions des soins et des activités paramédicales ont légitimé l’importance de la prise en soin du patient décédé et de l’accompagnement de ses proches. Pour chaque patient et famille accueillis se dessine une histoire de vie unique à prendre en compte sans jugements de valeurs. De plus en plus on vient mourir à l’hôpital parce que la fin de vie est compliquée à prendre en charge au domicile. On demande en effet à l’aidant naturel une implication importante dans les thérapeutiques de soulagement et ces derniers ne sont pas souvent prêts. L’hôpital devient un lieu où non seulement on soigne les vivants, où il est rassurant de mourir mais également où l’on soigne les morts.
Le service de soins de la chambre mortuaire, comme aiment à évoquer ceux qui y travaillent, est un véritable lieu de vie. C’est en ouvrant les portes et en brisant les tabous, les craintes et les peurs que les professionnels des chambres mortuaires pourront faire prendre conscience à tous les soignants mais également aux usagers que le travail qui y est accompli est une continuité des soins apportés aux vivants avec un savoir-faire et un savoir-être indéniable. Un endroit unique et indispensable au parcours de soins du patient où la construction du souvenir peut commencer.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie