Parmi les pratiques sédatives en fin de vie, on distingue la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès des sédations dites « proportionnées ». Avec les sédations proportionnées, les médicaments sédatifs utilisés ont pour objectif de soulager une souffrance objectivée. Avec la sédation profonde et continue, ils ont pour objectif de plonger le patient dans un coma profond (Richmond Agitation-Sedation Scale -5), l’intention sous-jacente étant de le soulager d’une souffrance réelle, ou d’une souffrance potentielle dans les situations où la souffrance du patient ne peut être évaluée à cause de son état clinique cérébral (articles L 1110-5-2 et R 4127-37-3 du code de santé publique)(4,5). En théorie, le cadre légal est clair : dans le cas où un médecin arrête une thérapeutique de maintien en vie, comme la ventilation artificielle, il applique aussi une sédation profonde et continue (sauf si le patient s’y était opposé dans ses directives anticipées), associée à une analgésie, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état. Il s’agit d’un droit des patients en fin de vie. En pratique, l’ajustement de ce cadre à la réalité des situations singulières rencontrées en réanimation continue de questionner six ans après la loi Claeys-Leonetti. Ainsi, lorsqu’un médecin arrête une thérapeutique de maintien en vie, doit-il mettre en œuvre systématiquement une sédation profonde et continue « préventive » pour éviter toute souffrance réelle ou potentielle comme le recommande le cadre légal ? Ou doit-il, en s’autorisant à sortir du cadre, privilégier une attitude proportionnée « curative » en réaction à la survenue d’une souffrance réelle ? Lorsqu’un médecin arrête une thérapeutique de maintien en vie chez une personne présentant un état comateux en lien avec sa pathologie, est-ce éthiquement acceptable de ne pas mettre en place de sédation profonde et continue au motif qu’elle ne pourrait pas ressentir de souffrance physique ou psychique ?
La sédation profonde et continue reste une pratique controversée pour certains soignants qui argumentent d’une frontière ténue entre cette pratique sédative et l’euthanasie. Lorsqu’un médecin retire un dispositif de réanimation comme la ventilation mécanique sous sédation profonde et continue, alors que le patient était maintenu artificiellement en vie par ce dispositif, ce retrait s’accompagne du décès à court terme, avec une temporalité non maitrisée. L’intention d’associer une sédation profonde et continue au retrait de ce dispositif n’est pourtant pas de le « faire mourir » dans une temporalité maitrisée, comme c’est le cas lors de l’injection d’un médicament à dose létale, mais bien de le « laisser mourir » en lui évitant toute souffrance réelle ou potentielle alors qu’il n’y a pas d’autres issue que la mort. La mort est bien la conséquence de la situation clinique du patient ayant conduit à la qualification de l’obstination déraisonnable, le fruit d’une décision prise dans l’intérêt du patient. La frontière entre l’arrêt des thérapeutiques sous sédation profonde et continue et l’euthanasie est donc claire et essentielle pour que cette pratique puisse être éthiquement acceptable par les soignants impliqués.
Les soignants de réanimation se sont progressivement appropriés le cadre réglementaire relatif aux droits des personnes en fin de vie. Des stratégies de sensibilisation et de formation des soignants à la sédation profonde et continue méritent très certainement d’être encore développées. Dans tous les cas, le cadre actuel, ni aucun cadre législatif d’ailleurs, ne pourra répondre à la complexité de chaque situation singulière marquée par une multitude d’inconnues, d’incertitudes et de facteurs humains. Il ne pourra jamais aller au-delà de sa vocation juridique : mettre de la mesure dans la démesure de l’éthique !
Références
1. Sprung CL, Ricou B, Hartog CS, Maia P, Mentzelopoulos SD, Weiss M, et al. Changes in End-of-Life Practices in European Intensive Care Units From 1999 to 2016. JAMA. 2 oct 2019;1‑12.2. Le Dorze M, Kandelman S, Veber B, SFAR’s Ethics Committee. End-of-life care in the French ICU: Impact of Claeys-Leonetti law on decision to withhold or withdraw life-supportive therapy. Anaesth Crit Care Pain Med. déc 2019;38(6):569‑70.
3. Antalgie des douleurs rebelles et pratiques sédatives chez l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situations palliatives jusqu’en fin de vie [Internet]. Haute Autorité de Santé. [cité 16 janv 2023]. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/jcms/p_3150631/fr/antalgie-des-douleurs-rebelles-et-pratiques-sedatives-chez-l-adulte-prise-en-charge-medicamenteuse-en-situations-palliatives-jusqu-en-fin-de-vie
4. Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? [Internet]. Haute Autorité de Santé. [cité 27 janv 2020]. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/jcms/c_2832000/fr/comment-mettre-en-oeuvre-une-sedation-profonde-et-continue-maintenue-jusqu-au-deces
5. Le Dorze M, Kandelman S, Veber B, SFAR Ethics Committee. Deep continuous sedation maintained until death, in French Intensive Care Units. Anaesth Crit Care Pain Med. 26 juill 2019;