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Conseils d'une personne vivant avec un handicap aux futurs auxiliaires de vie

"Il est donc important que vous puissiez développer vos points de vue, au-delà de ce que la formation peut vous dicter. Et ainsi, être capables d’individualiser l’accompagnement de chacun, Clairement, je me plains d’avoir des aides de vie qui ne sont pas assez formées et informées, mais celles qui ne voient que par le formatage ne me correspondent pas non plus. Si je vous fais partir dix minutes en retard, et au-delà du fait d’avoir parfaitement conscience que le temps vous est compté, ce n’est pas que je profite de vous. C’est simplement que mes besoins n’ont pas tous été comblés pour que je puisse passer le reste de ma journée de manière indépendante et sereine."

Par: Félicie Gatinet-Pénau, Écrivain, personne vivant avec un handicap /

Publié le : 24 Septembre 2020

Intervention donnée dans le cadre d'une sensibilisation au handicap auprès des écoles d’auxiliaires de vie.

Bonjour à tous,
Je m’appelle Félicie, j’ai 35 ans. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour vous témoigner de mon expérience de personne aidée à domicile, mais également pour vous apporter mon expertise sur certains points. J’entends souvent parler des situations éprouvantes qu’engendre le métier d’aidant. Ce qui en soit est une réalité dont je suis complètement consciente. Mais qu’en est-il de l’énergie déployée des personnes aidées, et particulièrement de celles en situation de handicap physique, pour faire respecter chez elles leur autonomie, leurs choix et leurs valeurs ?

Pour mieux comprendre toute cette complexité, je crois qu’il importe de revenir brièvement sur mon parcours.
J’ai passé toute mon enfance dans des centres de rééducation où j’ai pu, tant bien que mal, suivre une scolarité des plus ordinaires possible. Pour plusieurs raisons, j’ai dû également, pendant toutes ces années, être placée en internats, où les choses n’étaient pas forcément toujours faciles à vivre. En effet, ce n’est pas parce que nous sommes avec des gens qui nous ressemblent, du moins aux yeux de la société, que nous vivons « d’amitié et d’eau fraîche ». Au-delà, notre position de dépendance à l’autre peut pousser certains professionnels à abuser de leur pouvoir. Généralement, ces derniers passent leur carrière dans ce type d’établissements, et ne peuvent concevoir qu’un avenir pour leurs « poulains », est possible. Un avenir de citoyens à part entière, avec des droits et des devoirs . La routine cantonne alors ces praticiens et ces éducateurs, à se persuader du bien fondé de leurs méthodes. Et cela, les autorise à exercer tous les « coups » possibles et imaginables auprès des jeunes, mais aussi, auprès des adultes, qu’ils placent sous leurs diktats. Ces adultes handicapés qui, considérés comme inaptes et assistés, n’auront jamais la chance de connaître la vie, la vraie !
 

La maltraitance invisible

Ici, je fais référence à un établissement par lequel je suis passée. Et même si tous les centres spécialisés n’ont pas ce fonctionnement, je pense que celui-ci est malheureusement bien loin d’être une exception. En ce sens, le manque de dignité, le manque d’intimité, voire le manque de respect, se reflétait totalement à travers l’architecture de cet établissement. Les WC pouvaient être sans porte ou bien à portes battantes, ce qui permettait au professionnels de savoir rapidement si nous avions terminé. Le comble, pour l’avoir vécu, c’était le moment de la douche où nous étions une quinzaine de filles à attendre en rang d’oignon, avec cette nudité que peu d’entre nous ne parvenaient à cacher. Dans une salle de bain de quinze mètres carrés, trois baignoires juchaient, et nous accueillaient par leur nombre, sous l’assistance de cinq éducateurs. Autant vous dire que la toilette était expédiée en deux temps trois mouvements. Sans signes de maltraitance apparents, et même si tout n’était pas négatif, ces souvenirs m’ont laissés des traces tenaces.
Avant cela, j’ai connu un concept rare en France. Un établissement qui, au cœur d’une sphère éducative, et paramédicale : orthophonie, kinésithérapie... offre aux élèves déficients physiquement une scolarité normale, et ceci en y intégrant des élèves valides. Malgré certains aspects à revoir et un encadrement qui, pour moi, a pu se révéler trop laxiste, la démarche reste idéale ; elle permet au jeune qui « va bien », d’aller jusqu’au bout de ses capacités intellectuelles, en se frayant un chemin universitaire. J’ai d’ailleurs toujours un peu regretté d’avoir dû quitter cette école, appelée l’école des miracles.

Vous n’allez pas vous occuper de "votre" personne, ni de "votre petite mamie"(...). Pourquoi le vocabulaire est-il si important ? Parce que celui-ci peut être extrêmement réducteur.

Une vie citoyenne à part entière

Mais ceci ne m’a pas empêché de sortir du monde institutionnel dans lequel j’étais certainement destinée à rester toute ma vie. Et c’est grâce au soutien indéniable de ma famille et à mon envie d’aller de l’avant que j’ai intégré l’Institut du Mai (IDM) à Chinon. Reconnu, non comme une institution, mais comme un centre de formation, l’IDM permet aux personnes handicapées moteurs, souvent lourdement, d’accéder à une autonomie la plus complète possible !

C’est ainsi qu’il y dix ans, j’ai eu le bonheur d’accéder à une vie de citoyenne à part entière, et ce en m’installant chez moi, dans mon appartement adapté. Entre nous, pour rien au monde je ne retournerai dans une institution, et j’espère bien éviter la maison de retraite. Pourtant, et c’est là que nous entrons au cœur de votre métier, la vie à domicile est une lutte quasi-quotidienne. C’est une lutte, parce qu’à partir du moment où l’on dépend physiquement de l’autre, mais que l’on a décidé de rester maître de son quotidien, la relation à cet aidant peut s’avérer extrêmement complexe. Ce, à cause d’une communication et d’une compréhension mal établies ; mais aussi, à cause d’un regard souvent dénaturé de l’aidant sur la personne aidée. Sur ce point, la France considère encore la personne dépendante, qu’elle soit âgée ou handicapée, comme fragile et assistée. Une vision qui ne peut qu’altérer le rapport aidant/aidé. On ne fait pas avec la personne, on fait à la place, ou pour la personne. Pourtant, pour le vivre avec quelques professionnelles , de véritables binômes basés sur une relation naturelle, sincère, et égalitaire, existent !
Ici, permettez-moi de revenir quelques instants, sur la véritable démarche d’autonomie d’un adulte en situation de handicap physique. Je suis en effet, dans l’incapacité d’accomplir un bon nombre de gestes, mais ma pleine conscience me permet d’en décider totalement les actions.  « Objectivement, j’aurai beau être complètement paralysée, privée de toute expression orale, si l’intellect tourne, je serai en parfaite mesure d’être maître de ma vie. » A condition, de me donner les moyens nécessaires, matériels, mais aussi humains pour mener celle-ci à bien. Être dépendant-autonome signifie donc, avoir une organisation accrue, et être constamment dans l’anticipation de l’action. Bien sûr, selon le caractère de la personne, mais aussi de sa pathologie, pouvant découler sur une multitude de facteurs, cette démarche s’individualisera.

« Évitez de chercher la stimulation à tout prix »


Pour la petite anecdote, lorsque je suis arrivée en formation à l’IDM, je m’obstinais à vouloir faire un maximum de choses seule, physiquement parlant : m’habiller, me laver partiellement, etc. Il a fallu des mois pour que mon équipe parvienne à me faire inverser le schéma dans lequel on s’était obstiné à me faire évoluer. Et même si mon côté débrouillarde me sert toujours, au prix notamment, d’un effroyable turn-over d’aides à domicile et de nombreuses difficultés rencontrées, il est évident que ce n’est pas d’enfiler une paire de chaussettes, un pantalon, et des chaussures en vingt minutes qui va me faire gagner mon autonomie, ma vie, mon énergie, ou encore, ma santé. Une heure par jour de natation me serait beaucoup plus bénéfique que de lutter constamment contre mon corps, pour réussir un geste qui peut être accompli en deux secondes par un tiers. Car même si je ne suis pas du genre à laisser faire les autres pour moi ; mon handicap qui se caractérise par des mouvements et des contractions involontaires, engendrant douleurs et fatigabilité, me coûte à chaque minute, dès l’instant où j’accomplis un quelconque effort. Ma première préconisation, bien que ce ne soit pas la plus importante dans ma démarche d’aujourd’hui, serait de vous dire : D’éviter de rechercher à tout prix, la stimulation des personnes que vous allez aider, et, je pense en particulier aux sujets âgés. Nul ne sait ce que l’autre vit dans son intérieur !
Bien sûr, tout est relatif. Par exemple, il est évident que vous n’allez pas forcer une personne devenue totalement grabataire, à manger seule alors qu’elle y laisse toutes ses forces. Par contre, si vous sentez que la personne est encore capable de faire des choses par elle-même, aussi petites soient-elles, accompagnez-la, et, encouragez-là dans cette démarche. Une démarche que seuls le temps, la confiance, la relation et la connaissance d’autrui peuvent permettre.

Actrice de ma vie

Savoir piloter mon quotidien par l’intermédiaire de gestes d’auxiliaires de vie est également pour moi une énorme dépense d’énergie. Dans le sens où en plus de la charge mentale que nécessite ma démarche autonome, la communication à l’autre fait souvent participer tout mon corps qui réagit au moindre facteur émotionnel et environnemental. Au-delà de cette gestion du quotidien, l’IDM m’a appris à être actrice de ma vie. Ce qui en soit s’imbrique mais ne tombe forcément sous le sens lorsqu’on a passé dix-huit ans en centre de rééducation à suivre le mouvement, et où quasiment tout est décidé pour nous. Ce n’est donc pas chose facile de se recentrer et de ne compter que sur soi-même. Pourtant, aujourd’hui, même si certaines traces restent indélébiles et que je peine à quitter certains schémas, je tiens profondément à ma liberté. Aujourd’hui, je suis seule à décider contenu de mes journées, à choisir mes tâches quotidiennes, à gérer mes affaires administratives. Je suis également seule, à pouvoir savoir de quoi mon corps a besoin, en terme de confort, de suivi thérapeutique, ou encore, en terme d’activités artistiques et sportive.

Et c’est là que j’aimerai vous amener vers des points de réflexions qui me paraissent importants dans l’exercice de votre futur métier. A travers celui-ci, vous allez vous retrouver, non pas face à des catégories d’individus; mais, face à des hommes et des femmes, tous uniques, et ayant, comme vous, un vécu, des expériences, des valeurs, et des souffrances allant au-delà de leur condition. Avant d’être malades, handicapés, ou âgés, ce sont des êtres à part entière. Votre manière de les aborder doit donc être à la hauteur de ce qu’ils sont en tant que personne. Combien de fois n’ai-je pas eu d’aides à domicile qui me comparaient à d’autres bénéficiaires et surtout qui m’infantilisaient ? Vu de loin, cela peut paraître compréhensible car en plus d’être en fauteuil, donc plus basse que vous, j’ai une expression corporelle et un timbre de voix hors du commun. De même que mon voisin commence à perdre la tête, alors même si elle n’est pas conscientisée, votre envie de protéger est grande. Mais vu de près, il est important de se poser les bonnes questions, et de remettre l’individu à sa place. En ce sens, vous n’allez pas vous occuper de votre personne, ni de votre petite mamie, ni même d’une patiente. Vous allez l'aider, l'accompagner, la soutenir. Pourquoi est-ce que le vocabulaire est si important ? Parce qu’ici, et au-delà de la « marque d’affection » qui est très souvent mise en avant, celui-ci peut être extrêmement réducteur et donc, de nouveau, dénaturer le rapport aidant/aidé. Pourquoi ne pas appeler ce dernier « client », ou encore, « employeur » ? Ces termes seraient-ils trop nobles pour des êtres considérés comme assistés ? Souvent, lorsque je tente de faire comprendre à mes auxiliaire ces subtilités tellement importantes à mes yeux, j’ai pour réponse : « Bah oui, mais ce n’est pas vous qui payez; et puis, c’est comme ça qu’on nous apprend dans notre travail ! » Pourquoi est-ce que le terme « patient » serait-il plus approprié ? Cela prouve bien que la personne aidée est réduite à ses incapacités et à ses faiblesses. Rendez-nous s’il vous plaît, notre dignité, notre responsabilité, et notre pouvoir d’exister.

Si je devais brièvement définir la bienveillance dans le cadre de votre exercice, elle se situerait , non pas dans le fait d’accourir aux petits soins, à chaque fait et geste de la personne, ni même de s’apitoyer sur son sort. Mais dans le fait de veiller à son bien-être, et notamment en se souciant si ses besoins, mais aussi, ses attentes sont, ou ont, été comblés. La bienveillance comprend donc le fait de prendre soin à juste titre, de l’individu, et de son environnement.

Construire une relation

En ce sens, il est donc très important que vous puissiez développer vos points de vue, au-delà de ce que la formation peut vous dicter. Et ainsi, être capables d’individualiser l’accompagnement de chacun, Clairement, je me plains d’avoir des aides de vie qui ne sont pas assez formées et informées, mais celles qui ne voient que par le formatage ne me correspondent pas non plus. Si je vous fais partir dix minutes en retard, et au-delà du fait d’avoir parfaitement conscience que le temps vous est compté, ce n’est pas que je profite de vous. C’est simplement que mes besoins n’ont pas tous été comblés pour que je puisse passer le reste de ma journée de manière indépendante et sereine. Si je vous demande de m’attraper un médicament, voire de me l’administrer, c’est que je suis entièrement responsable de ma requête. Si soudainement, un malentendu s’est immiscé entre nous, et que, par conséquent, je me tends très fort, évitez d’appeler au secours le prestataire. C’est pire que tout. Essayons plutôt d’apaiser les choses. Prenons le temps de nous poser, de réfléchir et d’échanger. Si ce n’est pas aujourd’hui, ça le sera demain.. Trop d’auxiliaires sont parties de chez moi de manière hâtive et brutale, et ce, parce que nous n’avons certainement pas pris la peine de nous écouter.

Tout cela pour vous dire qu’il est primordial d’établir une confiance et une compréhension mutuelle dans une telle relation. Je dois avoir confiance en vous, mais vous devez aussi, me faire confiance. Cependant, il est parfois nécessaire de passer par des moments difficiles pour réussir à créer un lien. Dans la plupart des rapports, seul le temps est notre ami. D’autres fois, c’est physique, ça ne passe pas, et ce n’est pas la peine d’insister.
Quoiqu’il arrive, votre positionnement est une des clés déterminantes dans la suite de l’intervention. S’il est complexe et délicat d’accueillir une nouvelle auxiliaire chez soi, j’imagine que d’entrer dans l’intimité de l’autre peut l’être également. C’est pourquoi, il me paraît judicieux de respecter cette pudeur. Les qualités qui me semblent essentielles dans un tel contexte, sont : La discrétion, l’amabilité, la patience, l’écoute, le respect, l’adaptation, l’implication à juste titre, la bienveillance. Réciproquement, le client - pardon, c’est plus fort que moi - vous doit ces attitudes.
Si je devais brièvement définir la bienveillance dans le cadre de votre exercice, elle se situerait , non pas dans le fait d’accourir aux petits soins, à chaque fait et geste de la personne, ni même de s’apitoyer sur son sort. Mais dans le fait de veiller à son bien-être, et notamment en se souciant si ses besoins, mais aussi, ses attentes sont, ou ont, été comblés. La bienveillance comprend donc le fait de prendre soin à juste titre, de l’individu, et de son environnement.
Dans ce rapport particulier que mêle professionnalisme et promiscuité, il est souvent difficile pour les deux protagonistes de trouver la juste place, notamment dans le contact physique. Je suis très sensible à celui-ci. Pour vous donner un exemple, quand je me fais maquiller, je n’apprécie pas vraiment qu’on me colle à la peau, qu’on englobe mon fauteuil – qui fait partie de moi -, ou encore, qu’on s’appuie sur moi de tous les côtés, pour me maintenir, ou juste « comme ça ». A l’inverse, me faire savonner à trois mètres de long, m’interpelle toujours un peu – oui, ça m’est déjà arrivé. Vos missions seront loin d’être faciles, et exigeront beaucoup de courage, de force, et d’humilité. C’est pourquoi, cette profession doit être mûrement réfléchie, et s’exercer avec passion.

Un quotidien entre vos mains

J’aurai encore tant à dire, mais, je résumerai cette sensibilisation en vous préconisant de laisser la personne aidée, si bien sûr, sa conscience le lui permet, décider de sa démarche d’autonomie, et de quelle manière, elle souhaite être accompagnée. Dans cette démarche, vous allez certes exercer votre travail, mais c’est avant tout son quotidien qui sera entre vos mains. Si elle a besoin d’exercer un contrôle permanent et de tout formuler, c’est son droit le plus total. Du moment, bien sûr, qu’elle le fasse dans le respect. Et cela, ne doit pas vous impacter, ni émotionnellement, ni sur vos habitudes, et ni sur votre mode de vie à vous.
Le métier d’auxiliaire de vie est un véritable et beau métier d’accompagnement, donnons-lui la valeur qu’il mérite, et faisons-le respecter.
De même qu’être autonome-dépendant, n’est pas seulement un droit mais c’est aussi, un devoir, aidez-nous à garder notre place de personne handicapée, citoyenne à part entière.. . Et autonome !

Je vous remercie de votre attention. Merci également à vos professeurs, et à votre direction, d’avoir accepté de m’ouvrir leur porte.