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Crainte de la pente glissante : le débat actuel sur la fin de vie mérite des arguments solides

La loi est partie intégrante de la vie sociale d’une communauté et sa nature est éminemment évolutive, dans le respect des processus qui l’encadrent. Cela n’indique pas en soi le caractère nocif des évolutions dès lors qu’elles sont le fruit d’un processus démocratique.

Par: Giovanna Marsico, Directrice du Centre National des Soins Palliatifs et de la Fin de Vie /

Publié le : 30 juin 2023

Dans un contexte social fortement marqué par la récente pandémie du Covid-19 et par l’expérience sociale de l’isolement des malades, des décès et du deuil solitaire, la France a vu récemment s’ouvrir un débat national sur la fin de vie. Compte tenu de la sensibilité et de la complexité du sujet, toutes les positions doivent être écoutées et respectées, dès lors qu’elles reposent sur des données objectives, fiables, et actualisées. Parmi les arguments qui alertent sur les risques liés à la légalisation de l’aide active à mourir (AAM), celui de la « pente glissante (« Slippery Slope » en anglais) fait référence au processus qui, à partir de la formalisation d’un dispositif (point A), conduirait dans sa mise en œuvre à des conséquences imprévues et indésirables (point B). Dans le cas présent, le point B serait d’une part l’élargissement à outrance du périmètre d’éligibilité des personnes ayant accès à l’AAM et d’autre part l’acceptation de formes non volontaires ou involontaires d’ « euthanasie » pouvant se produire tant comme conséquence d’abus qu’en raison d’une banalisation de la pratique.
La première démonstration de la « pente glissante » fait référence à l’augmentation de la population  ayant recours à cette pratique, car dans tous les pays concernés, le pourcentage de décès sur demande a augmenté depuis l’année de sa mise en place.  Une telle argumentation est à interpréter dans le contexte de l’augmentation de l’espérance de vie, le vieillissement des baby-boomers, la chronicisation des maladies et les innovations scientifique qui confrontent une partie de la population à des enjeux de fin de vie complexes pouvant se traduire en une demande plus importante d’AMM. Parallèlement, la sensibilisation des professionnels et de la société aux droits des patients peut largement contribuer à une augmentation de ces demandes.  Pour rappel, dans les différents pays, les pourcentages de recours à ce dispositif demeurent modestes, rapportés à la mortalité générale (0,50% au Luxembourg, 1,70% en Suisse, 2,40% en Belgique et 4,40% au Pays-Bas). D’ailleurs, lorsque le cadre réglementaire est défini ainsi que les conditions d’éligibilité, les garde-fous et les modalités de contrôle, peut-on légitimement affirmer que le recours à ladite pratique, quoique grandissante, constituerait une conséquence imprévue, et génératrice d’un effet néfaste pour l’intérêt général ?  
La « pente glissante » prédit une extension incontrôlée des critères d’éligibilité à l’aide active à mourir créant ainsi une brèche dangereuse. Chaque pays concerné a assisté à des débats à ce sujet : aux Pays-Bas, il s’agit de cas de personnes atteintes de démence ayant exprimé la demande lorsqu’elles étaient encore en capacité de discernement ; en Belgique, c’est la demande des personnes polypathologiques qui suscite des discussions. Ces débats réunissent les acteurs compétents (commissions de contrôle, comités de bioéthique, sociétés savantes, associations d’usagers). La loi est partie intégrante de la vie sociale d’une communauté et sa nature est éminemment évolutive, dans le respect des processus qui l’encadrent. Cela n’indique pas en soi le caractère nocif des évolutions dès lors qu’elles sont le fruit d’un processus démocratique. 
Troisième argument : l’abandon des personnes vulnérables, en situation de précarité, dont la demande d’aide active à mourir répondrait à la pression d’une société qui prive leur vie de valeur. Or, plusieurs études mettent en exergue que les patients de faible statut socio-économique sont moins susceptibles de recevoir une aide médicale à mourir. Ces personnes ont deux fois moins de possibilité de recourir à l’aide médicale à mourir que les patients plus riches et plus éduqués. 
Enfin,  les abus et le manque de contrôle face à des demandes d’euthanasie formulées par des tiers ou bien effectuées hors cadre réglementaire, même à l’insu de la personne concernée. Il s’agit de situations d’une gravité exceptionnelle, qui sont déjà régies par des lois pénales. La méfiance autour de la fiabilité et de la solidité des organes de contrôle remet en cause le sens même d’une structuration démocratique. Toute règle est potentiellement susceptible d’être enfreinte, mais dans un régime démocratique c’est bien le rôle du pouvoir judiciaire que de veiller à ce que les lois soient respectées et de sanctionner leur non-respect.  
Des nombreux patients essaient de retarder la mort et demandent des traitements permettant, sinon de vivre davantage, au moins de préserver une qualité de vie correcte jusqu’à leur fin de vie. Il faut ainsi saluer l’extraordinaire réussite des soins palliatifs. Toutefois, bien que minoritaire, une partie de personnes estime que l’offre de soins palliatifs ne suffit pas ou plus à apaiser une souffrance dont elles seules peuvent témoigner de l’ampleur. L’objectif du dialogue national de la fin de vie en cours est de construire un cadre de réflexion qui puisse intégrer la diversité des attentes des citoyens pour leur fin de vie en se basant sur des arguments solides et non pas sur une crainte d’abus et de mauvaises pratiques,  une crainte peu respectueuse des institutions et du travail remarquable des professionnels de santé.

A propos de ce texte

Ce texte est tiré du document Fin(s) de vie : s’approprier les enjeux d’un débat publié en mars 2023 par l'Espace éthique/IDF dans le cadre du débat sur la fin de vie