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Dédramatiser l’approche des soins palliatifs
"Ce qu’elle ne comprend pas, c’est pourquoi, puisqu’on lui avait proposé du confort, elle retrouvait sa mère, lors des courts moments de visites autorisées, agitée et ligotée dans son lit ou encore avec les restes, sur sa chemise de nuit et sur ses draps, d’un café renversé sur elle quelques heures avant."
Par: Vianney Mourman, Médecin, équipe mobile de soins palliatifs, Hôpitaux universitaires Saint-Louis, Lariboisière, Fernand Widal, AP-HP /
Publié le : 03 Février 2015
Expliquer le changement d’un projet de soins
Une femme vient me trouver pour m’exprimer son désarroi, quelques instants après le trépas de sa mère. Bien que dans une relation fusionnelle avec elle, sa fille subit, admet ou accepte peut-être le décès. Par contre, elle s’ interroge sur les soins qui ont été prodigués.
Elle me raconte que quelques jours avant, l’interne lui a annoncé, dans le couloir, devant la chambre, que sa mère passait en « soins de confort ». Cette fille a bien compris que sa mère quittait l’unité de soins intensifs pour être hospitalisée dans une salle plus calme. La tentation y serait moins grande de se lancer dans des traitements et techniques invasives qui n’apporteraient qu’inconfort à sa mère. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est pourquoi, puisqu’on lui avait proposé du confort, elle retrouvait sa mère, lors des courts moments de visites autorisées, agitée et ligotée dans son lit ou encore avec les restes, sur sa chemise de nuit et sur ses draps, d’un café renversé sur elle quelques heures avant.
À la suite de ce témoignage, je me suis questionné sur certains points que je considère importants tant sur la forme que sur le fond. Tout d’abord, sur la notion de passage (en soins de confort) qui n’est pas sans rappeler symboliquement le passage de Pharaon du royaume des vivants à celui des morts. Ici, la patiente passe d’un service à l’autre, d’une prise en charge curative à une autre, appelée confort. Sa pathologie chronique n’a pas évolué du jour au lendemain, elle a progressé, certes inexorablement, mais sans cassure brutale expliquant le changement de projet de soins. Les médecins constatant leur inefficacité à guérir ont judicieusement changé l’orientation de la prise en charge. Certes, la finalité était d’éviter toute obstination déraisonnable pour cette patiente incurable, mais cette cassure brutale était-elle nécessaire lorsqu’elle aurait pu être progressive ?
Ce que seraient des soins de confort
Ensuite, la notion de « soins de confort » m’interroge. S’agit-il d’un glissement sémantique pour ne pas utiliser ce terme de soins palliatifs qui fait si peur ? Le risque, alors, n’est-il pas que ce nouveau qualificatif soit investi des mêmes préjugés péjoratifs ? Si l’on pousse encore plus loin le raisonnement, en admettant que les mourants justifient cette prise en charge de leur confort, le reste des patients, vulnérables par essence, ne devraient-ils pas aussi bénéficier de cette attention ? L’institution de soin veut-elle ou peut-elle se donner comme objectif ce confort des patients ?
Enfin, si l’on quitte la forme pour aller vers le fond : si l’on reprend le récit par cette fille des derniers jours de sa mère, les soins prodigués ne semblent pas optimaux. Que dire de l’équipe paramédicale qui, bien qu’attentive, n’apporte pas les soins les plus adaptés ? La réponse à l’agitation par les contentions, le café renversé : que faire du manque de moyens, du manque de temps ou, pour certains mêmes, du manque de motivation exprimé par les soignants à l’égard de ces prises en charges palliatives alors qu’ils avaient choisi d’exercer dans ce service car on « y sauve des vies » ? Et cette annonce, décrite comme violente par la fille, faite par un interne, médecin en formation, « formaté » à la médecine de la guérison ?
Une dédramatisation des soins palliatifs, leur meilleure caractérisation, un accès plus systématique, leur intégration plus précoce dans le parcours de soin, une meilleure formation des soignants… Quelques pistes peut-être pour éviter que les mots de cette fille, les mots de l’équipe, les mots de l’interne ne se transforment en maux ?